LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- De façon générale, pensez-vous que les pharmaciens sont trop endettés ?
PHILIPPE BECKER.- Le financement d’une officine réclame beaucoup de capitaux et, par définition, les « primo accédants » en ont peu. De ce constat que tout le monde peut faire, il découle une situation financière des officines fragile par nature. Dans les faits, lors de l’acquisition de la pharmacie, les banques prêtent généralement jusqu’à 100 % de la valeur du fonds, et le reste est payé par des fonds personnels ou familiaux. Cette pratique, qui déroge aux règles habituelles de financement des entreprises, explique « mécaniquement » que l’endettement des officinaux est extrêmement important.
Justement, quelles sont les règles admises en matière de financement des entreprises ?
CHRISTIAN NOUVEL.- Les analystes financiers et les experts-comptables considèrent que les capitaux propres apportés par le chef d’entreprise ou les associés doivent représenter environ un tiers de l’investissement global. La banque finance alors les deux autres tiers. Ajoutons que la durée de remboursement sur l’achat d’un fonds de commerce est habituellement de sept ans. Nous sommes donc très loin de ce schéma pour les officines !
Pourquoi les officines dérogent-elles aux règles habituelles en matière de financement ?
PHILIPPE BECKER.- Pour plusieurs raisons. La pharmacie libérale est considérée jusqu’à présent encore par le monde de la finance comme présentant un bon risque. Le prix des fonds est stable, voire en progression, et le marché (hormis celui des petites pharmacies) est fluide. Par conséquent, les établissements financiers sont prêts à faire des entorses importantes aux règles de financement.
Par ailleurs, depuis trente ans, la durée de remboursement a été allongée pour atteindre en moyenne, aujourd’hui, douze ans. Il faut être conscient que la pharmacie d’officine est sur ce plan un microcosme, personne n’ayant d’ailleurs envie de modifier le consensus autour de ces pratiques dérogatoires…
CHRISTIAN NOUVEL.- Imaginez un instant l’effet produit sur les pharmaciens si les banquiers décident tout à coup de prêter sur sept ans avec un plafond de 70 % de l’investissement !
La dégradation de la situation de trésorerie des pharmaciens dans un contexte de crise économique n’a-t-elle pas pour effet de modifier le comportement des banquiers ?
PHILIPPE BECKER.- A ce jour, et malgré la crise financière grave que nous avons connue et que nous connaissons encore, les pratiques n’ont pas changé. Tout au plus peut-on observer un retrait des banques qui ne sont pas des bailleurs de fonds habituels de la profession. On peut même dire que les taux proposés aux pharmaciens sont toujours extrêmement attractifs actuellement.
Bref, rien ne change et l’endettement des officines risque de s’accroître ?
CHRISTIAN NOUVEL.- C’est presque : « Tout va très bien Madame la marquise » ! Le château ne brûle pas encore mais les écuries, si ! En tout cas pour beaucoup de pharmaciens qui ont acquis leur officine depuis moins de quatre ans. Les chiffres publiés au « Bulletin des annonces civiles et commerciales » font état de 25 mises en redressement judiciaire entre le 15 septembre 2009 et le 15 novembre de cette même année. Il y a donc un problème ! Il est vrai que ces mises en redressement judiciaire se concentrent surtout dans les DOM-TOM et la banlieue nord de Paris, mais n’est-ce pas là un signe inquiétant ?
Selon vous, combien d’officines pourraient, du fait d’une forme de surendettement, se trouver en difficulté financière dans les prochains mois ?
PHILIPPE BECKER.- Sur 463 bilans d’officines analysés en 2008, nous observons que, pour 14 pharmacies de notre panel (soit 3 % de la population), le remboursement du capital et des intérêts de l’emprunt représente en moyenne plus de 10 % du chiffre d’affaires hors taxes. Toujours selon notre étude, l’EBE (c’est-à-dire l’excédent brut d’exploitation) ressort à 11,43 % du chiffre d’affaires hors taxes. En pratique, il reste par conséquent au titulaire 1,43 % du chiffre d’affaires hors taxes pour se rémunérer et payer ses impôts personnels. Une simple règle de trois nous laisse penser que, sur 22 500 officines, environ 700 seront donc potentiellement en difficulté dans les 18 prochains mois.
Que doit-on faire si on se sent concerné, c’est-à-dire trop endetté ?
CHRISTIAN NOUVEL.- Le maître mot est d’anticiper, c’est-à-dire de prévoir plutôt que de subir. Dans ce genre de situation, le rôle de l’expert-comptable et de l’avocat est primordial pour imaginer et mettre en place toutes les parades ou solutions possibles. Bien évidemment, le banquier et le grossiste doivent également être associés à la mise en place des solutions.
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