Antidépresseurs, antibiotiques, antiépileptiques, anti-inflammatoires… des résidus de médicaments ont été retrouvés dans les eaux sur tous les continents, à des concentrations variables.
Ces concentrations vont du nanogramme par litre dans certaines eaux potables et eaux superficielles, jusqu’au microgramme ou à la centaine de microgrammes par litre dans les eaux résiduaires et effluents de certaines stations d’épuration urbaines ou industrielles. Mais quelle est la dangerosité de ces résidus de médicaments, quelles sont les répercussions pour la santé humaine ? À ce jour, on ignore encore ces impacts. Pour discuter de ce phénomène grandissant, les chercheurs du monde entier se sont réunis lors de la première conférence internationale sur les risques liés aux résidus de médicaments rejetés dans l’environnement qui s’est tenue à Paris, ces 8 et 9 septembre (ICRAPHE).
Les experts ont rassuré sur le risque sanitaire lié uniquement aux rejets médicamenteux dans les eaux de consommation. « Pour l’homme, dans les pays ayant des usines de traitement des eaux usées de qualité, les concentrations retrouvées dans l’eau potable sont faibles », relate le Pr Yves Lévi (directeur du groupe « santé publique et environnement » à la faculté de pharmacie de l’université Paris Sud). « L’Agence nationale de sécurité sanitaire, qui a évalué l’impact de quelques molécules thérapeutiques fréquemment retrouvées dans les eaux de boisson, a conclu que le risque d’impact sanitaire était non significatif chez l’homme », justifie-t-il. Toutefois, s’il existe très peu de cas identifiés de contamination d’eau du robinet en France, il ne faut pas oublier que dans beaucoup de régions du monde les eaux de consommation humaines ne sont pas, mal ou peu traitées.
Par ailleurs, Yves Lévi s’inquiète des multi-apports en contaminants. D’une part, car les résidus de médicaments ne sont pas les seuls polluants présents dans les eaux : ces dernières sont largement contaminées, et à de bien plus fortes concentrations, par des polluants organiques persistants, des hydrocarbures, des solvants, des plastifiants, des retardateurs de flamme… D’autre part, parce que les apports en polluants ne proviennent pas uniquement de l’eau, mais aussi de l’atmosphère, des aliments… « Il est donc indispensable de replacer le risque des résidus de médicaments dans un contexte bien plus large », estime le chercheur.
Le plan micropolluants de Ségolène Royal
Un avis partagé par Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, qui vient d’annoncer, lors de l’ICRAPHE, le lancement du plan micropolluants 2016-2021. Ce plan vise à réduire dès maintenant les émissions de micropolluants présents dans les eaux et dont la toxicité est avérée, de consolider les connaissances et de dresser des listes de polluants sur lesquels agir. En ce qui concerne les résidus de médicaments, tout reste à faire : « Aucune base de données fiable n’existe à ce jour sur les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques des médicaments », relève Ségolène Royal, en demandant que l’on « centralise toutes les données disponibles au niveau international, afin de prioriser de manière plus efficace les molécules quant à leur risque de se retrouver dans les eaux ou à dépasser des seuils ».
Rappelons que, en France, il existe déjà une liste de molécules prioritaires qui sont contrôlées, leur présence ayant été confirmée, à très faible dose, dans certaines eaux de boisson. Cette liste comprend notamment des antibiotiques, des anti-inflammatoires et antalgiques, des antiépileptiques, mais aussi des agents de contraste iodés, des anticancéreux, des antidépresseurs, des bêtabloquants, des stéroïdes et hormones, etc.
De son côté, la Commission Européenne cherche aujourd’hui des éléments permettant d’introduire certaines de ces molécules dans la liste des paramètres de contrôle de la qualité des eaux brutes et potables.
Des moyens pour agir
Par ailleurs, certaines mesures simples peuvent d’ores et déjà être prises afin de réduire les résidus de médicaments dans l’environnement. Pour le consommateur, cela consiste à rapporter les médicaments non utilisés à la pharmacie pour qu’ils soient pris en charge par la filière Cyclamed. En effet, les médicaments non utilisés et déchets de médicaments peuvent constituer une voie importante d’introduction de polluants médicamenteux, du fait de leur dispersion au travers des déchets ménagers.
Les prescripteurs peuvent également apporter leur pierre à l’édifice. « Par exemple, aux États-Unis et en Suède, les médecins commencent à revoir leur mode de prescription, afin de diminuer les doses, en les adaptant au poids patient », cite le Pr Damià Barcelo Culleres (professeur de chimie analytique, université de Barcelone). En France, des expérimentations de dispensation à l’unité sont en cours, afin de limiter les pertes et les déchets médicamenteux. Il est aussi question d’apposer un label sur les boîtes des spécialités dont l’impact sur l’environnement est faible. Muni de cette information, le prescripteur pourrait alors choisir - entre deux molécules de même efficacité - celle qui est la plus écologique. Quant à l’industrie, elle pourrait s’orienter à l’avenir vers une pharmacie plus verte, en axant sa recherche vers le développement de molécules biodégradables. « C’est déjà le cas pour quelques bêtabloquants », dévoile Klaus Kümmerer (directeur de l’institut de la chimie environnementale, Lunebourg, Allemagne). Néanmoins, pour s’épanouir, la pharmacie verte doit être accompagnée d’incitations fortes des gouvernements. « Par exemple, en accordant à ces molécules écologiques un prix un peu plus élevé, ou en leur octroyant un brevet de commercialisation un peu plus long », précise Klaus Kümmerer. Des stratégies qui mettront du temps à se mettre en place.
*International conference on risk assessment of pharmaceuticals in the environnement, organisée par les ministères de l'Écologie, de la Santé, et l'Académie nationale de pharmacie.
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