Quelque chose d'irréel fait du paysage français la source d'une inquiétude à la fois sourde et inexprimée, la peur de l'avenir immédiat qui secoue les âmes, tandis que les regards contemplent la beauté de leur pays sous le soleil d'avril, tellement étincelant qu'il nous rappelle une autre malédiction, celle qui s'acharne sur l'environnement. Nous croyions avoir vaincu la guerre depuis 1945. Voilà que nous en vivons une autre, inattendue, affreusement sournoise, longue et cruelle. Voilà que des peuples rétifs, comme le nôtre, ne peuvent plus vraiment nommer le mal qui les ronge, ne savent pas s'ils en seront atteints ou lui échapperont, et ignorent à quel moment ils recouvreront leur liberté. C'est cette liberté chérie qui nous manque. Pas tant celle de sortir et d'aller se promener, que celle de faire des projets, de penser à l'avenir, de nous inscrire dans le temps, comme nous le faisons habituellement, tous, jeunes et vieux, riches et pauvres, puissants et misérables.
Virus et despotisme
C'est un paradoxe sans comparaison possible avec des événements antérieurs : nous ne pouvons combattre l'ennemi qu'en nous jetant dans la prison de notre foyer, lui mener la vie dure en nous abritant derrière nos portes et nos murs, l'éliminer en dressant entre lui et nous une barrière. Même si le sort des mourants est pire, l'incarcération volontaire et cette discipline du corps qui ressemble bel et bien à une retraite monastique représente un sacrifice que seules la raison humaine et la conscience du monde tel qu'il est et tel qu'il nous est enseigné nous contraignent à le faire. Les moines, cependant, choisissent leur retraite. Pas nous. La lutte contre le virus est sûrement un devoir, sûrement pas une vocation.
Contre le Covid-19 innombrable et vulnérable, la parade n'est qu'apathique. Nous voudrions nous projeter vers lui les armes à la main mais, bizarrement, le courage consiste à fuir, la hargne est silencieuse, la colère rentrée. Seul le temps nous conduira à la délivrance ; mais c'est le temps d'une vie. Tout à coup, l'avenir qui, pour beaucoup d'entre nous, était rationnellement envisageable se transforme en mystère insondable. Car que va-t-il se passer ? Nous savons tous que « ce ne sera plus comme avant », mais nous ne savons rien de ce que ce sera. Cette effroyable récession dans laquelle nous venons d'entrer ne va-t-elle pas obérer le confort de nos familles, ne va-t-elle pas nous ruiner, nous priver de notre emploi, de nos projets, de nos espoirs ?
Ainsi le virus, s'il n'a pas rongé nos corps, risque-t-il de se lover dans nos esprits, ainsi la peur pourrait-elle lasser des traces, supprimant en nous la volonté d'agir, de reconstruire, de nous conformer, économiquement et socialement, aux propositions autoritaires de ce nouveau monde. Un monde si souvent évoqué, mais jamais sous la forme d'une pandémie capable non de changer la planète mais de changer l'ingéniosité humaine, sans laquelle il n'y aurait vraiment aucun espoir d'adaptation. Le virus est un despote aussi cruel que ces dictateurs qui gouvernent une partie de la planète ; aussi indifférent à l'humanité, aussi aveugle dans le choix de ses victimes que l'est la contagion ; aussi impitoyable à notre égard que le tyran ou le terroriste ; aussi inconscient de ce qu'il détruit que de ce qu'il laisse intact.
Il est vrai que nous venons d'un monde où, déjà, on aimait aller vite. Un problème ? Une solution. Une crise ? Un remède. Comme une bourrasque qui vient du grand nord et se nourrit en chemin de son propre souffle, l'épidémie nous laissera perplexes, hésitants, en tout cas différents de ceux que nous avons été. Il s'agit d'un événement historique au sujet duquel nous avons peu de références. Certes, les cataclysmes n'ont pas empêché le genre humain de progresser. En attendant, nous sommes dans le cyclone et avons du mal à imaginer la suite.
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