LA GESTION des ruptures d’approvisionnement en médicaments continue d’être le quotidien de nombreux pharmaciens. En effet, le décret paru fin septembre, visant pourtant à les prévenir, ne semble pas à même d’endiguer complètement le phénomène. Pourquoi ? Parce que le texte « n’aborde pas tous les aspects de la question », souligne Marie-Christine Belleville, membre titulaire de l’Académie nationale de pharmacie et coordinatrice d’une séance sur le sujet. Résultat, le problème reste entier et l’instance émet une trentaine de recommandations pour y remédier (voir ci-dessous). Aujourd’hui, en ville, « 100 % des officines sont confrontées à ces ruptures », indique Philippe Liebermann, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Selon lui, 5 % des lignes commandées ne sont pas honorées et, dans la moitié des cas, le produit est manquant au-delà de quatre jours. La rupture est d’autant plus difficile à prévoir que toutes les spécialités peuvent être concernées. Les vaccins, comme les psychotropes, les anticancéreux, comme les anticoagulants, les génériques comme les princeps.
En amont, les grossistes-répartiteurs ne sont pas épargnés. Les ruptures touchent « 15 % des commandes passées », explique Jean-Luc Delmas, membre de l’Académie de pharmacie et spécialiste de la distribution pharmaceutique. À l’hôpital, la situation n’est guère meilleure. « Le phénomène ne fait qu’empirer », déplore le Pr Alain Astier, chef de la pharmacie du CHU Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne). Les ruptures d’approvisionnement seraient le double de celles observées en officine. « La situation est grave », affirme-t-il, car il n’y a pas toujours d’équivalent thérapeutique. Une étude américaine, rapporte le Pr Astier, montre, par exemple, que la substitution d’un produit manquant par une spécialité équivalente s’est révélée thérapeutiquement inefficace chez 15 % des patients.
Une situation préoccupante.
La situation est peut-être grave, mais pas catastrophique, estime en substance le président de l’Académie de pharmacie, Yves Juillet. Certes, « le problème de santé publique est réel, surtout quand la rupture concerne un antibiotique ou un anticancéreux ; le phénomène a tendance à s’accentuer, mais reste limité, indique-t-il. Pour 95 % des commandes, tout se passe bien. » Il reconnaît toutefois que la situation est préoccupante, puisque l’Académie s’est penchée sur la question et a émis des recommandations pour inverser la tendance.
Mais à qui la faute ? « Il n’y a pas qu’une seule cause », insiste le président de l’Académie, qui distingue les ruptures d’approvisionnement liées à la chaîne de distribution, des ruptures de stock chez les fabricants. Selon l’Académie, 14 % des ruptures au niveau des laboratoires auraient pour origine une difficulté d’approvisionnement en matières premières, notamment en raison d’un défaut de qualité. Leur fourniture est d’autant plus difficile qu’elles sont désormais fabriquées de plus en plus loin de nos frontières : 60 à 80 % des principes actifs proviennent de pays hors de l’Union européenne, principalement d’Inde et de Chine. Il y a trente ans, ce pourcentage ne dépassait pas les 20 %.
Relocaliser.
« La production du principe actif est le maillon faible de la fabrication des médicaments », insiste David Simonnet, président du groupe Axyntis, spécialiste français de la chimie fine. « Les normes en vigueur en Chine et en Inde sont différentes de celles mise en œuvre en Europe et aux États-Unis, affirme-t-il. Il y a là-bas une moindre maîtrise de la qualité. » Du coup, certaines matières actives ne pouvant être utilisées, la fabrication du médicament devient impossible et les tiroirs des officines restent vides un petit moment. « Il est nécessaire de réaliser une cartographie des médicaments pour lesquels il existe un risque de rupture et de se poser la question de la relocalisation de la production de leurs matières actives afin d’assurer notre indépendance », lance David Simonnet.
Quoi qu’il en soit, le phénomène des ruptures est complexe et d’autres raisons sont invoquées : normes de qualité de plus en plus sévères, gestion en flux tendu des différents acteurs, complexification de la chaîne de distribution du médicament avec une multiplication des opérateurs, ou encore arrêt de commercialisation. L’Académie note, en effet, des situations de pénurie par abandon de la production de spécialités pharmaceutiques dont la rentabilité est jugée faible. Quant aux exportations parallèles, également souvent pointées du doigt, Jean-Luc Delmas rappelle que les principaux acteurs de la répartition se sont engagés à ne plus exporter les produits sensibles n’ayant pas d’équivalent thérapeutique en France.
On le voit, des pistes existent pour mettre fin aux ruptures d’approvisionnement en médicaments qui polluent l’exercice officinal. Car, au bout de la chaîne, le pharmacien se retrouve seul face au malade et son désarroi de ne pas pouvoir accéder à son traitement.
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