Une précieuse expérience

Tourner la page

Publié le 08/04/2010
Article réservé aux abonnés

IMAGINONS une équipe de six plus ou moins jeunes femmes, six professionnelles compétentes, expérimentées, loyales, solidaires, consciencieuses, rigoureuses. Le travail est bien fait, elles s’entendent bien, elles s’arrangent entre elles pour que les congés des unes et des autres ne désorganisent pas le service. Elles viennent travailler même quand elles sont malades, elles dépannent volontiers les autres services ponctuellement, elles respectent leur hiérarchie. Elles ne colportent pas de ragots, ne les écoutent même pas quand certains arrivent jusqu’à elles, elles sont tolérantes et articulées, elles savent faire preuve d’une réserve quasi inépuisable d’empathie. Elles travaillent dans une bonne ambiance, ça plaisante, ça rit, ça se moque affectueusement. Il n’y a pas d’ambitieuse qui essaie d’écraser les autres, on les envie.

Un jour, une rumeur, qui traînait depuis un moment déjà, devient réalité. Leur chef chérie, adorable, drôle, généreuse, est mutée ailleurs. La plus jeune des deux autres pharmaciennes, celle qui est en âge de, arbore maintenant un charmant petit ventre rond. C’est décidé, à la fin de son congé de maternité, elle demande et obtient sa mutation sur un autre site, elle ne reviendra pas. Préparatrice numéro un, qui a des problèmes de genou depuis un certain temps, consulte un chirurgien, qui programme l’opération avant l’été, ce sera plus confortable. Elle va être absente pendant deux mois. Préparatrice numéro deux, qui est très résistante à la douleur, souffre de deux hernies discales, mais continue à venir travailler, grimaçante, jusqu’au matin où elle se retrouve incapable de sortir de son lit. Transportée en ambulance, elle séjourne dans une clinique avant de rentrer chez elle en fauteuil roulant. Elle va manquer pendant quelque temps encore…

Préparatrice numéro trois, la dernière fois que je l’ai vue, était la seule rescapée. Elle était venue travailler courageusement malgré le rhume, le mal de tête et la température qui l’accablaient ce jour-là. Si ce n’est pas un sens aigu du service public, ça. Quant à moi, Louise, la sixième de l’équipe, je suis en vacances, je suis en train de solder tous les jours de congé annuel et de RTT qui me restaient à prendre, dans le cadre de mon préavis de démission. Car j’ai démissionné. Le cœur gros, mais je l’ai fait. Notre Chef Chérie a été remplacée par Chef Pas Chéri Du Tout, avec qui j’avais déjà eu une première expérience professionnelle, qui s’était soldée par un monstrueux échec.

Je me couche tard, je me lève tard, je vais courir au bord de mer, je fais de la cuisine, du pain, des cupcakes, de la tourte de blettes, je me remets à lire des tas de romans, je vais voir ma vieille tante que j’avais négligée ces derniers mois, je vais au cinéma, je revois des amies, la vie est douce. Je suis aussi en contact avec une clinique privée pour des remplacements, avec une autre clinique privée pour des vacations à partir de juillet, avec un hôpital pour des vacations à partir de juin, avec un service de pompiers pour des remplacements et des astreintes, la vie est animée.

Elle me restera précieuse, cette expérience-là, avec cette équipe-là. Mais il est temps de tourner la page.

LOUISE JUILLÉ, DOCTEUR EN PHARMACIE

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2740