LES CENTRES commerciaux ont le vent en poupe depuis de nombreuses années et continuent d’attirer les pharmaciens en quête de reprise d’une installation. Malgré les difficultés économiques que connaît aujourd’hui la profession et une petite désaffection de la clientèle dans certains centres commerciaux mal gérés ou trop éloignés des zones résidentielles, cette attirance ne faiblit pas. Pour preuve, la grande majorité des transferts, depuis que ceux-ci ont été libéralisés, a lieu des centres-villes vers les centres commerciaux. On peut même dire que le transfert type est dorénavant celui qui déplace l’officine de son quartier d’origine vers le centre commercial. De même, les acquisitions d’officines à chiffre d’affaires élevé sont le plus souvent des pharmacies de galeries commerciales.
Ce mouvement est dû avant tout à des raisons économiques. En effet, toutes les études statistiques récentes montrent que les pharmacies de centres commerciaux présentent de meilleurs ratios de gestion que les autres. La dernière étude du cabinet KPMG, par exemple, indique que non seulement ces officines ont un chiffre d’affaires moyen supérieur aux autres, mais aussi qu’elles résistent mieux à la crise générale de l’activité, avec une progression moyenne de 2,8 % en 2010 au lieu de 1,4 % pour l’ensemble des pharmacies.
En termes de chiffre d’affaires, l’effet taille continue d’être prépondérant : les officines les plus importantes et celles qui sont situées en centre commercial ont le chiffre d’affaires qui progresse le plus. En outre, pour ces pharmacies, l’augmentation du chiffre d’affaires soutient la marge commerciale, puisque, là aussi, ce sont les pharmacies situées en centre commercial qui présentent le meilleur taux de marge. « Pour moi, travailler dans un centre commercial est devenu évident, commente ainsi Patrick Lecacheur, titulaire au centre commercial Saint-Clair, à Hérouville, dans le Calvados. Il faut aller là où sont les clients », ajoute ce titulaire heureux de son choix. Même son de cloche pour Jean-Christophe Gailliot, installé dans la galerie du centre Carrefour Alma, à Rennes : « Quand on s’installe, il faut viser le plus haut possible, donc dans un centre commercial. »
Ticket d’entrée élevé.
Revers de la médaille pour les acquéreurs potentiels : les officines installées dans les galeries commerciales de grandes surfaces sont les plus chères. Leur prix moyen est actuellement de 94 % du chiffre d’affaires TTC. Certes, ce prix est stable depuis dix-huit mois, mais il avait chuté de dix points en 2009. À titre de comparaison, les pharmacies de quartier, par exemple, sont les plus faiblement valorisées, avec un prix de vente moyen de 83 % du chiffre d’affaires TTC.
Dans les centres commerciaux de type Carrefour, Auchan, Casino ou encore Leclerc, le prix à payer pour devenir titulaire est donc particulièrement élevé. À moins qu’il s’agisse d’une deuxième ou troisième installation, de disposer d’un apport personnel très conséquent ou de s’associer, l’accès à ce type d’officine est difficile pour les jeunes diplômés.
En outre, le prix du fonds ou des parts n’est pas le seul à prendre en compte. Tout coûte plus cher lorsqu’il s’agit d’une pharmacie de centre commercial. Par exemple, dans les grands centres, le loyer est souvent indexé, en partie, sur le chiffre d’affaires (jusqu’à 4 % de celui-ci). Une méthode qui comporte plus d’inconvénients que d’avantages : lorsque le loyer comprend une partie variable, il est beaucoup plus difficile de prévoir les augmentations. De plus, le système de calcul des revalorisations est parfois opaque. Et surtout, la révision du loyer de ce type de bail n’est régie que par le contrat. Elle échappe donc aux dispositions de la réglementation des baux commerciaux et à la règle du plafonnement en fonction de l’indice INSEE du coût de la construction. Lors de chaque révision, le loyer peut ainsi augmenter dans de très fortes proportions. Il faut savoir aussi que des charges parfois importantes s’ajoutent au loyer : entretien du centre, sécurité, surveillance, publicité, animation. Elles peuvent atteindre 40 % du loyer. Il est donc indispensable de les évaluer avant de s’installer.
Risques de conflits.
Pour ces raisons, les pharmaciens en conflit avec l’exploitant du centre ne sont pas rares. C’est le cas, par exemple, de cette titulaire installée en Bretagne (qui veut conserver l’anonymat car elle est en procès pour son loyer) : « Je suis installée depuis vingt-trois ans et, à chaque renouvellement du bail, le gérant du centre en profite pour exiger une hausse de loyer considérable, alors que celui-ci a déjà augmenté chaque année en fonction de l’indice du coût de la construction », explique t-elle, un peu dépitée.
Une chose est sûre : certains gestionnaires de centres commerciaux n’hésitent pas à proposer aux locataires de la galerie commerciale un loyer exorbitant. « Dans les dossiers de demande de licence, on voit parfois passer des dispositions ahurissantes sur ce point, et nous sommes obligés de mettre en garde le pharmacien sur les risques qu’il encourt pour la pérennité de son officine », explique Jean-Jacques Des Moutis, président du conseil de l’Ordre régional des pharmaciens d’Ile-de-France.
À vrai dire, en s’installant dans la galerie commerciale d’une grande surface, le pharmacien devra se résoudre à passer sous les fourches caudines du propriétaire des murs, qui n’est d’ailleurs pas l’enseigne de la grande surface elle-même, mais en général une société d’investissement ou une société foncière. Or, les bailleurs de galeries commerciales établissent un règlement intérieur que tous les commerçants – pharmaciens compris – doivent signer. Par exemple, tous les commerçants doivent s’engager à respecter certains horaires d’ouverture. Ceci pour des raisons évidentes : si la moitié des commerces est fermée à certaines heures, les clients ne reviennent plus. Il faut notamment, sauf dans certaines petites galeries de province, ouvrir sans discontinuer pendant l’heure du déjeuner, ce qui peut représenter des contraintes pour les salariés. Les commerçants doivent aussi observer des règles d’entretien de leurs magasins. Ils doivent enfin, dans certains cas, adhérer à une association. Toutes ces règles sont stipulées dans le bail ou dans un contrat annexé au bail. Le pharmacien de galerie commerciale doit donc observer une double discipline, celle de la profession, en respectant les obligations déontologiques, et celle du centre commercial. Mais déontologie et commerce ne font pas toujours bon ménage…
Organisation optimale.
Forte valorisation du fonds, loyer parfois très élevé, mais aussi agencement spécifique et organisation optimale au comptoir : être titulaire dans un centre commercial n’a rien à voir, de ce point de vue, avec l’exercice en centre-ville ou dans un quartier. Par exemple, pour éviter au maximum l’allongement des files d’attente des patients, un nombre important de caisses et de comptoirs est nécessaire. Puisque l’officine est ouverte en journée continue et que les salariés sont présents une grande partie de ces journées, il faut également prévoir un local pour les repas et/ou pour les pauses. Par ailleurs, l’amplitude d’ouverture de l’officine, calquée sur celle du centre, est souvent très large, jusqu’à 70 heures ou 75 heures par semaine. Dans ce contexte, il est certain qu’il y a un surcoût important en frais de personnel par rapport à une officine de quartier, et que le titulaire doit souvent jongler avec les horaires des salariés, en respectant notamment les temps partiels. Surtout, les salariés de l’officine doivent être à même de gérer les affluences immédiates lors des sorties de caisse, en assurant toujours le maximum de fluidité des clients. Si l’officine donne l’impression d’être trop pleine ou si les clients s’aperçoivent qu’ils vont devoir attendre, ils n’entrent pas…
Il reste que, malgré ces nombreuses contraintes et ce mode d’exercice particulier, la grande majorité des pharmaciens de centres commerciaux ne regrettent pas leur choix. Lorsque le centre est dynamique, bien situé, bien géré, une excellente rentabilité est presque toujours au rendez-vous. Ainsi, dans les grands centres commerciaux, on estime généralement que le nombre de passages de clients dans l’officine doit être compris entre 5 et 10 % du nombre de caddies. Si le centre réalise 10 000 clients par jour, cela peut donc donner jusqu’à 1 000 clients par jour pour l’officine… Des chiffres impensables pour une pharmacie de centre-ville ou de quartier…
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