ORGANISÉ par l’Union régionale des médecins libéraux de Haute-Normandie, ce congrès, qui abordait les liens entre l’environnement et les pathologies, depuis les risques sanitaires du réchauffement climatique jusqu’aux OGM (organismes génétiquement modifiés) ou aux perturbations endocriniennes causées par la pollution, a consacré une séance au problème des rejets médicamenteux dans l’eau. On sait en effet que les stations d’épuration ne sont pas conçues pour éliminer à 100 % tous les résidus de médicaments, que ceux-ci aient été évacués par les voies naturelles, après absorption par les animaux ou les humains, jetés avec les ordures, ou déversés accidentellement ou en tant que rejets industriels.
Comme l’a rappelé le Pr Jean-Marie Haguenoer, professeur émérite à l’université de Lille et membre de l’Académie de pharmacie, l’impact environnemental des médicaments est certes déjà pris en compte dans les demandes d’AMM, mais l’on ne connaît toujours pas les conséquences écologiques à long terme des rejets de médicaments et de leurs métabolites. Ceux-ci s’accumulent non seulement dans l’eau, mais aussi dans les boues et les alluvions. Le problème est d’autant plus complexe que certains résidus peuvent être « réactivés » biologiquement par les stations d’épuration, ou être redisséminés dans le cadre de l’épandage ou de l’élevage industriel.
Lorsque l’on analyse l’eau des lacs et des fleuves, on découvre, par exemple, que la Mer du Nord « s’enrichit » chaque année de 50 à 100 tonnes d’hypolémiants, ou bien que les lacs suisses voient leur quantité de diclofénac augmenter de 19 kg par an, cette substance étant par ailleurs abondamment charriée par le Rhin. Au-delà des risques connus comme le renforcement de l’antibiorésistance ou l’apparition de poissons « intersexués », suite à un excès d’hormones, les résidus de médicaments s’ajoutent aux nombreux produits toxiques retenus dans l’eau, comme les PCB et les POP, les polluants organiques permanents. Des études menées sur les poissons de l’estuaire de la Seine ont mis en avant de nombreuses malformations combinées à une féminisation croissante des bancs, que l’observe aussi dans d’autres estuaires européens et américains.
Prévention par les pharmaciens.
Médecin généraliste à Rouen, le Dr Joël Spiroux s’est attaché, pour sa part, à étudier les rejets de médicaments à proximité immédiate du CHU et du centre anticancéreux de la ville, avec des analyses très performantes menées pendant trente jours consécutifs, à la sortie des stations d’épuration. Il a pu retrouver ainsi, chaque jour, 14 grammes d’acide valproïque, 138 grammes de codéine, 212 grammes de tramadol, mais aussi, directement liés à l’activité hospitalière, un gramme de platine, utilisé en cancérologie, et 10 grammes de gadolinium, employé pour les examens d’IRM. Ces chiffres, répétés tous les jours, confirment bien que les stations n’éliminent totalement que 10 à 90 % des médicaments, selon les classes. Une partie, certes infime, de ces résidus aboutira dans l’eau du robinet, ce qui en soi n’est pas préoccupant, vu les dilutions… sauf que cette eau sera bue, en moyenne, pendant 70 ans par la population.
Pour le Pr Haguenoer, ces données, qui confirment d’autres études internationales, doivent amener à limiter et à contrôler plus strictement les rejets, mais aussi à développer des actions de sensibilisation auprès de toutes les professions de santé, et en particulier, bien sûr, des pharmaciens d’officine. Ceux-ci pourraient, eux-mêmes, sensibiliser le public au problème des médicaments non utilisés.
Cette politique existe déjà en Suède, pays traditionnellement proche de la nature : dès 2003, elle a été le premier pays européen à mettre en place une politique de prévention de la pollution par les médicaments, en collaboration avec les médecins et les pharmaciens. Le Dr Ake Wennmalm, directeur des services d’environnements de la région de Stockholm, a présenté à Rouen un « classement environnemental des médicaments » dans lequel ceux-ci sont présentés en fonction de leur « toxicité écologique », sur une échelle de 1 à 10. Les médecins sont invités à prescrire, à effet thérapeutique et à prix égal, le médicament le plus respectueux de l’environnement. Les pharmaciens sont, eux aussi, incités à tenir compte de ces critères, tant lors des substitutions que pour la vente d’OTC. En outre, afin de réduire le volume de médicaments non utilisés, les médecins ne prescrivent qu’un faible nombre de comprimés en début de traitement, afin de s’assurer qu’il sera bien supporté par le malade, et ne finira donc pas dans une armoire ou, pire encore, dans les ordures ménagères. Selon le Dr Wennmalm, cette politique s’est déjà traduite par des changements de comportement de la part des prescripteurs, avec des médicaments « polluants » qui ont nettement reculé au profit de spécialités comparables, mais plus respectueuses de la nature. Les médecins et les pharmaciens sont invités aussi à sensibiliser les patients au fait de rapporter à la pharmacie non seulement les médicaments non utilisés, mais aussi certains conditionnements, comme les patchs et les inhalateurs qui, même vides, peuvent contenir encore des substances actives. De même, la prescription de médicaments vendus dans des emballages réutilisables est vivement encouragée.
Enfin, au-delà des données et des études, ce congrès a amené ses participants à réfléchir aux notions de risque, de probabilité et de certitudes, mais aussi à réapprendre une certaine modestie face au progrès technique et scientifique : il n’y a pas de honte pour un scientifique à dire « je ne sais pas », et l’aveu d’ignorance vaut parfois mieux qu’un excès d’assurance… et doit parfois inviter à la prudence.
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