Cartes mutuelles non valides, adhésions non renouvelées, dossiers de tiers payant incomplets… Le mois de janvier est traditionnellement rude pour les pharmaciens. Cette année, il a été particulièrement difficile. Bon nombre de confrères notent une recrudescence de dossiers non mis à jour et de patients n’ayant pas encore reçu leur carte de complémentaire santé.
Résultat : les rejets de tiers payants se sont multipliés. Et persistaient même à fin février. « J’en ai eu huit ce matin contre un ou deux habituellement », témoigne une pharmacienne de Wattignies dans le Nord. Issam Bouha, pharmacien à Clamart, dans les Hauts-de-Seine, déplore lui aussi de nombreux rejets.
Exaspérés par les complémentaires qui rejettent leurs factures sans aucune explication, les pharmaciens concernés soupçonnent la généralisation de l’assurance complémentaire obligatoire d’être à l’origine de ces dysfonctionnements. L’accord national interprofessionnel (ANI) oblige en effet, depuis le 1er janvier, les entreprises à assurer une complémentaire santé collective à tous leurs salariés, y compris ceux qui disposaient auparavant d’une complémentaire à titre individuel.
Des anomalies
Ces pertes de temps commencent à peser sur le quotidien des pharmaciens, tandis que les rejets plombent la trésorerie des officines. Il est difficile d’y échapper car, d’après Gilles Bonnefond, président de l’Union nationale des syndicats de pharmaciens (USPO), la moitié des pharmacies, seulement, disposent d’un dispositif leur permettant d’interroger en ligne l’acquisition des droits. Il ne reste donc aux autres pharmaciens qu’à adopter la règle stricte « pas de carte valide, pas de tiers payant ».
Une rigueur qu’il est parfois difficile d’appliquer au comptoir. « À mes clients fidèles, je ne peux pas refuser le tiers payant, même en l’absence de carte valide. Je n’ai que l’espoir que la situation se régularise rapidement », se défend Issam Bouha, qui multiplie les recours auprès des assurances complémentaires. « Notre officine est située dans un quartier classé autrefois en ZUP, nous connaissons tous nos patients, nous ne pouvons pas leur refuser le tiers payant », renchérit la consœur de Wattignies, qui dénombre parfois jusqu’à 7 dossiers en attente pour une seule famille.
La Mutualité française repousse catégoriquement les soupçons des pharmaciens. Les plateformes gestionnaires du tiers payant n’en constatent par moins certaines anomalies au sein des complémentaires santé. « Nos clients ont pris du retard en raison d’un nombre plus important d’adhésions et de radiations en ce début d’année ; cela résulte du passage de nombreux assurés individuels en contrat collectif. Il n’est pas rare qu’il faille parfois revoir 200 à 400 garanties dans le paramétrage d’un contrat. Le volet réglementaire pèse énormément sur les systèmes d’informations », constate de son côté, Benoît Laval, directeur commercial de Viamédys.
Cette plateforme, qui gère le tiers payant pour 60 complémentaires (10 millions d’assurés), est elle-même mise en cause par certains titulaires exaspérés de ne pouvoir joindre aucun interlocuteur par téléphone. « Nous sommes sur une phase de stabilisation de notre nouveau centre d’appels. Nous absorbons actuellement 30 % d’appels supplémentaires qui sont noyés par un afflux beaucoup plus important d’appels », reconnaît Benoît Laval, promettant que la situation se rétablira dans le courant de mois.
Scanner les cartes
Une chose est certaine, dans le sillage de l’ANI, nombre de mutuelles ont migré, voire fusionné. Des mouvements qui contribuent à brouiller les cartes des assurés, comme le constate une prestataire chargée de traiter les rejets chez les pharmaciens. « Autrefois, une mutuelle n’avait qu’un seul code préfectoral, aujourd’hui elle peut en avoir jusqu’à trois, ce qui explique de nombreuses erreurs et, donc, des rejets », explique-t-elle, en recommandant aux pharmaciens d’être vigilants sur le contenu des nouvelles cartes, et au besoin de les scanner.
Ceci est d’autant plus utile que de nombreuses mutuelles ont profité de la généralisation de la complémentaire obligatoire pour réviser leurs garanties à la baisse, ce dont n’ont pas toujours pris conscience les patients. Aussi, il n’est pas rare que les pharmaciens découvrent au gré des rejets que si la mutuelle de leur patient n’a pas changé, les couvertures, elles, ont bien été modifiées.
« Les taux de prise en charge ont changé. Ainsi, il n’est pas rare que « le 15 % » ne soit plus couvert. On voit par ailleurs apparaître que des taux « exotiques » sont appliqués sur les vignettes bleues », constate Stéphane Bour, président de l’Union des pharmaciens de la région parisienne (UPRP). Des titulaires déplorent même l’abandon du « 30 % » par certaines mutuelles. « Fait symptomatique, quand nous informons les patients que leur mutuelle ne prend plus le médicament en charge, ils n’en veulent pas et nous répondent qu’ils en ont encore chez eux », relève Laurent Vallier, pharmacien à Clamart, qui redoute l’apparition de soins à deux vitesses.
Cette baisse du niveau des prestations est confirmée par une étude réalisée par Optimind Winter, société de conseil en gestion des risques. « Nous basant sur une comparaison du niveau des garanties avant et après l’introduction de l’ANI, nous constatons un nivellement par le bas des prestations. Les paniers de soin négociés dans le cadre de l’ANI l’ont été a minima », affirme Pierre-Alain Boscher, directeur métier protection sociale chez Optimind Winter, à l’analyse des contrats mis en place dans le cadre des accords de branche. C’est ainsi qu’il note que le reste à charge de l’assuré a particulièrement augmenté en dentaire, où il est passé de 47 % en 2013, à 54 % pour les prothèses, ou encore en hospitalisation, où il atteint désormais 17 %, contre 10 % en 2013.
Quant aux médicaments, il est difficile de chiffrer à l’heure actuelle la part restant à la charge des salariés. Mais il est quasiment certain que les assurés, dont 40 % disposaient auparavant d’un contrat complémentaire santé individuel, ne retrouvent pas le même niveau de garantie dans leur contrat collectif. À moins de souscrire une surcomplémentaire. Selon Optimind Winter, on compte en moyenne 30 % d’adhésions aux surcomplémentaires dans les contrats récemment mis en place, un taux qui varie de 10 % à 60 % selon les entreprises.
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