IL Y A ENCORE peu de temps, la nanomédecine était une affaire d’initiés – chercheurs ou entrepreneurs –, qui voulaient en montrer, voire vendre, les formidables capacités. Pourquoi pas, c’est le jeu, dites-vous peut-être ? Certes ! Mais, force est de constater qu’un tel positionnement n’inspire pas forcément confiance. Et ça se comprend. C’est en cela justement que la journée scientifique de la nanomédecine qui s’est tenue à la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie a été différente. Retour sur ce colloque fort intéressant mené, tambour battant, par le doyen de la faculté, le Pr Serge Uzan, l’un des organisateurs.
État de l’art
En accord avec le positionnement – une journée découverte et non pas un congrès axé sur les nouveautés –, l’essentiel du temps a été consacré à la découverte du potentiel de la nanomédecine.
Laurent Levy, cofondateur de la société Nanobiotix, qui démarre un essai de phase I avec un dispositif médical basé sur les nanotechnologies visant à augmenter l’effet des radiothérapies (« le Quotidien » du 19 octobre 2010), s’est ainsi bien acquitté de la tâche demandée : familiariser le public avec les « nanoconcepts » et ouvrir les discussions thématiques. Sa « vue de d’hélicoptère » de la nanomédecine a bien sûr rappelé que la taille nano – un milliardième de mètre – rend les nano-objets capables d’entrer dans la cellule et d’interagir avec les molécules. Elle modifie aussi leurs propriétés, car, à cette échelle, jusqu’à 60 % d’atomes peuvent être au contact de l’extérieur, et donc elle leur donne des propriétés inédites intéressantes, surtout lorsque la nanochose est créée pour avoir des caractéristiques voulues (le cas justement du traitement de Nanobiotix). Il a également rappelé qu’un certain nombre de produits nano sont déjà utilisés en médecine, en diagnostic in vitro (test de grossesse par exemple), in vivo (agents d’imagerie) et en thérapeutique (Avastin).
Elias Fattal, professeur de pharmaceutique à l’université Paris-XI, a décrit les différentes propriétés et formulations possibles pour des nanomédicaments. Les différentes générations offrent des capacités de plus en plus puissantes, allant d’une « simple » vésicule jusqu’aux vecteurs dirigeables
et contrôlables, utilisables à des fins théranostiques (diagnostic + thérapie). Mais qui dit ciblage dit connaissance des cibles, et c’est souvent là que les choses se corsent.
Le Dr Pierre Attali, directeur général délégué Stratégie et Affaires médicales du Laboratoire BioAlliance Pharma a, quant à lui, présenté les difficultés très formatrices que l’entreprise a connues avec une formulation nano de la doxorubicine (Doxorubicine Transdrug) dans le cancer primitif du foie. L’essai clinique de cette formulation a été arrêté en phase II/III en raison de trois décès avec lésions pulmonaires aiguës, en dépit de résultats cliniques majeurs. Une étude a ensuite permis de relier cette toxicité respiratoire à la vitesse de perfusion qui produisait un effet dose. L’intérêt clinique marqué a poussé l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) à conseiller une modification du protocole avant la reprise de l’étude. « La nanoformulation a ici créé une efficacité nouvelle et une distribution nouvelle, mais aussi une toxicité nouvelle, a expliqué Pierre Attali. Il s’agit finalement d’un nouveau produit qu’il faut évaluer à part entière. » L’exposé du Dr José Bockowski, directeur de recherche à l’INSERM, a complété cet aperçu de la toxicité supposée ou démontrée des nanoparticules, montrant ainsi les limites du système.
L’environnement : éco, socio, éthique
Robert Plana, du ministère de la Recherche*, a été un des invités du chapitre « Dressons le décor général ». Il a rappelé que « la nanomédecine est une des priorités de l’État » et va dans le sens du rapprochement recherche-innovation-enseignement, comme de celui public-privé, qu’il a salué côté business.
Son intervention a préparé le terrain pour celle d’un invité venu d’Israël, Ophir Shaaf, résident du directoire général de Hadasit Bio-Holding Ltd, un incubateur privé, qui, en présentant leur façon de valoriser la recherche en santé et de soutenir des entreprises à haute valeur technologique a partagé sa vision offensive de la valorisation. Le Pr François Berger, de la faculté de médecine de Grenoble, également directeur scientifique de Clinatec, centre de recherche médicale en naissance, a – en contrepoint – parlé de la valorisation de la technologie en santé, en décrivant comment les neurologues ont résolu des problèmes d’accessibilité et de précision que posent les traitements destinés au cerveau en demandant de l’aide aux technologues.
Robert Plana a également évoqué des aspects sociaux et éthiques, en précisant les actions de l’État sur ce créneau : d’une part aider à faire la lumière sur la partie toxicologique et, d’autre part, initier les chercheurs aux aspects éthiques. La journée a contribué à ce deuxième effort, car les présentations se sont terminées par un thème d’ouverture « Imaginaire et nanomédecine ». Louis Laurent, le directeur du Campus Paris-Saclay, a partagé avec l’auditoire un intéressant aperçu de l’imaginaire qui entoure le nanomonde, à la frontière de la science-fiction et du thriller, autour des concepts de la fabrication à l’infini, des nanocréatures pouvant infiltrer tout et de l’amélioration de l’homme. Le Pr Alain Grimfeld, président du Comité national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, a fini par une évocation passionnée des enjeux éthiques.
Une organisation public/privé inédite et « nanonaïve »
Dernière (ou première ?) nouveauté de cette journée : il s’agirait d’une initiative lancée non par des pionniers du secteur, mais par des « nanonaïfs », le doyen d’une faculté de médecine (Pierre-et-Marie-Curie) et un groupe d’hospitalisation privé (Vedici), interpellés par le potentiel de la nanomédecine, tant pour la formation que pour les soins.
« Pourquoi je m’intéresse à la nanomédecine?? a lancé le doyen Serge Uzan en préambule. Parce que j’ai eu en 2009 plus de 20?000 séjours de plus de 24 heures dans mon institut de cancérologie ! » Il envisage d’inclure la nanomédecine dans le parcours original double médecine/science (MD/ PhD) que sa faculté propose depuis six ans. Le maintien de « l’accès aux nouveautés en temps réel » pour ses troupes est aussi un objectif affiché, d’où sa volonté d’organiser cette journée à la faculté et de pouvoir y convier ses enseignants. Jérôme Nouzarède, le président du groupe Vedici, s’est quant à lui déclaré « en veille, pour ne pas rater les évolutions médicales et sociétales ». Les deux ont répété à plusieurs reprises être volontaires pour « casser des silos, enterrer des guerres anciennes et aller vers le décloisonnement public-privé... ».
* Département de physique, mathématiques, nanosciences et nanotechnologies, technologies de l’information et de la communication.
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