Le Quotidien du pharmacien.- Pour quelles raisons les pharmaciens n’ont-ils pas rejoint lundi les médecins, les infirmiers, et les kinés ainsi que d’autres professions libérales, comme les avocats, dans les manifestations organisées contre la réforme des retraites ?
Monique Durand.- Compte tenu des annonces récentes du Premier ministre, il nous a semblé opportun de donner une chance à la concertation. Ce qui n’empêche pas que nous restons très attentifs sur l’évolution du dossier et que nous nous réservons, bien entendu, la possibilité d’organiser une mobilisation de grande ampleur.
Pourtant, dans la mesure où le projet de réforme des retraites envisage une hausse drastique des cotisations, les pharmaciens n’ont-ils pas, tout autant que ces professions, à redouter une asphyxie ?
Tout à fait car selon le projet de réforme émis par le Haut conseil à la réforme des retraites (HCRR), le taux de cotisations des pharmaciens devrait passer de 17 % (1) aujourd’hui, à 28 %. Ce qui, de facto, assécherait notre régime complémentaire en laissant peu de marge de contribution aux pharmaciens.
Ce taux d’effort n’est pas acceptable pour la profession. Nous n’avons pas les mêmes besoins de cotisations, ni les mêmes modes de rémunérations que les salariés. Nos revenus peuvent être soumis à de fortes variations, ce qui explique que notre retraite ne peut être coulée dans le même moule.
De même, les décideurs confondent les professions libérales et les indépendants. À la différence des artisans/commerçants, comme toutes les professions libérales réglementées, nous ne pouvons décider pour nous-mêmes du niveau de notre rémunération.
Rappelons que nous n’avons pas été d’emblée opposés à la création d’un régime universel mais nous dénonçons farouchement le projet de réforme en tant que tel car il signe la fin de notre régime complémentaire qui repose sur deux piliers : la répartition et la capitalisation. Le projet Delevoye, c’est l’étatisation de notre retraite.
Cette réforme arrive par ailleurs au mauvais moment pour la profession qui peine à équilibrer l’économie officinale et alors que le marché des cessions ne laisse plus entrevoir aux pharmaciens les perspectives d’autrefois pour assurer leur retraite. Disposeront-ils dans ces conditions de capacités contributives suffisantes pour abonder au régime complémentaire ?
Aujourd’hui, la majorité des pharmaciens ne peuvent contribuer davantage qu’à hauteur de 1,5 PASS (2) quand Jean-Paul Delevoye réclame 3 PASS ! C’est méconnaître, de la part du Haut-commissaire, les spécificités des professions libérales que de leur appliquer un copié-collé de ce qui a été conçu pour les salariés. De toute évidence, le Haut-commissaire n’a pas pris la mesure des efforts consentis par les professions libérales pour gérer durablement leur régime. La question des réserves le prouve bien. On essaie de gommer du débat une caisse (la CAVP N.D.L.R.) qui a fait les preuves de sa bonne gestion et de ses facultés à garantir son équilibre. Je le maintiens, notre régime est exemplaire, il est parfaitement équilibré et n’a jamais reçu d’aide de quiconque, contrairement à d’autres.
La profession détient en effet un régime complémentaire inédit, reposant à la fois sur la capitalisation et sur la répartition. Pensez-vous que le maintien de ces deux piliers soit possible dans la configuration du futur système de retraite ?
Nous le revendiquons d’autant plus fort que nos prédécesseurs ont eu l’intelligence de construire notre système sur cette part de capitalisation. Ce modèle est très pertinent car il permet de mieux résister aux aléas démographiques. Or, déjà aujourd’hui, notre système par répartition doit assurer une survie à 30 ans. En un mot, actuellement quand un pharmacien part à la retraite à 62 ans, les cotisations d’un autre pharmacien doivent assurer sa retraite pendant trente ans ! On estime que, à l’aube de 2040, il pourrait y avoir 1 pharmacien cotisant pour 1,5, voire 2 pharmaciens retraités.
Le retour d’un système de retraite par capitalisation étant aujourd’hui un tabou en France, les décideurs restent par conséquent imperméables à vos propositions de modèle.
Cela est regrettable car le caractère obligatoire de notre pilier par capitalisation constitue une spécificité que certaines professions, comme les chirurgiens-dentistes, cherchent aujourd’hui à dupliquer. Elle présente en effet l’avantage d’être gérée par la profession (3), dans l’intérêt de la profession, avec des modèles actuariels ajustés. C’est dire les risques qu’encourrait la profession si on nous forçait à sortir de ce cadre. Nous en perdrions la gouvernance. De plus, il est faux selon moi de croire qu’à partir d’une certaine taille, on est plus performant. Ce qui ne veut pas dire que nous ne serions pas prêts à mutualiser certaines fonctions avec d’autres caisses, comme l’actuariat, par exemple.
Sur quels points ne transigerez-vous pas lors de la concertation avec le gouvernement ?
La ligne rouge pour nous est un système qui ne laisse plus de place à notre régime complémentaire. Mais j’ai bon espoir d’être encore entendue. L’expérience du décret placement m’a appris que lorsqu’on présente aux décideurs des arguments étayés de chiffres, il est possible de faire bouger les lignes. En tout état de cause, je n’envisage aucune autre solution, car cela reviendrait à déjà accepter la défaite.
La mobilisation de toute la profession est donc requise pour sauver notre régime de retraite complémentaire, nous en appelons donc aux syndicats, mais aussi à l’Ordre, à l’origine de la CAVP, et qui a pour mission de garantir la solidarité et l’avenir de la profession.
(1) Taux de cotisations au régime de base de 10 %, soit 8,23 % pour la tranche1 (jusqu’à 39 732 euros par an, montant du plafond annuel de la Sécurité sociale, PASS) générant 525 points maximum par an, maximum, et 1,87 % pour la tranche 2 (plafond équivalent à 5 fois le montant du PASS), sachant que cette dernière ne génère que 25 points par an maximum. Le taux de cotisation à la retraite complémentaire est de 7 % (soit 5 680 euros, par semestre, pour la part gérée par répartition). Les versements annuels à la retraite par capitalisation vont de 2 272 euros (classe 1) à 13 632 euros (classe 13). Données 2018, sources CAVP.
(2) Plafond annuel de la Sécurité sociale (40 524 euros). Soit 1,5 PASS (60 786 euros), 3 PASS (121 572 euros).
(3) La CAVP est actuellement gérée par 29 pharmaciens administrateurs titulaires (29 pharmaciens administrateurs suppléants).60 052 pharmaciens y sont affiliés (30 725 pharmaciens actifs dont 456 conjoints collaborateurs et 23 618 pharmaciens retraités de droits directs).
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