À l'heure où l'exercice coordonné est fortement encouragé par les pouvoirs publics, la possibilité offerte à tous les pharmaciens de vacciner contre la grippe ne plaît pas à tout le monde.
Après les médecins, c'est au tour des infirmiers d'exprimer leur colère. En commentaire d’articles consacrés au sujet ou sur les réseaux sociaux, des infirmiers dénoncent un « matraquage médiatique » promouvant la vaccination à l’officine. Et n'hésitent pas à vilipender le comportement de certains officinaux. « À Paris, j'ai l'impression que nous ne sommes plus concernés, témoigne une lectrice désabusée du site « Infirmiers.com ». « Je vaccinais "à tour de bras" jusqu'à l'an dernier, cette année je ne l'ai fait qu'une dizaine de fois. On me retire une partie de mon travail, je pense que je vais me mettre à vendre des compresses… Avant, les patients étaient vaccinés par les infirmières, aujourd'hui ils le sont par les préparateurs », accuse l'internaute particulièrement remontée. Ailleurs sur la Toile, d'autres infirmiers ne digèrent pas non plus ce qu'ils assimilent à un « vol de compétences ». Sur sa page Facebook, le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL) suggère à ses adhérents « d'inonder les réseaux sociaux » avec un smiley et le slogan : « Vacciner c'est aussi MON métier ! » D'autres proposent même carrément « Faites-vous vacciner par un soignant pas par un commerçant ! »
« Les pharmaciens nous court-circuitent »
Dans la Mayenne, 79 officines vaccinent contre la grippe depuis le 15 octobre. Interrogée par « France Bleu », une infirmière lavalloise soupçonne que les pharmaciens ne prennent pas la peine de vérifier si les patients sont déjà suivis par un membre de sa profession. « Je ne les mets pas tous dans le même panier mais on a un peu l'impression de se faire couper l'herbe sous le pied. Les pharmaciens devraient venir en complément de notre action et ne pas nous court-circuiter en disant à nos malades : venez, on va vous faire le vaccin. »
Pourtant, depuis son comptoir à Changé, ville de 6 000 habitants, Éric Pinçon, coprésident du Syndicat des pharmaciens de Mayenne (FSPF), n'observe pas à une « guerre » entre les deux professions, loin de là. « Les infirmiers de ma commune n'étaient pas très favorables au début, mais aujourd'hui il n'y a pas de tensions particulières. Actuellement, je vaccine environ un quart des patients qui viennent retirer leur bon et la majorité des autres vont plutôt voir les infirmiers que les médecins. » Pour Éric Pinçon, ce qui reste le plus important c'est bien le fait que de nouvelles personnes soient sensibilisées à l'importance d'être protégées contre la grippe. « J'ai vacciné des patients qui m'ont dit qu'ils ne seraient pas allés voir un infirmier pour cela par manque de temps. Leurs permanences sont souvent ouvertes à des heures où les gens travaillent, ce n'est pas toujours pratique. »
Des craintes « largement exagérées »
Dans les quatre régions où les pharmacies ont expérimenté la vaccination antigrippale, des infirmiers libéraux affirment être « au bord de la rupture ». Pénalisés par une baisse « drastique » de leur activité, certains s'inquiètent désormais pour leur avenir. C'est notamment le cas dans les Hauts-de-France, où des infirmiers ont accusé les pouvoirs publics de « vouloir les faire disparaître », dans un article paru dans « La Voix du Nord ». Des craintes « largement exagérées » pour Grégory Tempremant, président de l'URPS pharmaciens et titulaire à Comines dans le Nord. « Il est vrai qu'une petite concurrence existe avec les infirmiers qui ont des permanences, mais les pharmaciens ne peuvent être tenus pour responsables de l'ensemble des difficultés qu'ils rencontrent. La vaccination en officine est déjà autorisée dans de nombreux pays. Notre profession évolue et la leur aussi, comme l'illustre la mise en place du diplôme d'infirmier en pratique avancée. »
Grégory Tempremant regrette vivement que des témoignages dans la presse locale et certaines « postures syndicales » donnent une vision déformée de la situation alors que sur le terrain « ça se passe bien », selon son ressenti. « Certaines fausses informations qui ont circulé, comme cette histoire de pharmaciens qui toucheraient un forfait de 100 euros pour 5 patients, créent des crispations et c'est bien dommage », regrette Grégory Tempremant.
Le mal-être des infirmiers en toile de fond
Et si ces aigreurs avaient d'autres origines ? Une récente consultation de la profession (voir ci-dessous) montre en effet que 89 % des infirmiers ne se sentent pas assez considérés dans leur métier. Un sentiment renforcé par l'échec des revendications syndicales pour une extension de la vaccination contre d'autres pathologies. Le principe même d'offrir à tous les pharmaciens la possibilité de vacciner contre la grippe sonne donc comme une défaite pour des syndicats comme le SNIIL. « À l’origine, il s'agissait de faciliter les vaccinations dans des secteurs où les médecins et les infirmiers sont peu nombreux ou dans des zones peuplées où la demande est très forte. Quand cela nous a été présenté, il était question de complémentarité et non pas de substitution », regrette ainsi la présidente du SNIIL, Catherine Kirnidis, dans un article publié sur le site de « France 3 ».
Pour autant, tous les représentants de la profession infirmière ne voient pas ce nouveau « pouvoir » confié aux pharmaciens comme une forme de concurrence. C'est notamment l'avis de Cyril Moulin, président de l'Ordre des infirmiers de Franche-Comté : « Les pharmaciens ne vaccinent pas les mêmes populations que les infirmiers, observe-t-il. Jusqu'à présent, je n'ai pas eu beaucoup de retours faisant état d'une concurrence agressive dans mon secteur, rapporte l'ordinal ; si ailleurs en France on entend des infirmiers se plaindre, j'ai tout de même un peu de mal à croire les discours de ceux qui disent avoir perdu 30 à 35 % de leurs patients. »
Dans la région où il exerce, Cyril Moulin a pu participer à des réunions en amont avec l'Ordre des pharmaciens. Ces discussions ont permis d'apaiser les tensions et de fixer un cadre précis, plus précisément la rédaction d'une charte éthique par laquelle les officinaux s'engagent à ne pas détourner la patientèle si une personne a déjà recours à un infirmier traitant. Un engagement qui devrait rassurer les infirmiers. D'autant qu'ils ont eux-mêmes obtenu récemment la possibilité de vacciner contre la grippe tous les patients sans prescription.
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