L'étude des prétendues reliques de Jeanne d'Arc

Quand le pharmacien lève les doutes de l'apothicaire

Publié le 15/10/2009

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Philippe Charlier est médecin légiste et expert en paléopathologie. Au dernier Forum des pharmaciens Giphar, il a évoqué son travail sur les prétendues reliques de Jeanne d'Arc. C'est un apothicaire qui les avait fait ressurgir, en 1867. Et c'est avec l'aide d'un pharmacien que le chercheur est parvenu à la percer leur mystère.

EN 1867, un apothicaire parisien affirme détenir, dans un petit bocal, des restes calcinés de Jeanne d'Arc. C'était l'époque où l'on redécouvrait la Pucelle d'Orléans, après des siècles d'oubli. L'Église voulait la béatifier, des politiques y voyaient un mythe national en puissance. À leurs yeux, ces reliques, conservées depuis au M

musée d'Art et d'Histoire de Chinon, sont une aubaine. Car il ne reste pas grand chose de la pauvre Jeanne. En 1431, après son procès en sorcellerie, elle est condamnée au bûcher, à Rouen. Pour éviter tout culte posthume, les Anglais veulent qu'elle soit totalement réduite en cendres. Trois crémations successives sont nécessaires. La première voit mourir la jeune femme par intoxication au monoxyde de carbone. La seconde laisse le tronc et le cœur, qui palpitait encore, selon des témoins. Un troisième foyer est allumé pour ne plus avoir du corps qu'un tas de cendres, jetées à la Seine par le bourreau. Dès lors, ce flacon retrouvé dans la pharmacie peut-il vraiment en contenir ? Oui, si l'on se fie à son étiquette, qui porte la mention : « Restes trouvés sous le bûcher de Jeanne d'Arc, Pucelle d'Orléans ».

Parfum de vanille.

En 2006, le mystérieux flacon atterrit dans les mains du Dr Philippe Charlier, médecin légiste et spécialiste en paléopathologie. Il est l'expert français chargé de faire parler les restes mortifères. À son crédit, la vérité sur plusieurs morts suspectes de l'histoire. Il est ainsi parvenu à montrer qu'Agnès Sorel, favorite de Charles VII, a été empoisonnée. Aujourd'hui, Philippe Charlier doit travailler sur les cœurs de Louis XIV et de Louis XV, ensevelis dans la basilique de Saint-Denis. Aux pharmaciens réunis lors du dernier Forum du Giphar, il a exposé son travail pour démêler le faux du vrai au sujet des prétendus restes de Jeanne d'Arc. Une quinzaine de chercheurs interviennent auprès de lui. Ce sont des chirurgiens, des anthropologues, des historiens, des chimistes ou encore des pharmacologues. « Le flacon contenait un bout de côte humaine recouverte d'une couche noirâtre, des fragments de textiles brûlés, un fémur de chat et du charbon de bois », détaille le spécialiste des morts. Il y avait aussi du pollen de pin et un segment de poil de chien. Une analyse chimique de la côte est réalisée par Joël Poupon, pharmacien biologiste de l'hôpital Fernand Widal. Elle montre que cet élément n'a pas été brûlé, mais imprégné d'un produit minéral de couleur noire. Sa composition s'apparente à du bitume, et non à des résidus organiques réduits à l'état de charbon par crémation. L'analyse du pharmacien est confirmée par les « nez » des parfumeurs Guerlain et Jean Patou, qui ont notamment décelé sur la côte une odeur de vanille. Ce parfum peut être produit par la décomposition d'un corps, comme dans le cas d'une momification, et non par sa crémation.

Des chats au feu.

Le tissu, fait de lin, n'a pas été brûlé, lui non plus. Il a été teint. Sa matière se rapproche de celle de linges utilisés par les Égyptiens pour envelopper les momies. « La présence féline n'aurait rien eu d'étonnant, puisque des chats noirs étaient jetés au bûcher avec les condamnés pour sorcellerie », explique Philippe Charlier. En l'occurrence, il s'agit d'un chat adulte de race non européenne. Quant au poil de chien, il se trouvait là comme sur un grand nombre de vêtements, hier comme aujourd'hui. La trace de pollen s'expliquerait par l'usage de résine pour embaumer les morts en Égypte. Au final, l'étude au carbone 14 a permis de dater les restes entre le VIIe et le IIIe siècle avant Jésus-Christ. La spectrométrie de masse effectuée sur la surface des os confirme qu'ils correspondent à ceux de momies égyptiennes de la Basse Époque. Que faisait donc ce flacon sur l'étagère d'une pharmacie ? Les restes de momies étaient autrefois couramment utilisés pour traiter les maux d'estomac et les règles douloureuses. Si l'énigme est résolue, il reste une question : l'apothicaire était-il un mystificateur ou un amateur de bonnes blagues ?

› MATTHIEU VANDENDRIESSCHE