LA PHARMACIE de Simone Bruet, à Six-Fours (Var), a le plafond dans les nuages. La maquette d'un avion de 2,5 mètres d'envergure plane au-dessus des comptoirs. Cette création de Jean-Claude Vuagnoux commémore un épisode tragique de la seconde Guerre mondiale en Provence. Le 16 août 1944, au lendemain du Débarquement, le P38 Lightening, piloté par le major Franklin Robinson, est abattu par les Allemands. L'endroit du crash se trouve tout à côté de l'officine. Simone Bruet ne voulait pas passer à côté de cet événement qui a marqué les esprits. Depuis mai 2007, profitant du transfert de sa pharmacie, elle fait installer cette maquette, magnifiquement éclairée la nuit. « C'est la plus grande reproduction d'un avion qui soit aussi capable de voler, explique la titulaire. Nous l'avons déjà vu dans les airs, c'est impressionnant ! » Très vite, la « pharmacie de l'avion » fait parler d'elle, attirant ceux qui, à Six-Fours, ont connu l'épisode. L'équipe municipale veut même s'inspirer de la maquette pour édifier une sculpture commémoratrice. « À cinquante ans passés, mon mari et moi avons voulu nous faire plaisir », confie la pharmacienne. Car l'installation a un coût. Mais aussi un impact non négligeable sur le chiffre d'affaires. La pharmacie ne se prive pas d'explorer sa notoriété, éditant des sacs à l'effigie du bombardier.
On lui a déjà demandé des cartes postales du décor de son officine, mais Manuela Vergneau ne peut les fournir. Sa pharmacie de Rosny sur Seine (Yvelines) propose, elle aussi, une évocation artistique du temps passé. Il y a trois ans, la titulaire décide de faire un clin d'œil à l'histoire locale. D'emblée, son choix se porte sur Sully, célèbre ministre d'Henri IV, natif de Rosny. « Il est incontournable, avec sa grande statue à l'entrée du village. Du coup, je craignais un peu de m'approprier cet emblème de la commune », reconnaît Manuela Vergneau. Son idée était la bonne. Un portrait en buste de l'homme d'État s'étale sur ses tiroirs de médicaments, autrefois peints en blanc cassé. « Cela n'a pas été si simple de trouver un visuel exploitable. Il lui fallait un sourire, un rictus ». Outre son regard bienveillant, Sully offre de belles tonalités de jaune et de vert, qui sont reprises dans tout l'espace de vente. « Pour rien au monde, je ne voudrai qu'on nous l'enlève », s'exclame notre consœur.
Une hausse de la fréquentation.
Ces réalisations ont été conçues par l'agenceur spécialisé Pierre Botton. S'appuyant sur des artistes (Mozart Guerra, Florence Roqueplo, Emmanuel Lebrès, etc.), il propose de telles créations aux pharmaciens cherchant à surprendre et à se différencier. « Nous les aidons à se définir en fonction de leur goût, mais aussi de l'environnement géographique et de la clientèle de l'officine », argumente t-il. Le concept joue sur l'équilibre, obéit à des règles. « Plus la création est dans l'excès, le mouvement, plus on doit basculer dans le traditionnel. C'est-à-dire en valorisant des meubles anciens ou en rappelant la généalogie des titulaires », indique l'agenceur. Ces décors sont évolutifs : « Certains visuels varient selon les thèmes et les saisons, tout les 3 à 6 mois. » Pourtant, cette mise en scène ne s'adresse pas à tous. « Les créations artistiques n'entrent pas partout. Il faut des pharmaciens motivés, qui y croient et qui en ont le potentiel », souligne Pierre Botton. Un million d'euros de chiffre d'affaires annuel constitue un minimum pour optimiser sa démarche. L'originalité a un coût : 15 000 euros en moyenne pour donner une touche nouvelle à l'officine, jusqu'au concept complet, aux alentours de 100 000 euros. En retour, l'officine peut espérer au moins 25 % de fréquentation en plus. « Cela contribue à faire entrer les gens dans la pharmacie. Mais pour les garder, il faut le service et le professionnalisme des officinaux », rappelle l'agenceur.
Sa palette artistique appliquée à la pharmacie semble sans limites. Ainsi, dans le 13e arrondissement de Paris, Annie Fitoussi et son associée ont opté pour une évocation des fameuses sculptures de Niki de Saint Phalle. Les statuettes sont fixées sur le comptoir depuis trois ans. Elles ont été bien accueillies dans ce quartier où vivent de nombreux peintres, explique la titulaire. Chez Roselyne Rousson, à Roquebrune-sur-Argens (Var), la création est empreintée au musée Guggenheim de Bilbao : « J'en avais assez du décor de mon officine, très typé années 1980. Je voulais de la transparence, l'impression de quelque chose d'aérien. » Pierre Botton lui propose alors des panneaux en plexi glass décorés de figures circulaires et colorées. Sur les murs sont installés de grands panneaux où dominent le vert et le rouge, mais qui n'évoquent rien de bien précis (certains y voient des silhouettes évoluant sur des escalators). Ses réalisations, menées en 2004, s'inscrivent dans une modernisation de l'officine, désormais dotée de robots.
« Orthopédie désincarnée ».
Autre emprunt aux mouvements artistiques contemporains, celui effectué il y a quatre mois par la Grande pharmacie des Sports, située porte Maillot, à Paris. De Warhol à Wuhrlin, il n'y a qu'un pas allègrement franchi avec l'appui de l'agenceur. Celui-ci a fait appel à une fresque inspirée de l'œuvre du maître du Pop Art, placée en vitrine et dans l'espace de vente. Elle regroupe des portraits d'identité de clients de l'officine. « C'est très original, ça attire l'œil. Et puis les clients sont ravis. Cela crée un lien particulier avec eux », constate Patrick Wuhrlin, le titulaire. Avantage : les photos peuvent être modifiées au fil du temps. Des lumières clignotent de façon permanente en vitrine. Elles aussi peuvent varier, six couleurs différentes étant disponibles. Toujours en vitrine, s'étale une présentation d'accessoires d'orthopédie « désincarnés ». Roues de fauteuil et béquilles sont placées sous verre. « C'est très design, sans faire fouillis », estime le titulaire parisien. Selon lui, l'intérêt est à la fois esthétique et commercial. La fréquentation de l'officine a augmenté de plus de 20 % depuis cette mise en place. L'attrait de ses présentations est indéniable, qu'elles évoquent l'art ou qu'elles soient carrément des œuvres contemporaines.
Ainsi, à Viry-Chatillon (Essonne), dans l'officine de Sabine Vellard et Jean-Christophe Roques, les clients sont accueillis par une immense sculpture en plastique soufflé. Déjà, depuis l'extérieur, le ton est donné. La pharmacie est lovée dans un bâtiment à l'architecture futuriste. En entrant, ils passent sous cette énorme bulle d'air, une œuvre de Vincent Lamouroux. Il s'agit d'un prototype de celles que l'artiste expose aux Abattoirs, musée d'art moderne et contemporain de Toulouse. « Chacun y voit ce qu'il veut. Pour les enfants, c'est un grand ballon de baudruche. Pour moi, cela évoque plutôt un amas moléculaire », confie la pharmacienne. L'œuvre est surveillée de près, car elle peut perdre en pression. Globalement, elle est bien perçue par la clientèle depuis son installation. « Cela n'a pas d'impact direct sur la fréquentation de l'officine. Mais il est certain que ça fait parler de soi », estime Sabine Vellard.
Une philosophie de vie.
Armand Lepot, agenceur et dirigeant de Média 6 Pharmacie, a participé à l'installation de l'œuvre. Lui-même ne propose pas ce type de concept, mais répond aux demandes ponctuelles de clients. « Attention car cela peut vraiment alourdir les coûts d'agencement », prévient-il. Armand Lepot met également en garde les pharmaciens sur le risque de renvoyer une image trop haut de gamme. À Nantes, Françoise Plessis n'a pas eu ce sentiment, en installant une partie de l'œuvre « Cathédrale », de son ami l'artiste Jean-Paul Marcheschi (avec l'aide de l'agenceur Mobil M-Coupechoux). « Ces extraits étaient en transparence sur des murs de lumière. Ils constituaient des passages lumineux, entraînant les clients de la grande pièce ronde de la pharmacie vers une autre, plus petite, où se trouvait un espace de confidentialité », décrit Françoise Plessis, qui a cédé l'officine il y a quatre ans. L'espace en question permettait de dispenser des conseils sur les huiles essentielles, l'herboristerie ou encore les élixirs floraux. « Nous passions du temps avec le client, s'il éprouvait le besoin de s'épancher un peu », se souvient l'ex-titulaire. Selon elle, l'œuvre donnait lieu à des conversations sortant du cadre de la maladie. Sa proximité, place Graslin, avec le théâtre, lui amenait acteurs et chanteurs aimant se trouver dans cette atmosphère teintée d'art. « On se projette dans son officine. Pour moi, il n'y a pas la pharmacie d'un côté et, de l'autre, le reste de ma personnalité. C'est un tout », affirme t-elle. Voilà pourquoi l'œuvre a quitté l'officine depuis sa cession. Reste la grande clarté qui baigne l'espace de vente. « Mais la lumière ne vient pas seulement de l'extérieur ou d’une œuvre. C'est aussi ce que chacun donne à travers ce qu'il est », conclut-elle.
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