Me PHILIPPE FRICHOT, AVOCAT AU BARREAU DES HAUTS DE SEINE
n CJCE : VICTOIRE OU RÉPIT ?
L’année 2009 aura vu l’attention de tous les officinaux se tourner vers la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) et leurs regards ne devraient pas s’en détourner dans l’avenir, puisque cette juridiction est saisie de la question essentielle du maillage pharmaceutique (Autriche et Asturies : conclusions de l’avocat général Poiares Maduro du 30 septembre 2009).
Elle restera également en première ligne sur la question essentielle de la lutte contre la contrefaçon, puisque c’est seulement à l’échelle de l’Europe que cette lutte pourra être menée avec efficacité.
Mais le chapitre des bonnes nouvelles demeurera marqué par les arrêts rendus par cette Cour le 19 mai 2009 qui consacrent une victoire de la thèse des officinaux sur la propriété du capital des officines. Pour autant, cette victoire est-elle définitive ou s’agit-il d’un simple répit ?
Pour le savoir, il convient d’analyser le raisonnement des juges, en commençant par constater qu’ils reconnaissent que la règle d’exclusion des non-pharmaciens du capital des officines constitue une restriction à la liberté d’établissement (art. 43 CE) et à la libre circulation des capitaux (art. 56 CE). Cependant, la Cour relève le caractère particulier des médicaments dont la mauvaise utilisation ou la surconsommation peut entraîner des risques pour la santé publique et des coûts considérables pour les systèmes d’assurance-maladie.
Se fondant sur la subsidiarité, instituée par l’article 152 du traité, la Cour juge : compte tenu de la faculté reconnue aux États membres de décider du niveau de protection de la santé publique, un état peut exiger que la distribution de médicaments soit assurée par un pharmacien jouissant d’une indépendance professionnelle réelle. La Cour adopte donc la thèse que, bien que le pharmacien poursuive « l’objectif de la recherche de bénéfices », son indépendance professionnelle est garantie par son statut libéral. Or, pour d’autres professionnels de santé (médecins, dentistes ou biologistes), la cause est entendue depuis longtemps : leur indépendance n’est pas fonction de leur statut juridique.
Pourquoi le pharmacien ferait-il exception et cette exception est-elle durable ?
On peut légitimement s’interroger en se rappelant que la même juridiction avait préalablement (arrêt Doc Morris du 11 décembre 2003) admis la possibilité de vente par correspondance de médicaments non soumis à prescription médicale.
On constate également l’inanité de certains combats qui ont opposé la profession à son vieil ennemi, la grande distribution, pour la vente des OTC hors des officines. En vertu de cet arrêt, les Leclerc, Casino, Carrefour ou Auchan pourraient, dès aujourd’hui, commercialiser des OTC, en toute légalité au regard du droit communautaire. Il suffirait qu’ils le fassent par l’intermédiaire d’un site de vente en ligne…
La vigilance demeure donc de mise, d’autant plus que le chapitre des mauvaises nouvelles demeure nourri par la crise économique. Cette crise contribue, en effet, au creusement des déficits sociaux, déjà abyssaux ; le ralentissement économique a entraîné une baisse des recettes. « Le déficit 2009 est lié à la crise et non à un dérapage des dépenses. »
Elle pousse donc la Sécurité sociale à exercer chaque année une pression sur les marges des officines. Elle fragilise par ailleurs les plans de financement ou les trésoreries trop optimistes. Elle induit également une stagnation du chiffre d’affaires, comme s’accordent à le constater les différents observateurs (INTERFIMO, Fiducial, KPMG). Cela n’est pas sans conséquence, puisque, en 2008, sur la seule région parisienne, 85 pharmaciens ont rendu leur licence, faute de repreneurs.
On en prend conscience au plus haut niveau, puisque la ministre de la Santé reconnaît que : « il est vrai que l’exercice pharmaceutique exige des moyens logistiques de plus en plus importants qui sont incompatibles avec des tailles d’officines trop petites » (62e congrès des pharmaciens à Strasbourg).
Le PLFSS 2010 n’en consacre pas moins la poursuite de la tendance au resserrement des marges, le gouvernement annonçant, outre une lutte appuyée contre la fraude, des mesures de déremboursement de médicaments et l’augmentation de 25 % du forfait journalier dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010.
Le taux de remboursement des médicaments à « service médical rendu insuffisant », selon la Haute Autorité de santé (HAS), passerait donc de 35 % à 15 %. Reste à connaître la position qu’adopteront les complémentaires santé vis-à-vis de ces médicaments…
Les malades devraient donc payer plus cher, ce qui devrait encore ralentir leurs achats à l’officine.
En 2009, les objectifs d’une meilleure maîtrise des dépenses ont pourtant été tenus, puisque l’accroissement des dépenses courantes de santé, remboursées ou non, se situe, cette année, autour de 3,9 %, selon le rapport d’experts remis à la Commission des comptes de la santé. En outre, la profession a subi comme une contrainte supplémentaire l’arrivée des grands conditionnements.
Dans le même temps, certains rapports (Cour des Comptes, 60 millions de Consommateurs, Que Choisir, DREES, INSEE) ont tendance à présenter les officinaux comme des nantis.
Rappelons enfin que les procédures contre l’Autriche et la France ne sont pas encore arrivées devant la Cour de justice européenne.
Ce serait donc une grave erreur de considérer qu’une victoire - pour significative qu’elle soit – peut permettre aux officinaux de s’enfermer dans l’immobilisme. La dégradation récurrente des conditions d’exercice rend l’immobilisme suicidaire particulièrement en temps de crise. Le temps est donc à l’action qui doit s’articuler autour de 2 axes :
- il faut, plus que jamais, demeurer un professionnel de santé (raison qui a conduit la CJCE à réserver aux pharmaciens le monopole de détention du capital de leurs officines) ;
- il faut également assurer la pérennité et la rentabilité de son officine (la Cour ayant renforcé l’idée qu’il n’y avait pas d’antinomie entre ces deux notions).
Il s’agit d’adapter les structures et l’organisation à la nouvelle donne, l’officine devant, comme pour toutes les entreprises, s’adapter en permanence pour être et demeurer en adéquation avec son marché. Cela passe tout d’abord par la mutation du mode juridique d’exploitation qui doit évoluer vers une structure soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).
STRUCTURES JURIDIQUES
Diverses structures correspondent à cette nécessité, mais la plus connue, et sans doute la plus adaptée, est la société d’exercice libéral, ou SEL, qui permet une optimisation fiscale et surtout une transmission théoriquement facilitée de l’outil de travail.
On ne saurait donc trop encourager les officinaux à exercer en société soumise à l’IS car, malgré le succès rencontré par la SEL (+ 27 % au 1er janvier 2008), on constate que les exploitations en nom propre représentent encore plus de la moitié du nombre total d’officines.
D’autant que la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 (LME) a pérennisé un complément essentiel des SEL : les SPF-PL. Cette question était en gestation depuis la loi 90-1258 du 31 décembre 1990, dont le nouveau texte vient modifier les articles 5 & 6. L’article 5 prévoit désormais que la majorité du capital et des droits de vote d’une SEL doit être détenue directement ou par l’intermédiaire d’une société de participation financière de professions libérales (SPF-PL) par des professionnels en exercice au sein de la SEL. Ces sociétés, qui ne sont autres que des holdings, apportent un correctif à ce qui constitue le principal inconvénient des structures à l’IS : la sortie définitive.
Jusqu’à maintenant un pharmacien qui désirait acheter des parts de SEL d’un confrère sortant, devait emprunter en nom propre et rembourser sur les dividendes qu’il percevait de la SEL. Mais ces dividendes devaient, au préalable, supporter CSG, impôt sur le revenu et cotisations sociales. En effet, les caisses de retraite et la Cour des Comptes avaient résolu de remettre en question l’exonération des dividendes de SEL, la Caisse des dentistes ayant obtenu gain de cause par un arrêt de la Cour de Cassation en du 15 mai 2008.
Pour les pharmaciens, la LFSS 2009 a repris la proposition de la Cour des Comptes et assujetti les dividendes des SEL aux cotisations de Sécurité sociale (par modification de l’article L 131-6 CSS).
Aujourd’hui, au lieu d’acquérir en nom propre les parts d’une SEL, le pharmacien constituera une SPF-PL qui prendra une participation majoritaire dans la SEL et contractera l’emprunt en ses lieux et place.
L’emprunt sera remboursé au moyen des dividendes perçus de la SEL, qui, compte tenu de la fiscalité sur les sociétés mères/filiales, ne supporteront ni impôt, ni prélèvements sociaux.
La SPF-PL constitue donc un avantage fiscal et un effet de levier financier tout à fait significatif par rapport à une acquisition en nom propre. En outre, dans le cas particulier de l’intégration fiscale, les intérêts de l’emprunt pourraient même être déduits des bénéfices de la SEL à condition que la SPF-PL détienne 95 % de la pharmacie exploitée en SEL.
Il demeure cependant un obstacle pour que les repreneurs puissent bénéficier pleinement de cet avantage, cet obstacle tenant dans le seuil des 5 % de détention d’une SEL, institué par le Code de la santé publique (CSP, article L 5125-17). Cet avantage ne peut donc bénéficier qu’à un seul pharmacien, car si le titulaire (qui doit détenir 5 %) s’associe avec un repreneur (qui doit détenir la même quote-part), la SPF-PL ne détiendra plus que 90 % et le régime de l’intégration fiscale ne sera plus possible.
Un aménagement du CSP, ou les futurs décrets d’application de la loi MURCEF attendus depuis 2001, devraient prochainement régler ce problème. Mentionnons que, dans l’éventualité d’une future ouverture du capital, cet avantage ne peut bénéficier qu’aux officinaux puisque l’article 5 prévoit qu’il est réservé « à des professionnels en exercice au sein de la SEL ».
Au-delà de ses intérêts au plan fiscal et financier, la SPF-PL peut également constituer un outil de gestion très efficace. Elle a vocation à détenir des participations dans plusieurs SEL et à assurer des fonctions communes pour le groupe (personnel, achats, etc.), ce qui nous amène à parler de gestion.
GESTION
La donne actuelle, caractérisée par une concurrence exacerbée entre les officines, rend nécessaire le suivi de son activité et de sa rentabilité au moyen de tableaux et divers outils comptables que le titulaire doit pouvoir maîtriser (tableaux de bord, suivi de trésorerie politique des prix, etc.). En abordant ce sujet, on doit faire le sempiternel constat de l’absence quasi total des questions de gestion dans le cursus universitaire du pharmacien. Il faut donc avoir recours à la formation dans le cadre de la contribution obligatoire versée au fonds interprofessionnel de formation des professions libérales (FIF-PL) pour les titulaires et à l’OPCA PL pour les adjoints, préparateurs et employés de l’officine.
Mais, là encore, un problème surgit, tenant au fait que ces questions ne sont pas jugées prioritaires (exercice pharmaceutique) par cet organisme, et une formation non-prioritaire (bureautique, internet, langue, etc.) n’est prise en charge qu’à hauteur de 160 €/ jour et par an tandis que celle qui bénéficiera d’une priorité, le sera jusqu’à 600 €/ jour. Il faut donc soit faire évoluer ces règles, soit mettre la main à la poche, soit bénéficier d’un crédit impôt formation, soit encore, d’une aide régionale.
Il en va de même en ce qui concerne la gestion des ressources humaines, tant il est vrai qu’une stagnation ou une baisse du chiffre d’affaires est souvent liée à une démotivation du personnel. Pour y remédier, on peut avoir recours à des mécanismes, tels que la prime sur objectif ou l’accord d’intéressement qui répondent à une demande réelle des salariés visant à ce que leur rémunération soit calculée en fonction de leur contribution aux résultats. La prime sur objectif est à manier avec précaution. Il faut éviter l’écueil de la prime individuelle, qui crée des jalousies au sein du personnel et détruit, par là même, l’esprit d’équipe.
On lui préférera l’accord d’intéressement qui s’applique de façon obligatoire à tous les salariés et qui présente en outre un intérêt fiscal important pour l’entreprise comme pour les bénéficiaires, ainsi que le montre le tableau ci-après :
Ce type d’accord, d’une durée obligatoire de 3 ans, nécessite un formalisme important et, surtout, la mise en place d’un système de référence fiable et insusceptible d’être remis en cause par les salariés. Il doit donc être mis en place avec l’aide de votre conseil.
Dans le domaine commercial, communiquer est la clé d’une gestion efficace. Pourquoi en irait-il autrement pour les pharmaciens ?
Certes, la réglementation est stricte et la publicité totalement prohibée, mais ces barrières ne sont-elles pas vouées à l’affaissement à plus ou moins long terme, notamment par le développement d’Internet qui vous permet de vous rapprocher de vos patients et de communiquer avec eux au-delà des murs de l’officine par le biais d’un blog ou d’un site internet ? Le blog, qui n’est autre qu’un forum de discussion, peut vous permettre de renforcer votre notoriété et donner une image dynamique de votre officine. Un site internet vous permet dès aujourd’hui de transporter une vitrine de votre officine au cœur même du domicile de vos patients ; il peut être créé sous 2 conditions :
- il doit être la vitrine virtuelle de votre officine clairement identifiée ;
- les informations qu’il contient ne doivent pas être trompeuses ou contraires à la déontologie.
Vous pouvez y afficher les conseils de santé que vous n’avez pas toujours le temps de détailler au comptoir, des services de commande à distance pour éviter les manquants et les déplacements inutiles et offrir à la vente certains produits sur lesquels nous reviendrons.
La commande à distance contribue également à la réduction des stocks, dans laquelle certains auteurs ont voulu voir un remède à tous les maux de l’officine. Dans ce domaine, il faut cependant savoir raison garder et se souvenir que l’officine ne peut se comparer à une fabrique d’automobile, et, donc, fonctionner en flux tendu. En effet, le malade qui vient chercher un médicament attend un soulagement immédiat et accepte mal d’avoir à attendre la prochaine livraison.
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