À une époque où langueur, asthénie et anémie comptaient parmi les diagnostics les plus fréquemment formés par les médecins, la carnation de la peau constituait un objet de préoccupation constant. Les pilules Pink ne durent-elles leur succès qu’à leur rose vif inspirant la santé aux infortunés ayant la peau pâle ?
Leur histoire commença au Canada. Georges Taylor Fulford (1852-1905) était originaire de Brockville (Ontario), où, ses études de commerce finies, il travailla aux côtés de son frère William, pharmacien. Ce dernier s’étant installé à Chicago en 1879, Georges reprit sa boutique et y fonda en 1887 une société pharmaceutique, la GT Fulford & Co. Ce commercial né accueilli avec intérêt la proposition d’un médecin du cru, William Frederick Jackson, de lui céder un brevet déposé en 1886 pour de petites pilules d’un rose (presque) shocking, les « Pink Pills for Pale People ». L’affaire, conclue le 4 juin 1890 pour quelques dizaines de dollars, devait en rapporter des centaines de millions…
Fulford promut les pilules en bénéficiant d’un effet d’aubaine : l’épidémie de grippe qui sévit l’hiver 1891. Le succès étant immédiat, il leur dédia une société, la Dr William Medicine Company, et développa un réseau de vente incluant 82 pays, dont la Chine et l’Australie : il ouvrit en 1893 une succursale à Paris, confiée à un certain Eugène Meiffre. Surtout, Fulford eut le génie de confier au directeur d’un grand journal canadien, John A. McKenzie, la rédaction de messages publicitaires qui, rapidement, proliférèrent partout, associés à de pseudo-témoignages de patients miraculeusement guéris par sa pilule. C’est ainsi que les « Pilules Pink pour Personnes Pâles », un nom aux allitérations imaginées pour se graver dans les mémoires, marquèrent plus d’une génération de malades et « demi-malades » - un concept imaginé par McKenzie -, à une époque où le charlatanisme médical faisait florès. Associant extrait de gentiane, anhydride arsénieux, dioxyde de manganèse, sulfate ferreux et extrait de noix vomique, elles étaient réputées guérir les anémies, les troubles digestifs, la malaria mais aussi les problèmes neuropsychiques. En 1899, il fut allégué qu’elles traitaient les paralysies, les sciatiques, les rhumatismes, les céphalées et migraines, les troubles du rythme cardiaque, toutes les formes de « faiblesses ». Fulford décéda dans un accident de voiture le 8 octobre 1905 qui interrompit prématurément sa carrière d’homme d’affaires mais aussi de politicien et de philanthrope - et fit qu’il inaugura les statistiques des morts sur la route au Canada -. Son fils George Fulford Jr (1902-1987) veilla jusqu’en 1929 au succès de la marque puis la société passa entre diverses mains jusqu’en 1989.
Pilule de l’« espèce supérieure »
On l’imagine : populaire, la pilule Pink fit parler d’elle chez les artistes et gens de lettres, souvent comme exemple de crédulité. Ainsi Jules Renard (1864-1910) relève dans son Journal à la date du 7 septembre 1907 à propos d’une femme proche de la mort : « (…) elle a lu une annonce qui lui rendra peut-être des forces. Elle va prendre des pilules Pink. C’est son dernier espoir. Comment le lui ôter ? ». Connaissant le succès dans le monde du surréalisme et du dadaïsme, elle figure dans le Manifeste dada de 1918 de Tristan Tzara (1896-1963) : « Si tous ont raison et si toutes les pilules ne sont que Pink, essayons une fois de ne pas avoir raison » alors que Francis Picabia (1879-1953) avoua de façon plus décalée, dans son Jésus-Christ Rastaquouère (1921) : « J’ai envie de fabriquer une voiture automobile artistique en bois de rose mélangé de pilules Pink ». En 1943, la philosophe Simone Weil (1909-1943) recourut elle-même à la métaphore thérapeutique rose : « Dans Bergson la foi apparaît comme une pilule Pink de l'espèce supérieure, qui communique un degré prodigieux de vitalité ». Bel éloge du placebo ?
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