Qu’appelle-t-on au juste la digitalisation de l’officine ? Selon la société Les Échos Études, il faut entendre cette notion dans son sens le plus large, incluant tous les aspects numériques de l’activité officinale, sa présence sur Internet, l’e-commerce, le merchandising digital, les objets connectés, la télémédecine, etc. En fait, toutes les technologies qui permettent à l’officine d’exercer son métier de manière un peu différente, au plus proche de ce qu’attendent les clients et les patients. Les pharmacies ne partent pas de rien ; cela fait des années que, par exemple, Internet modifie leur fonctionnement, mais l’irruption des technologies mobiles et des objets connectés de santé apporte une nouvelle dimension. « La digitalisation n’est pas un phénomène de rupture interne à la pharmacie, c’est un phénomène qui vient de l’extérieur susceptible de bousculer, voire court-circuiter les pharmaciens », explique Hélène Charrondière, directrice du pôle pharmacie santé des Échos Études. Un phénomène exactement contraire à la première informatisation du monde officinal guidée de l’intérieur par le tiers payant et la gestion des stocks. Et qui risque de faire perdre aux officines des prérogatives qui leur sont encore exclusives, comme la distribution de médicaments que, un jour, les services postaux pourraient assurer eux-mêmes, évoque Hélène Charrondière, ou encore de faire émerger de nouvelles pratiques de santé liées aux objets connectés, par exemple, et qui échapperaient totalement aux pharmaciens.
Développer des services Internet sans y consacrer beaucoup de temps et d’argent, c’est possible grâce aux services mutualisés que proposent désormais de nombreux prestataires : la géolocalisation et le « clik and collect », ou réservation en ligne, pratiquée par exemple par des plates-formes régionales comme Unooc et Pharmanity, l’animation, la gestion de contenus et le référencement de sites web par des spécialistes comme ACS web Santé et Atelier Presse Média, ou encore la délégation de la gestion de sites web sous enseigne commune comme le propose Pharmarket. Point commun, ces services mutualisés sont accessibles à des tarifs intéressants et déchargent les pharmaciens de tâches qui ne les concernent pas toujours et leur permettent pourtant d’avoir une présence active sur la Toile.
Se définir des objectifs
Dans ce contexte, parler de la volonté de digitaliser l’officine n’a pas de sens en soi. « Le piège pour les pharmaciens est de vouloir y aller parce qu’ils ont l’impression qu’il le faut sans pour autant se définir des objectifs précis », souligne Linda Leprovost, chargée de communication et marketing de Pharmagest, qui cite l’exemple de Ma pharmacie mobile, application smartphone de l’éditeur dotée de nombreuses fonctionnalités, mais qui ne s’est pas imposée d’elle-même. « Il ne suffit pas de coller un sticker sur la vitrine pour informer les patients ; si le pharmacien n’implique pas son équipe, ne lui explique pas pourquoi et pour quel résultat on lance cette application, il risque d’être déçu. » Pour Linda Leprovost, il est indispensable de connaître l’objectif poursuivi par l’adoption et l’intégration d’applications digitales et connectées dans l’officine. Est-ce affaire de moderniser la pharmacie ? Fidéliser la clientèle ? Faire face à la concurrence ? Apporter des services supplémentaires ? … Impliquer les équipes est un enjeu presque plus important que les former, les technologies en question étant pour la plupart assez intuitives. Même s’il leur faut être confrontées à leur usage afin de mieux guider les patients et les clients. « La difficulté n’est pas dans la préparation ou la formation, elle est dans la façon que l’on a de mener le client vers ces nouvelles technologies », explique ainsi Stéphane Labarre, titulaire de la pharmacie Labarre à Nexon (Haute-Vienne), la première à avoir été entièrement digitalisée, en tout cas au sein du groupement Pharma Référence (voir encadré "La pharmacie Labarre à Nexon, pionnière de la digitalisation"). Le titulaire note pourtant que les clients sont friands de nouvelles technologies. C’est là tout le paradoxe auquel sont confrontés les pharmaciens : les clients et les patients montrent une véritable appétence pour ces technologies digitales – et les pharmaciens y sont du reste attendus, comme le montre l’étude menée par les Échos Études, publiée en septembre dernier (voir encadré "L'intérêt des Français à l'égard des services ou dispositifs digitaux[...]").
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Mais, devant les applications digitales de l’officine, ils se montrent surpris. « Ils me regardent parfois avec des yeux ronds, l’air de dire mais de quoi il me parle ? », raconte ainsi Jean-Christophe Mercier, titulaire de la pharmacie Mercier à Montereau (Seine-et-Marne) (voir encadré "La satisfaction sur tablettes, une évidence"). « Il faut parfois casser les habitudes de la patientèle, habituée à un type de service bien précis en officine, c’est plus facile pour les commerces traditionnels, comme la parfumerie par exemple, d ’emmener leurs clients vers le digital », commente-t-il. Il ne faut jamais croire que les choses seferont d’elles-mêmes. « Le rôle du pharmacien est de concrétiser besoins et attentes, voire de créer de nouveaux usages », résume Hélène Charrondière. « C’est difficile, mais il faut néanmoins être prêt à le faire. »
Seuls face aux enjeux
Les pharmaciens peuvent à raisonse sentir un peu seuls face à tous ces enjeux. Ceux qui ont de grosses officines et d’importants moyens sont plus à même d’avoir une vraie vision, et il en existe, mais cela constitue une petite minorité. Deux solutions s’offrent à la majorité. La première est celle des groupements. « Pour l’instant, deux se sont lancés – PHR et Pharmactiv – dans une approche globale et cohérente, mais cela signifie pour les pharmaciens qu’il leur faut adhérer au concept proposé et entrer dans une logique d’enseigne », explique Hélène Charrondière. La seconde est d’y aller seul, cela correspond bien à l’esprit très indépendant des pharmaciens, mais peut être difficile face à la multitude d’actions à entreprendre. « Ils peuvent se retrouver potentiellement devant dix prestataires, parfois jusqu’à une vingtaine », ajoute Hélène Charrondière. Devant la multitude de possibilités qui s’offrent à eux, il est nécessaire de privilégier encore une fois celles qui correspondent à un vrai service attendu par les patients. Or, celui qui est le plus évident est aussi le plus simple à réaliser, c’est le fameux « click and collect ». Grâce à l’envoi d’ordonnances sur n’importe quel support, smartphone, tablette, PC, via le site Internet de la pharmacie, il est possible de commander ses médicaments et de se déplacer ensuite pour les récupérer. Cela permet aux patients de gagner du temps. Faut-il encore que l’officine ait dédié un poste pour eux : même dans les cas les plus simples, il est indispensable de penser l’organisation des équipes pour accompagner la digitalisation.
« Nous sommes habitués depuis longtemps aux enquêtes de satisfaction exigées tous les ans par notre certification ISO. Nous les faisions à la main et au comptoir et nous passions beaucoup de temps à tout faire, y compris l’analyse », raconte Jean-Christophe Mercier, titulaire de la pharmacie Mercier à Montereau (Seine-et-Marne). « Quand est sortie l’application de Satispharma permettant de réaliser ces enquêtes sur tablettes, cela m’a paru être une évidence. » Une évidence confirmée par les faits. Facilité d’usage « déconcertante », questionnaires plus poussés, plus pointus, mieux formulés, un panel de patients interrogés beaucoup plus large, y compris dans les zones de vente, passant de 100 à 1 000 patients dans le même laps de temps d’enquête, et une analyse des résultats plus fine… et moins fastidieuse, le titulaire égrène tous les avantages de cet outil qui lui paraît naturel pour mener des enquêtes de satisfaction et qui lui a déjà permis, entre autres, de mieux cerner les attentes des clients dans le domaine des cartes de fidélité et d’affiner l’accueil dans son officine.
Au-delà du « click and collect », les différents choix possibles s’étalent selon une gradation liée à la complexité de la mise en oeuvre, au sommet de cette hiérarchie se trouvant la vente en ligne. Celle-ci demande une très grande implication de l’officine, un travail de référencement, d’animation de sites, d’être capable de répondre rapidement et d’assurer une logistique adaptée… « Beaucoup de pharmaciens ont souhaité se lancer dans la vente en ligne, témoigne Linda Leprovost, et beaucoup ont renoncé. » Et, pourtant, la présence des pharmaciens sur la Toile est quasiment indispensable, si les pharmacies veulent être reconnues dans le monde virtuel. Pas de vente en ligne, certes, mais un « vrai » site Internet qui soit autre chose qu’un site vitrine, et le faire vivre. Cela signifie d’en travailler le référencement, ce qui n’est pas une tâche facile, et d’en rafraîchir le contenu de façon régulière, de façon à en faire un vrai support d’information et de marketing. Fort heureusement, divers prestataires proposent des services mutualisés qui permettent aux pharmaciens d’être correctement présents sur le web sans que cela ne leur demande trop de temps ni d’argent (voir encadré "La mutualisation au secours des pharmaciens).
La pharmacie Labarre, à Nexon (Haute-Vienne), a été sous les feux de l’actualité à la fin de l’année dernière. Elle est en effet la première pharmacie entièrement digitalisée et, de ce fait, a attiré l’attention des médias. Elle est en quelque sorte la vitrine de l’enseigne Pharma Référence qui en a imaginé le concept. « J’y ai adhéré, je crois fort à l’apport des nouvelles technologies à condition de les utiliser pour coller au souhait des patients, et construire ainsi un parcours santé afin de mieux vivre avec son capital santé », affirme Stéphane Labarre, le titulaire. Un concept qui s’illustre par la présence de nombreuses bornes interactives, des tablettes tactiles, réparties dans les cinq zones de la pharmacie. Ces bornes répondent à une demande d’informations santé conçues par les pharmaciens. Parmi les zones de l’officine, se trouve un « web bar » où sont concentrées les innovations digitales, comme par exemple cet étonnant mur « merchandising » avec des produits équipés de puces RFID. Dès lors qu’un patient se saisit d’un produit, des informations apparaissent sur l’écran intégré dans ce mur. Des produits de santé connectés sont également proposés. Tout cela est articulé avec le site web de l’officine. Et, déjà, Stéphane Labarre constate une hausse du click and collect, et une meilleure communication avec les clients et les patients, désormais mieux au fait de ce que propose l’officine.
Doutes face aux objets connectés de santé
L’avantage des sites Internet, c’est qu’il y a déjà un socle d’expériences, aussi réduit soit-il : ce n’est pas le cas de nombreuses autres offres digitales dont on ignore encore quand et comment elles vont percer en officine. Les objets connectés de santé, avec toutes les données qu’ils sont susceptibles de générer, posent la plus grande difficulté. De toute évidence, c’est une véritable révolution numérique qu’il ne faut surtout pas ignorer, mais la perplexité de certains est compréhensible. « Que fait-on des données enregistrées, par exemple, par les lecteurs de glycémie connectés ? », demande Jean-Christophe Mercier. La crainte d’alimenter des bases de données à vocation commerciale, voire de permettre à des données de se retrouver sur Internet est perceptible. L’existence de l’agrément hébergement de données de santé, pourtant très strict et difficile à obtenir, ne rassure pas totalement. La direction à prendre viendra peut-être des groupements. Des objets connectés, oui, mais connectés aussi à une véritable politique de soins, par exemple dans le cadre de dispositifs d’observance déjà existants. Même combat pour les applications mobiles, très nombreuses et qui poussent les patients à saisir leurs données de santé hors circuits traditionnels. Là aussi, les ignorer serait une erreur. « Les applications mobiles en elles mêmes ne rapportent rien, mais elles fidélisent », constate Linda Leprovost. « Elles sont certes très nombreuses, mais celles impliquant directement les pharmaciens le sont assez peu, finalement. » Se concentrer sur ces dernières serait sans doute le plus logique. L’incertitude est également de mise avec les bornes multimédia. Certains en limitent l’usage à des fonctionnalités simples, comme la mise à jour des cartes SESAM-Vitale et la consultation des prix pratiqués par l’officine, désormais obligatoire pour tous les produits. D’autres en font des usages plus étendus et les quelques expériences menées montrent l’importance des objectifs que l’on se fixe et des moyens pour y parvenir, une interface intuitive et très simple d’utilisation, ce qui n’est pas toujours le cas, conduisant l’essai à l’échec. Cette liste des usages digitaux dans l’officine est loin d’être exhaustive et l’offre évolue en permanence.
Le nombre de sites d’officines ayant reçu une autorisation administrative reste marginal. Seules les officines de taille importante pouvant proposer une large gamme, du stock et des prix attractifs réussissent. Pour se différencier, les sites e-commerce d’officines se spécialisent sur des marchés de niche.
Source : Les Échos Études, d’après le Conseil national de l’ordre des pharmaciens.
On peut citer à titre d’exemple le lancement prochain par Futuramedia de la possibilité pour les pharmaciens d’envoyer des messages ciblés sur les smartphones des clients entrant dans leur officine. Toutes ces ambitions doivent reposer sur un solide modèle économique, pourrait-on penser. Eh bien !, dans le domaine de la pharmacie digitale, il n’en est rien. Les investissements réalisés ne promettent rien d’autre que d’apporter une certaine fidélité de la part des clients et des patients. « C’est très difficile de se fixer un retour sur investissement à deux ou trois ans », souligne Hélène Charrondière. « Nous sommes davantage dans une logique de long terme et il faut être prêt à prendre des risques. » Oui, mais, est-ce tenable ? D’aucuns estiment que les pharmacies les mieux placées pour faire face à ce contexte économique particulier sont celles qui ont déjà réalisé des gains de productivité, justement en informatisant et digitalisant leur back office. Et, dans ce domaine, les progrès sont permanents pour peu qu’on s’en donne les moyens. Cela peut être des choses très simples, la digitalisation des rendez-vous comme l’a fait Isabelle Alquier, titulaire de la pharmacie de la Poste à Castelsarrasin (Tarn-et- Garonne) (voir encadré "Linéaires digitaux, ue expérience bluffante"). « Cela a grandement facilité le travail de l’équipe », note Jean-Christophe Alquier, son époux. Ou encore le recours massif au e-learning comme l’évoque Jean-Christophe Mercier, utilisé par les vingt membres de l’équipe. Dans tous les cas, un gain de temps qui permet de mieux se consacrer à la nouveauté que représente l’introduction de nouvelles applications digitales et connectées. Cela va jusqu’à des investissements beaucoup plus massifs, l’automatisation par exemple, qui, bien menée, apporte d’importants gains de productivité.
La pharmacie de la Poste à Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), est la première pharmacie française à avoir intégré les linéaires digitaux, ces murs d’écrans représentant des rayons et médicaments de façon virtuelle : 8 m2 d’écrans placés derrière les comptoirs pour figurer l’OTC. Plus besoin d’aller chercher les boîtes, il suffit de cliquer et le robot se charge de les envoyer. Le robot est un Rowa de la société Becton Dickinson (ex-ARX, racheté par le fabricant), les linéaires digitaux aussi. Une expérience voulue par Jean-Christophe Alquier, ingénieur en informatique industrielle et époux de la titulaire Isabelle Alquier. « L’originalité du concept m’a attiré et, de fait, elle séduit les clients, fascinés, voire bluffés par l’effet rendu », explique-t-il. « Et cela fait gagner beaucoup de temps au personnel, qui découvre petit à petit les possibilités offertes par les informations qu’on peut faire figurer sur ces linéaires digitaux, y compris des produits non stockés, mais qu’on peut commander. » Outre le temps, ces linéaires virtuels font gagner de la trésorerie, un mois de stock au lieu de deux à trois comme l’officine avait l’habitude d’avoir avant l’arrivée de ces écrans très spéciaux.
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