La micronutrition à l’officine est une histoire de passions. Et de convictions. Les pharmaciens qui se sont lancés dans ce domaine témoignent d’une expansion de leur activité à la mesure de leur engouement. À tel point qu’il n’est pas rare que ce rayon s’élargisse à d’autres terrains, celui de la phytothérapie, de l’aromathérapie, ou encore des médecines douces, suscitant une certaine confusion auprès des patients et des professionnels eux-mêmes.
Cette extension brouille les cartes au risque de fragiliser la position singulière de ces vitamines, minéraux, oligo-éléments, acides gras essentiels, flavonoïdes, acides aminés et, bien entendu, de ces probiotiques. Des micronutriments qui ne jouent aucun rôle énergétique mais qui n’en sont pas moins fondamentaux pour le fonctionnement des métabolismes. « Ils ont essentiellement un effet physiologique sur un individu sain », rappelle Loïc Bureau, responsable du master « ingénierie nutraceutique » à l’université de Rennes 1. Ces micronutriments, parfois dénommés péjorativement « calories vides », constituent une alimentation fonctionnelle et viennent au secours des quatre maillons faibles identifiés par les micronutrionnistes : système digestif, protection cellulaire, communication cellulaire, fonction cérébrale.
Un potentiel d’expansion
C’est dire si la micronutrition ouvre de vastes champs à l’officine, puisque ciblant potentiellement l’ensemble des patients. « La France est actuellement en train de rattraper son retard. Face à la médiatisation des troubles fonctionnels, on assiste à une véritable prise de conscience des professionnels de santé sur la nécessité d’agir en faveur d’une meilleure prévention grâce à la nutrition et à la micronutrition », constate Nicolas Angelloz-Nicoud, pharmacien, directeur de l’organisme de formation continue A2N Consulting.
Discipline réservée autrefois à quelques dizaines d’initiés, la micronutrition suscite de plus en plus l’appétence des titulaires qui y voient un axe de développement de l’officine. Car le potentiel de la micronutrition peut être partagé par une grande majorité de pharmaciens. Delphine Gallezot, en charge de la formation et du réseau officinal au Laboratoire Pileje, estime le nombre de pharmacies directement concernées entre 8 000 et 10 000. « Formé à la micronutrition, le pharmacien va gagner en confiance auprès de sa patientèle et il obtiendra rapidement un retour sur investissement par une importante fidélisation », promet-elle.
Le concept de micronutrition incarne en effet davantage qu’un simple marché officinal. Il constitue une activité à part entière, sinon le véritable profil de l’officine. Ce n’est donc pas un hasard si fabricants, formateurs et officinaux entretiennent des liens très étroits dans le développement de cette activité. Elle détient d’ailleurs une position spécifique au sein de l’officine. « La micronutrition détient de nombreux atouts. Contrairement à certains autres rayons plus concurrencés de la pharmacie, elle n’engendre pas de mobilisation de stocks importante et elle permet de dégager une marge de 35 à 37 % », expose Mathilde Scheuer, pharmacienne responsable du pôle médical et marketing du Laboratoire Nutergia. Laurence Picard, titulaire à Plouvorn, dont l’ensemble de l’équipe est formé à la micronutrition, annonce même une marge entre 35 et 40 %, certaines marques étant plus concurrencées que d’autres, selon elle. C’est ainsi qu’elle panache son assortiment entre une marque leader du marché et une autre, plus confidentielle qui détient des produits de niche. Cette stratégie est adoptée par la plupart des pharmaciens.
Animation du point de vente
La réussite dans ce nouveau domaine suppose cependant que le pharmacien dégage une plus-value susceptible de légitimer sa position face à la concurrence des naturopathes, des magasins de diététique et d’autres circuits de distribution. Alors que certaines officines se contentent d’une mise à disposition en rayon d’une ou deux marques phares de ce marché, les pharmaciens investis dans la micronutrition développent un véritable concept. Christine Leroyer propose ainsi des animations thématiques en journée dans son officine de Cérans-Foulletourte : « L’une d’entre elles a concerné la femme enceinte. La prochaine séance concernera le stress et la fatigue. Nous informons nos patients par des leaflets au comptoir. » Elle a par ailleurs monté d’un cran son engagement en micronutrition en mettant en place la venue d’une diététicienne diplômée, deux jours par semaine à l’officine : « Il s’agit d’une prestation gratuite à disposition de nos patients atteints de pathologiques chroniques. »
Comme à l’officine de Christine Leroyer, il n’est pas rare que la micronutrition fédère l’ensemble de l’équipe officinale, le développement de ce rayon devenant ainsi un véritable challenge. « Je compte aujourd’hui parmi les participants à mes sessions de formation, 20 % de titulaires, 30 % d’adjoints, et 50 % de préparateurs. De nombreuses demandes de formation spontanées émanent de ces derniers », confirme Nicolas Angeloz-Nicoud.
Il est vrai que cette dynamique de la micronutrition à l’officine est sous-tendue par un marché en plein essor qui ne compte pas moins d’une vingtaine d’acteurs. Nombre d’entre eux interviennent dans un champ d’activités plus diversifié, comme Arkopharma, spécialiste en phytothérapie et plus particulièrement en compléments alimentaires, Pierre Fabre avec ses spécialités Naturactive, le groupe Merck médication familiale, dont les produits Bion sont déclinés en plusieurs gammes, ou encore Urgo, positionné sur quelques produits de complémentation alimentaire.
L’intérêt manifesté pour la micronutrition par ces marques historiques est révélateur de la bonne santé de ce marché du « naturel ». Elles y signent en effet d’année en année, des progressions à deux chiffres de leur chiffre d’affaires. Fait remarquable, cette explosion n’étouffe pas l’émergence de petits laboratoires. Leur envergure n’est parfois que régionale mais ils s’assurent une bonne assise grâce à des partenariats avec des groupements régionaux de pharmacies. À titre d’exemple, le Laboratoire Nutravance, essentiellement présent sur le Grand Est de la France, a tissé des liens avec le groupement Pharmupp. Cela ne l’exempte pas, comme l’affirme son directeur général scientifique, Yves Gille, de partenariats industriels comme celui qu’il a noué avec le Laboratoire Probiotical, numéro deux en Italie.
Une plongée dans l’assiette du patient
Ces collaborations permettent aux laboratoires de pousser plus en avant leur innovation. Car la micronutrition ne se limite pas au champ du microbiote. Les acteurs reculent de plus en plus leurs terrains d’investigation, ouvrant ainsi aux pharmaciens autant de nouvelles opportunités de conseils que d’occasions de multiplier leurs rayons.
Nutravance s’intéresse désormais à la pédiatrie et vient de sortir un probiotique enfant avec quatre souches de référence ; Pileje investit la sphère de la migraine et de la mémoire et celle du bucco-dentaire, tandis que Nutergia promet pour 2016 des nouveautés en e-santé.
L’activité micronutrition doit être développée sous l’angle de la prévention davantage que dans une démarche curative. « L’approche individualisée est au cœur du concept. Il s’agit de détecter le maillon faible dans l’organisme sur lequel on va pouvoir travailler », décrit Delphine Gallezot. Le pharmacien doit acquérir des réflexes de conseils en dehors de l’éternel tandem antibiotiques/probiotiques. Pour cela une plongée dans l’assiette du patient s’impose. « Il s’agit de dépister les déséquilibres alimentaires et les carences qui en résultent afin de les corriger », définit Nicolas Angelloz-Nicoud.
Le logiciel Effinut, mis au point il y a quatre ans par le Laboratoire Effinov, apporte un support précieux au conseil du pharmacien. Grâce à un code qui lui est remis en officine, le patient peut répondre à un questionnaire en ligne dont les résultats seront lus par le pharmacien. « Il est à appréhender comme un outil de diagnostic orientant le conseil parmi 47 produits », expose Jean-Baptiste Bardinet, dirigeant du Laboratoire Effinov. Le groupe, qui a racheté Nutrialys en décembre 2014, s’appuie exclusivement sur l’expertise du pharmacien. En retour, cette dimension de conseil donne à ce dernier toute sa légitimité de professionnel de santé.
« La micronutrition nous ramène à notre cœur de métier », s’enthousiasme Christine Leroyer. Cette activité permet en effet d’aller au-devant des patients avant de susciter leur demande. Nombre de pharmaciens estiment d’ailleurs adopter une démarche de santé publique. Cela vaut particulièrement pour les patients atteints de maladies chroniques dont il convient de prévenir certaines pathologies associées. De même, les pharmaciens repèrent les groupes de patients pouvant présenter des risques de déficits (femmes enceintes, sportifs, adolescents). « Nous ne sommes pas dans une gestion symptomatologique à l’instar de l’allopathie, mais bien dans une appréhension globale du patient », précise Mathilde Scheuer. Une approche revendiquée par l’ensemble des fabricants, comme Pileje qui prône également l’individualisation de la démarche en micronutrition. Les pharmaciens investis dans ce domaine l’ont bien compris qui prolongent aujourd’hui leurs conseils sous forme d’entretiens. Les patients sont reçus le plus souvent lors de séances d’une demi-heure, parfois gratuite, parfois facturée entre 26 et 40 euros.
Garde-fou
Bien que quelques produits soient conseillés à l’issue de cet entretien, l’objectif n’est pas de rendre ces recommandations systématiques. Certains pharmaciens estiment d’ailleurs que le patient doit pouvoir maîtriser et corriger son alimentation au bout de trois mois de prise en charge.
Ces entretiens individualisés sont sans aucun doute l’élément de différenciation fondamental entre le pharmacien et les autres circuits de distribution. « Le pharmacien joue le rôle de garde-fous, alors que de nombreuses erreurs en terme d’interactions et de sursupplémentation peuvent être commises dans l’usage non maîtrisé de la micronutrition », affirme Nicolas Angelloz-Nicoud. Car, contrairement aux idées reçues, la micronutrition ne s’improvise pas. Les allégations ne suffisent pas pour conseiller ces produits dont l’usage nécessite des connaissances pointues et transversales.
Une formation s’impose à tout pharmacien souhaitant aborder ce domaine en professionnel de santé. Pour s’y reconnaître dans le dédale de produits aux biodisponibilités les plus diverses, pour avoir la possibilité de trancher entre effets physiologiques et thérapeutiques, « entre le politiquement correct mais le scientifiquement inexact », comme le souligne Loïc Bureau, la plupart des pharmaciens considèrent la formation comme indispensable. L’acquisition de ces compétences leur permet de professionnaliser leur approche. Plusieurs types de formations s’offrent à eux. Dispensées in situ par les laboratoires, ces formations ont l’avantage de s’adresser à l’ensemble de l’équipe. Nutergia organisent également depuis 2014 des soirées de coaching « sell out », comprenant la communication de vente et la communication de conseils associés.
Certains organismes proposent des formations en DPC. « Nous étudions des cas de comptoirs, du conseil associé à l’ordonnance, mais aussi des formations aux entretiens avec des patients en surpoids, atteints de cancer, ou encore de diabète », énumère Nicolas Angelloz-Nicoud, dont l’organisme reçoit 5 000 stagiaires par an. D’autres formations sont diplômantes. « Aux côtés du DU alimentation santé micronutrition que nous proposons depuis quinze ans, nous avons créé il y a cinq ans une formation en e-learning de 156 heures sur six mois, en cinq modules : cardiologie, poids minceur, écosystème de l’intestin, troubles de l’humeur et vieillissement, qui répondent aux besoins des pharmaciens et à leur rythme professionnel », décrit le Dr Mathieu Guerriaud.
Ces formations, qui s’adaptent aux évolutions scientifiques de la micronutrition, sont suivies en moyenne chaque année par 40 pharmaciens en présentiel et par 60 à 80 pharmaciens dans les deux sessions d’e-learning. « Le e-learning a permis de toucher des pharmacies démunies en formation, comme dans les DOM-TOM, Dubaï et même New York », précise le Dr Guerriaud. Il n’est pas rare que, une fois engagés dans une formation initiale avec un laboratoire ou un organisme de formation, les pharmaciens enchaînent sur une formation diplômante. « Plus on en apprend sur la micronutrition, et plus on a envie d’en apprendre », constate Laurence Picard qui, après des années d’expérience et de multiples formations, s’apprête à suivre le DU de Dijon.
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