Notre histoire commença en 1956 lorsqu’Harold Victor Maddox, chimiste chez Parke-Davis (Détroit) imagina une voie de synthèse permettant de produire facilement des arylcyclohexylamines dont la phencyclidine (PCP, obtenue en Allemagne en 1926 par Friedrich Arthur Kotz et Paul Merquel selon une méthode complexe). Il adressa le produit en 1958 à l’un des pharmacologues du laboratoire, Graham Chen, qui, intrigué par ses propriétés « cataleptoïdes », suggéra à Maurice H. Seevers (1901-1977), pharmacologue à l’université du Michigan, d’approfondir son étude : Seevers laissa à son assistant, Edward F. Domino, le soin de poursuivre les investigations. C’est sous le code CI-395 que la PCP fut testée chez l’homme au Detroit Receiving Hospital par Ferdinand E. Greifenstein (1915-1997). Elle se révéla à l’origine de délires post-anesthésie évoquant une psychose : de fait, un psychiatre de l’université de Wayne State (Détroit), Elliott D. Luby, montra qu’il s’agissait d’un psychotomimétique puissant (qui devait rapidement être synthétisé par des laboratoires clandestins, et donner lieu à trafic sous le nom notamment d’« angel-dust » ou poudre d’ange). Il sembla donc nécessaire d’utiliser en anesthésiologie un analogue d’action plus brève dont la synthèse fut confiée au chimiste Calvin L. Stevens (1923-2014) qui livra une série de dérivés testés par Graham Chen et Duncan A. McCarthy. L’un d’eux, le CI-581, fut testé début 1964, sous la responsabilité d’Ed Domino qui s’associa à un anesthésiologiste, Günter Corssen (1916-1990) : les premières injections furent alors faites à des prisonniers volontaires. Rapidement, la kétamine permit d’obtenir une analgésie intense avec anesthésie courte (dite « dissociative », terme proposé par la femme d’Ed, Toni, et depuis retenue par la communauté médicale). Les manifestations délirantes résiduelles furent réduites par l’association de la kétamine au diazépam : Ed Domino put ainsi « dompter le tigre kétamine », par référence au vécu de l’expérience anesthésique peinte par une artiste américaine, Marisa W. Bassett. Le médicament fut commercialisé sous le nom de Ketalar.
Prêtresse de la kétamine
L’usage de la kétamine fut prôné à la fin des années 1970 par des gourous et mystiques dont une certaine Marcia S. Moore (1928-1979) : cette « prêtresse de la kétamine » recourait à l’anesthésique pour « ouvrir de nouveaux chemins à la conscience »… victime de l’une de ses injections, elle mourut de froid durant l’hiver 1979 dans une forêt proche de Washington où ses restes furent retrouvés deux ans plus tard.
Depuis, la découverte de l’action de la kétamine sur les récepteurs NMDA a révolutionné le regard porté sur l’hyperalgésie et contribué au développement de la psychopharmacologie. Elle est désormais à nouveau sous les feux de la rampe : elle pourrait constituer un traitement antidépresseur d’action rapide, indiqué chez le patient à haut risque suicidaire.
Mais ce dérivé de la PCP est tout comme cette dernière détourné de son usage médical : sa banalisation dans le milieu festif comme agent inébriant, le danger attaché à la recherche d’une perte de conscience (« K-hole ») et son exploitation comme drogue de soumission chimique expliquent que la kétamine soit aujourd’hui inscrite sur la liste des stupéfiants.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion