TOUT LE MONDE connaît sa silhouette : une petite fille brune aux grands yeux marron, habillée d’un tee-shirt rose, d’un bermuda orange, de chaussettes jaunes apparaissant au-dessus d’une paire de baskets blanches, accessoirisée d’un sac à dos violet et d’un bracelet fantaisie. Son but dans la vie ? Atteindre son objectif (retrouver quelque chose ou quelqu’un) après avoir accompli trois épreuves ou traversé trois lieux, tout en faisant passer des messages de morale ou de bons réflexes. Ceinture, pour plus de sécurité ! Quel rapport avec l’exercice de la pharmacie, me direz-vous ? Aucun, bien sûr.
Mais aujourd’hui je m’intéresse à ce mot qui la qualifie. Quand on parle d’elle, on dit son prénom (Dora) et on ajoute « l’exploratrice ». Qui découvre une région, un pays inconnu ou lointain. Ça ne veut pas forcément dire inconnu de tout le monde, ou si lointain que personne ne sache où ça se trouve. Ce peut-être juste à côté, mais à un endroit où l’on n’est jamais allé soi-même, par exemple. Disons que nous parlons d’une diplômée, pharmacienne attachée dans une grande structure hospitalière, mariée, maman d’un jeune enfant. Elle décide (on n’en sait pas plus sur les détails) de divorcer, de quitter son poste, ses amis, et de partir avec son garçon dans une région où elle ne connaît absolument personne, pour commencer une nouvelle activité dans une grande entreprise internationale spécialisée dans les systèmes d’information hospitaliers. Ça n’est pas de l’exploration, ça ?
Disons maintenant que nous nous intéressons à une autre diplômée, appelons-la Louise. Elle a traîné sa blouse d’officine en officine, elle a animé des émissions de radio, elle a donné des cours d’aérobic, elle a travaillé en Californie, elle écrit des petites choses qui sont publiées, se passionne pour les préparations magistrales, se spécialise en BPDO, mais reste ouverte à la nouveauté. Une plage libre dans son emploi du temps ? Elle répond à une annonce pour un remplacement dans la PUI d’une clinique spécialisée. Elle va se retrouver toute seule dans la pharmacie, pas de préparateur, pas de collègue, pas de chef de service. Pas vraiment d’équipe, quoi.
Elle est allée visiter l’établissement, une grande et vieille bâtisse nichée dans une pinède, avec des façades rénovées aux couleurs éclatantes, mais avec de vieux sols en pierre magnifiques, des meubles et des portes en bois massif, de grandes baies vitrées, une piscine. Elle a rencontré des responsables, des médecins, des infirmiers, des patients qui jouaient au Scrabble ou sortaient dans le parc fumer une cigarette. On lui a expliqué le travail à faire, on lui a donné une sorte de procédure écrite pleine de mots de passe, de codes, de menus, de F1, de F2, de temps à autre de F10 à faire 2 ou 3 fois, de rappels, de pense-bête, de phrases écrites en gras et surlignées… Ça n’est pas de l’exploration, ça non plus ?
Elle espère juste qu’elle ne va pas s’emmêler les pinceaux, mais personne ne lui a jamais dit qu’elle serait à l’abri d’imprévus. Je vous raconterai.
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