SUR LES 19 milliards de bénéfices engrangés l’an dernier par l’assurance-maladie obligatoire (sur un total de recettes de 199 milliards pour 180 millions de dépenses), plus de 9 milliards concernent le médicament, et, donc, plus ou moins directement, les pharmacies d’officine : blocage des prix, contrôles accrus des prescriptions, augmentation de certains tickets modérateurs et « contributions spéciales » imposées aux grossistes et aux officines. Conséquence, le résultat de celles-ci est en chute libre, alors que la rémunération des pharmaciens, constituée d’un honoraire de 8,10 euros par boîte plus 3 % couvrant leurs frais de gestion, n’a pas évolué depuis 2004.
Le syndicat des pharmaciens allemands (DAV), qui vient de tenir son congrès économique annuel à Potsdam, près de Berlin, exige donc, au vu de la dégradation de la situation, soit une revalorisation de l’honoraire, soit un desserrement de certaines mesures d’économie, dont avant tout une baisse du « rabais » que doivent consentir les pharmacies pour tout médicament remboursé par l’assurance-maladie, et qui se monte, depuis 2010, à 2,05 euros par boîte. Or, lorsqu’ils ont négocié, en 2003, le remplacement de leur marge par un honoraire, la question de la revalorisation ultérieure de ce dernier est restée en suspens : à l’époque, la consommation progressait régulièrement, d’autant plus que de nombreux médicaments avaient été sortis de la réserve hospitalière au même moment. Il avait alors été entendu que les pouvoirs publics « pourraient » revaloriser ultérieurement cet honoraire, mais sans y être forcés.
Ce « pourrait » étrangle aujourd’hui les pharmaciens, confrontés de plus à des charges nettement plus lourdes qu’en 2004, suite à de nouvelles missions et à l’augmentation générale du coût de la vie, sans parler de celle du « rabais ». De plus, les grossistes ont largement répercuté les mesures d’économie qui les ont frappés en accordant, depuis 2010, des conditions nettement moins favorables aux pharmaciens que par le passé. Selon les calculs de l’ABDA, l’association fédérale des pharmaciens, l’honoraire devrait valoir aujourd’hui 9,14 euros pour garantir aux officines des revenus équivalents à ceux de 2004. Les pharmaciens demandent donc au gouvernement de remplacer le « pourrait » de la revalorisation par un « devra », mais cette revendication a pour le moment peu de chances d’aboutir. Toutefois, précise au « Quotidien » le président du DAV, Fritz Becker, « il aurait certes fallu mieux prévoir en 2003 la question de l’évolution de l’honoraire, mais ce dernier reste de toute manière un mode de rémunération beaucoup plus juste que la marge, à laquelle personne ne souhaite revenir ».
Au cours du congrès, le responsable santé du parti chrétien-démocrate (CDU) de Mme Merkel, Jens Spahn, a appelé les pharmaciens à la modération : selon lui, et même si les caisses de maladie n’ont pas vocation à devenir des « caisses d’épargne », les bénéfices 2011 sont aussi largement dus à la bonne situation économique du pays et au recul du chômage, mais pourraient fondre rapidement, peut-être même dès la fin de cette année si un nouveau ralentissement se produisait. De plus, a-t-il poursuivi, « vous avez tort de vous plaindre car la politique de rigueur a évité au monde de la santé des plans beaucoup plus douloureux que dans d’autres pays : regardez vos confrères espagnols ou portugais, pour ne rien dire des Grecs ». Une déclaration qui, on s’en doute n’a pas soulevé l’enthousiasme de la salle, qui vit au quotidien le prix des politiques de rigueur (voir encadré). Toutefois, a concédé M. Spahn, le gouvernement pourrait accepter de renégocier à la baisse, pour 2013, le fameux rabais de 2,05 euros par boîte, qui passerait à 1,75 euro, montant plus supportable pour les officines.
S’adapter.
Mais les pharmaciens réclament plus qu’une vague promesse, et se montrent par ailleurs très irrités de voir que d’autres secteurs ou professionnels de santé, en particulier les médecins et les hôpitaux, ont obtenu ces dernières semaines des revalorisations d’honoraires ou de budgets, après avoir notamment eu recours à la grève. « Nous devons comme eux nous montrer plus combatifs », martèle Fritz Becker, qui n’exclut plus désormais des actions plus musclées, y compris des journées de grève. Il rappelle que, si l’Allemagne souhaite conserver un système exemplaire de distribution du médicament, elle doit avoir les moyens de le financer, ce qui risque de ne bientôt plus être le cas.
Les pharmaciens multiplient les efforts pour être plus performants, y compris en matière de bon usage et de prévention, mais ils ne peuvent éternellement être découragés par des baisses de revenus, d’autant que d’autres facteurs menacent de rogner encore un peu plus leur activité. C’est ainsi, par exemple, que les ventes par correspondance, certes marginales sur les prescriptions, continuent de peser sur l’activité des officines.
Les pharmacies allemandes sont donc condamnées, encore plus que ces dernières années, à faire le gros dos en attendant des jours meilleurs. S’il leur appartient de se mobiliser, elles doivent aussi, comme l’ont montré plusieurs autres conférences prononcées lors de ces journées, faire preuve d’inventivité et d’innovation pour mieux aborder les changements structurels auxquelles elles n’échapperont pas.
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