PAS QUESTION, bien sûr, de se passer des médicaments mais, comme la population mondiale augmente et vieillit, leur consommation ne cesse d’augmenter et, par voie de conséquence, leur impact sur l’environnement, l’eau en particulier, devient de plus en plus préoccupant. « Le problème est connu de longue date, mais avec les progrès des méthodes analytiques, la littérature sur le sujet s’est multipliée depuis les années 2000. Les médicaments sont maintenant considérés comme des polluants émergents », explique Benoît Roig, responsable de l’Unité biodiagnostic au Laboratoire d’étude et de recherche en environnement et santé (LERES) de l’École des Hautes études en santé publique. Mais ce ne sont pas des polluants contrôlés réglementairement…
Antibiotiques, AINS, estrogènes.
Les principales sources de pollution de l’eau par les produits pharmaceutiques sont, bien entendu, les industries et les établissements hospitaliers, mais aussi très largement les habitations individuelles, avec des concentrations qui se comptent en mg/l, puis, après traitement dans les stations d’épuration, en mcg/l, et, pour finir, en ng/l dans l’eau du robinet, après passage dans les stations de potabilisation.
Les classes thérapeutiques les plus étudiées sont les antibiotiques et les AINS, mais pour la grande majorité d’entre elles nous ne disposons que de peu d’informations. Des études internationales cherchent cependant à évaluer l’impact de la présence des médicaments sur les organismes vivant dans cet environnement en utilisant les algues, les daphnies (minuscules crustacés vivant en eau douce) et les poissons-zèbres. À la différence des filtres antisolaires et des parabènes, par exemple, sujets à la bioconcentration, « un faible log kow (cœfficient de partage) semblerait empêcher la bioconcentration de la plupart des produits pharmaceutiques, note Benoît Roig. Cela dit, certaines substances, malgré leur faible solubilité lipidique, ont été détectées à hautes doses dans les tissus d’organismes aquatiques. C’est le cas des estrogènes, du gemfibrozil, du diclofénac et de la fluoxétine ».
Si l’impact négatif des médicaments sur les animaux, direct (féminisation, malformations, mortalité chez les poissons) ou indirect (cf. le déclin des vautours dû au diclofénac au Pakistan), est prouvé, qu’en est-il sur la santé humaine ? Les données relatives aux deux voies d’exposition possibles, l’eau potable et l’alimentation (poissons, crevettes, moules…), sont peu nombreuses. La littérature estime cependant qu’il est très peu probable que l’exposition environnementale à des produits pharmaceutiques constitue un risque significatif pour la santé humaine. Des rapports récents, dont un de l’OMS, concluent même qu’il n’y a pas de raison de prendre des mesures particulières pour l’eau potable… mais qu’il faut continuer de surveiller.
L’indice PBT.
Un pays, pourtant, la Suède, a décidé de ne pas attendre de disposer de preuves scientifiques complètes de l’impact des résidus médicamenteux présents dans l’eau sur notre santé pour limiter la pollution médicamenteuse à la source. Dès 2003, le Pr Ake Wennmalm, alors responsable du département Environnement du Conseil de la ville de Stockholm, et considéré comme un « grand monsieur du développement durable », a entrepris de classifier les médicaments selon leur potentiel de nuisance environnementale. Avec la collaboration, c’est à noter, de six laboratoires : AstraZeneca, Lilly, GSK, Merck, Roche et Pfizer.
Le risque de toxicité pour l’environnement aquatique de chaque molécule est évalué d’après le rapport entre sa concentration dans les systèmes d’eau suédois et la concentration maximale pour laquelle elle n’a pas d’effet toxique sur les organismes aquatiques. En dessous de 0,1, ce risque est qualifié d’« insignifiant », de 0,1 à 1 il est « bas », de 1 à 10 « modéré », et au-dessus de 10 « élevé ». Malheureusement, les données manquent pour un très grand nombre de substances. Un autre critère entre en ligne de compte dans cette classification : l’indice PBT. P pour Persistance, c’est-à-dire capacité de la molécule à résister à la dégradation dans l’eau, B pour Bioaccumulation dans les tissus adipeux des organismes aquatiques et T comme Toxicité. Chacun de ces trois éléments étant mesuré de 0 à 3, l’indice PBT peut être de 9 quand le danger environnemental est maximal. Le volume de doses par jour est également indiqué pour chaque substance.
Critère de choix du médicament.
La petite brochure « Environmentally classified pharmaceuticals »*, qui contient toutes ces informations réactualisées chaque année, est utilisée en Suède pour éduquer le personnel des établissements de santé, pharmaciens inclus, et informer les comités pharmacologiques régionaux, lesquels établissent tous les ans une « liste sage » (wise list) des médicaments recommandés en fonction de leur coût, de leur efficacité et désormais de leur impact environnemental. Les prescripteurs, qui doivent suivre ces recommandations à au moins 80 % sous peine de voir leurs salaires ponctionnés, commencent à en tenir compte. Un exemple : dans la classe des inhibiteurs calciques, les parts de marché de l’amlodipine et de la felodipine (dont l’indice PBT est de 9) se sont inversées. Les résultats étant insuffisants, les autorités de santé suédoises réfléchissent à d’autres moyens en amont pour inciter les firmes pharmaceutiques à mettre au point des médicaments à moindre impact environnemental : prix de vente supérieur et prolongation du brevet de plusieurs années, par exemple. En effet, « la capacité d’une molécule à se dégrader plus ou moins dans l’environnement joue sur sa structure, et, donc, sur son activité, ce qui complique la recherche, allonge nécessairement la durée de mise au point d’un médicament, déjà fort longue, et pèse sur les coûts », fait remarquer Benoît Roig.
Comment s’en inspirer ?
La France pourrait-elle s’inspirer du modèle suédois ? A priori oui, en l’adaptant, mais cela paraît compliqué, répond Benoît Roig. « Les Suédois ont travaillé en collaboration avec les laboratoires, en France nous n’avons pas accès à ces données. Même l’ANSM (ex-AFSSAPS) communique difficilement ses informations. En admettant qu’il soit possible d’obtenir les données de consommation des médicaments sur prescription, nous n’aurions pas celles des médicaments sans ordonnance, or ceux-ci peuvent être aussi nocifs. La France est également soucieuse de maintenir une libre concurrence, or donner des « notes environnementales » risquerait d’influencer le marché. »
D’après un colloque organisé par le C2DS (comité de développement durable en santé), association à but non lucratif qui fonctionne comme une « tête chercheuse » indépendante et propose idées, outils concrets et formations.
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