Le Quotidien du pharmacien. — Créée il y a 100 ans par des pharmaciens pour des pharmaciens, Astera est-elle restée fidèle à sa vocation première ?
Armand Pinton.- Tout à fait. La genèse de notre coopérative revient à des pharmaciens de Rouen qui se sont unis pour distribuer leurs préparations. Aujourd’hui, cent ans plus tard, ce principe est toujours d’actualité puisque les sociétaires d’Astera mutualisent leurs moyens pour la réussite de leur point de vente.
Vous fêtez ce centenaire à un moment où le secteur de la répartition pharmaceutique connaît de graves problèmes, avec une prévision de 70 millions d’euros de pertes d’exploitation pour l’année. Quelle est plus précisément la situation de la CERP Rouen, deuxième répartiteur de France ?
En dépit d’un ralentissement du résultat d’exploitation et du résultat net, la CERP Rouen n’annoncera pas de pertes en 2019. Elle avait également été bénéficiaire en 2018. Néanmoins, il est évident que la structure de la marge du répartiteur ne convient plus aujourd’hui au modèle de la répartition pharmaceutique. Notre directeur général Olivier Bronchain, qui est aussi président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), se bat pour une modification structurelle de la rémunération qui permette de pérenniser cette activité essentielle. Il faut souligner que sans la répartition, il n’y a pas de maillage officinal pérenne. Or celui-ci est le principal pilier de la pharmacie française sur lequel le ministère de la santé s’appuie pour le déploiement des nouvelles missions.
Vous êtes depuis juin dernier, administrateur de la FCA, la fédération du commerce coopératif et associé. Quelle est votre définition du modèle coopératif ? Correspond-il au monde de la pharmacie ?
Absolument. J’en suis intimement persuadé. Car le modèle coopératif consiste à mettre en commun les moyens de chaque sociétaire, ainsi que tous les outils, afin que l’officine puisse fonctionner au niveau individuel. Nous pouvons nous inspirer des modèles que nous côtoyons au sein de la FCA. Et même si certains, comme Leclerc, sont des poils à gratter de la pharmacie, nous ne pouvons qu’espérer que si le monopole pharmaceutique venait à s’ouvrir, nous aurions la même capacité de résistance et la même position en termes de parts de marché que ces commerçants associés face à des enseignes telles que Auchan ou Afflelou !
Pensez-vous par conséquent que votre statut de coopérative soit le secret de votre longévité ?
Oui, je crois que le fait de ne pas être adossé à un grand groupe international nous impose une gestion de « bon père de famille ». Par ailleurs, nous avons une forte implication sur le terrain - 32 agences de répartition - et nous nous déplaçons régulièrement auprès de nos sociétaires, ce qui permet de faire remonter leurs demandes au siège et de mieux répondre à leurs attentes. À noter que quand un pharmacien est client chez nous, il est obligatoirement sociétaire. Par ailleurs, quand nous sommes présents dans un territoire, nous en sommes souvent le premier répartiteur. Aujourd’hui nous comptons 6 500 sociétaires, soit près d’une pharmacie française sur trois.
Vous avez au cours de vos 100 années d’existence fait preuve d’une grande diversification dans trois autres pôles d’activité : solutions à l’officine, soins à la personne et solutions à l’industrie. À l’heure où le modèle de la répartition semble à bout de souffle, cette diversification est-elle un moyen de se réinventer ?
La répartition constitue aujourd’hui 87,7 % de notre chiffre d’affaires*, les soins à la personne (Oxypharm) 2,3 %, les solutions à l’officine (LEO, Les pharmaciens associés) 0,6 %, et les solutions à l’industrie (Eurodep, notre dépositaire) 9,4 %. Ces trois dernières activités ne sont survenues que bien plus tard, pour répondre au changement de l’activité officinale : demande en petit matériel, puis matériel de maintien à domicile… LEO, notre propre LGO est également stratégique, tout comme la Centrale des pharmaciens qui permet de répondre aux demandes de direct pour les petites rotations, ou encore notre groupement « Les pharmaciens associés » qui nous fournit les ressources pour le développement du point de vente. Nous sommes l’un des seuls acteurs à pouvoir proposer l’ensemble des outils indispensables aux pharmaciens. Cependant, la répartition reste l’outil essentiel et elle ne saurait être portée par ces autres activités.
Le métier de pharmacien est lui-même en pleine mutation. Comment Astera conçoit-elle son rôle d’accompagnement des pharmaciens ?
La tendance est très nette depuis cet été. L’économie officinale est plus portée par l’honoraire que par la marge sur le médicament remboursé. L’arrivée des TROD angine l’année prochaine va signer le début d’une nouvelle ère à l’officine qui s’annonce passionnante. Le rôle d’Astera va consister plus que jamais à libérer du temps au pharmacien pour qu’il se consacre à ces nouvelles missions. Le LGO sera la porte d’entrée. Les pharmaciens sociétaires ont beaucoup travaillé à l’élaboration de ses orientations. Ainsi, comme ils ont œuvré pour les indications dans le DMP ou la vaccination, les sociétaires vont faire en sorte que LEO les aide dans les bilans partagés de médication (BPM) ou la prise de commande automatisée.
Le modèle économique est remis en question par l’arrivée des services qui suppose une réorganisation et l’émergence de nouveaux relais de croissance. Parallèlement, le monde de la pharmacie suscite la convoitise du monde de la finance. Comment, dans ces conditions, garantir la pérennité économique de l’officine et son indépendance financière ?
Si par une réorganisation complète du back-office, nous parvenons à satisfaire le patient par la qualité de notre service et à le fidéliser, alors nous aurons gagné. Car le travail du front-office n’est autre que de bien accompagner le patient et de l’aiguiller dans ses choix. Si par ailleurs nous réussissons notre pari qui est de mutualiser les moyens pour permettre au pharmacien sociétaire de disposer des bons outils pour se développer, je suis convaincu qu’un modèle coopératif comme le nôtre continuera de garder sa place au sein du réseau pharmaceutique. Quand nos fondateurs ont créé la société il y a 100 ans, ils ne doutaient pas que, 99 ans plus tard, nous devrions renouveler le droit d’exploitation de la société. Ce que nous avons fait l’année dernière sur injonction du tribunal de commerce !
*5 milliards d’euros en 2018.
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