28 JANVIER 1910, Paris est sous eaux : 8,65 m à l’échelle de Tournelle. Devenue la Venise française en une semaine de crue, la capitale ne verra la Seine regagner son lit que le 15 mars, laissant des quartiers entiers ravagés par les flots. Les experts affirment que ce scénario, typique d’une crue centennale1 en milieu urbanisé, va se reproduire. Mais quand ? Impossible de le prédire. Seuls indices : ce sera l’hiver, après de fortes précipitations et des périodes de neige et de gel. 2010, année relativement sèche, devrait y échapper. Mais la surveillance reste de mise. Car Paris a connu 65 crues exceptionnelles entre le VIe et le XXe siècle, dont la plus forte a atteint les 8,81 m en février 1658. Au XXe siècle, 12 crues importantes ont été enregistrées, dont la dernière date de 1982, à 6,20 m de haut.
« Une étude, demandée par le préfet de zone en 2001, a montré que l’inondation était le risque naturel majeur de la région. Nous avons sensibilisé tous les grands opérateurs, 150 au total, dont la DRASS, la SNCF/RATP, ERDF/RTE, les sociétés gérant l’eau potable, etc. Aujourd’hui, nous savons ce qui va se passer et nous cherchons les solutions », explique Claire Desgranges, au service protection des populations du secrétariat général de la zone de défense de Paris à la préfecture de police.
À titre préventif, plusieurs scénarios ont été établis par la DIREN (Direction régionale de l’environnement), selon le débit du fleuve, en fonction, d’une part, du changement de visage de Paris (nouvelles constructions, bétonnage), et, d’autre part, des aménagements pour contenir les crues (digues, parapets, rehaussements de ponts et création de quatre lacs réservoirs capables de retenir 830 millions de m3 d’eau et de réduire d’environ 70 cm la hauteur de crue). Pour un débit identique à 1910, la zone inondée devrait être moins étendue de nos jours.
Un million de personnes évacuées.
La préfecture de police a envisagé tous les aspects de l’inondation : coupures d’électricité, absence d’eau potable, zones inondées, caves et sous-sol noyés, évacuation des populations, gestion des ordures, etc. « L’électricité est le nerf de la guerre, on ne sait plus vivre sans. Elle sera coupée dans les zones inondées, mais aussi dans certaines zones intactes raccordées à des transformateurs impactés. Un million de personnes devront être évacuées en Île de France, dont 650 000 à Paris », précise la spécialiste.
Sur le plan sanitaire, la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales s’est investie à travers « le recensement sur système d’information géographique, pour pouvoir relocaliser les patients », ajoute l’experte. Entre autres, l’hôpital européen Georges Pompidou aura les pieds dans l’eau, tandis que la bordure est de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière sera touchée. « Une évacuation spécifique est prévue pour les malades et personnes handicapées qui sont habituellement considérés comme non transportables, par le SAMU, les sapeurs-pompiers, les associations de sécurité civile, les ambulances privées. Tous seront dirigés vers d’autres établissements de soin », complète Matthieu Metzger, au Bureau de la planification et des associations de sécurité civile, également au service de protection des populations.
Le plan blanc2 entrera en action et sera élargi3, il devra être adapté puisqu’il n’est pas spécifiquement conçu pour les inondations. « Les pharmaciens et médecins libéraux ne devraient pas être mobilisés. On attend d’eux qu’ils se réinstallent au plus vite après la décrue, nous les aiderons dans ce sens. Le but est que les quartiers refonctionnent normalement très rapidement car les personnes évacuées vont retourner chez elles et auront besoin des professionnels de proximité », souligne Matthieu Metzger.
Plans ORSEC.
Comment fonctionneront les officines qui n’auront pas été touchées par l’inondation ? Avec les moyens du bord, en espérant être accessibles aux grossistes répartiteurs. Ces derniers ont un plan de continuité d’activité en temps de crise, récemment actualisé pour pouvoir réagir en cas de pandémie de grippe A, et des plans ORSEC4. « Nous avons deux établissements en zone inondable. Quel que soit le souci, nous savons quoi faire. Un établissement qui ne peut plus livrer, pour panne d’automate, d’électricité, de téléphone, peut compter sur la reprise de ses activités par un autre établissement », explique Philippe Godon, directeur des affaires réglementaires d’Alliance Healthcare France. L’organisation est la même à l’OCP pour ses 45 sites, tous solidaires entre eux. En novembre dernier, une « mini-tornade » a emporté une partie du toit de l’établissement de Bayonne. Celui de Bordeaux a pris le relais au pied levé. « Il est possible de rediriger toutes les commandes sur un ou plusieurs établissements sauveteurs, même lorsque l’informatique du site est touchée, nous avons un système de sauvegarde chez un prestataire », souligne Agnès Burkel, responsable de la communication d’OCP. L’étape suivante consiste à prévenir l’ensemble des clients du problème et des moyens mis en œuvre pour qu’ils soient livrés dans les meilleurs délais.
Le plan de continuité d’activité permet d’assurer la livraison de médicaments aux pharmaciens en cas de catastrophe naturelle. De plus, en cas de pénurie d’essence, les répartiteurs sont prioritaires pour les dotations en carburant. « En cas de paralysie du pays et de transport routier faible, nous travaillons sur la liste des médicaments urgents et essentiels en partenariat avec les laboratoires concernés, indique Philippe Godon. Si les transports en commun ne fonctionnent plus, nous organiserons le ramassage de nos collaborateurs et nous inviterons au covoiturage. Au siège, nous sommes juste au-dessus d’un de nos établissements de répartition et la plupart d’entre nous avons été formés à préparer une commande, quel que soit le poste que nous occupons. »
Isolation totale.
Mais encore faut-il pouvoir atteindre les pharmacies qui fonctionnent. Des routes peuvent être impraticables pour cause de neige et/ou de verglas. « Lors des inondations dans la Somme, nous avons été confrontés à l’isolation de certaines officines. Il faut s’adapter, nous pouvons par exemple déposer la livraison à la mairie ou la gendarmerie et le pharmacien vient la chercher par ses propres moyens. Nous pouvons aussi modifier nos itinéraires, par exemple lorsqu’un pharmacien se voit attribuer un local provisoire pour exercer », indique Patrick Bonnefond, directeur organisation et méthodes à la direction logistique d’OCP. Le seul établissement OCP de la région parisienne en zone inondable est celui de Saint-Ouen. La partie livraison est vulnérable mais le parking a été sécurisé par des portes étanches et le bâtiment abritant le magasin a été construit en hauteur. « Même si nous sommes en mesure de préparer les commandes, la livraison poserait problème si les rues étaient impraticables. Dans ce cas, l’activité de Saint-Ouen serait répartie sur quatre sites : Créteil, Melun, Le Plessis-Robinson et Rouen », précise Patrick Bonnefond.
Les pharmaciens ne seront donc pas réquisitionnés lors de la crue centennale. En revanche, les officines qui ne seront pas touchées à Paris devront certainement gérer, outre les clients habituels, de nombreux autres, contraints de se déplacer vers des zones sécurisées. Une période où il faudra se recentrer sur le médicament urgent et essentiel et faire jouer la solidarité vers les confrères en attente de décrue.
2 Plan d’urgence visant à faire face à une activité accrue d’un hôpital, comme un afflux massif de victimes d’un accident ou d’une catastrophe, d’une épidémie ou d’un événement climatique meurtrier et durable.
3 Le plan blanc élargi recense les personnes, biens et services dans le département, susceptibles d’être mobilisés lors d’une crise sanitaire grave. Il définit les modalités de leur mobilisation et de leur coordination avec le service d’aide médicale urgente.
4 Le plan ORSEC est un dispositif national : organisation de la réponse de sécurité civile, anciennement organisation des secours. L’acronyme est plus généralement utilisé dans le sens de « plan de secours ».
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion