LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - Les frais de livraison perçus par les grossistes-répartiteurs ont fait l’objet d’un rappel à la réglementation du ministère de la Santé et d’une vive polémique avec l’USPO. Comment pouvez-vous justifier, au nom du droit commercial, ces pratiques jugées illicites ?
HUBERT OLIVIER. - Nous avons effectivement été interpellés par la ministre de la Santé. Elle nous a envoyé une lettre comparable à celle que Xavier Bertrand nous avait déjà adressée entre les deux tours de l’élection présidentielle. Nous avons rencontré le cabinet de la ministre, mi-septembre, pour lui exposer notre position et rappeler qu’elle repose sur l’application du droit commercial. La facturation des frais de livraison, lorsqu’elle est pratiquée, est explicitement prévue dans les conditions générales de ventes du répartiteur concerné. À partir du moment où ces conditions sont connues et acceptées du pharmacien, la facturation s’appuie sur une base juridique solide et non contestable. La réalité est très différente des chiffres avancés par l’USPO, qui parle de facturations massives. Sur les neuf premiers mois de 2012, l’ensemble des répartiteurs ont livré 13 millions de commandes, dont seulement 172 000 ont donné lieu à une facturation de frais de livraison, soit 1,3 %. De plus, pour expliquer que le coût de la livraison est déjà inclus dans notre marge, l’USPO fait référence à un article du code de la Sécurité sociale qui indique que « la fixation des marges de la répartition tient compte de l’évolution des charges, des revenus et du volume d’activité des entreprises concernées ». Or, si on devait appliquer à la lettre cette disposition, la ministre devrait revaloriser immédiatement notre marge, qui n’a cessé de baisser depuis dix ans, alors que nos charges ont augmenté. L’intention de la répartition est de facturer des frais de livraison le moins souvent possible. Elle ne le fait que pour de très petites commandes, afin de couvrir une partie de ses coûts, et cela n’est même pas suffisant. Dès qu’un seuil d’une centaine d’euros de commande est atteint, et de 4 000 à 5 000 euros en cumul mensuel, le pharmacien peut être exonéré de ces frais.
Le décret du 28 septembre dernier pour prévenir les ruptures d’approvisionnement vous semble-t-il satisfaisant et quelles sont vos propositions pour améliorer la situation ?
Il faut rappeler qu’un répartiteur ne peut pas livrer un produit s’il ne l’a pas lui-même reçu dans les délais prévus et en quantité suffisante. En moyenne, les manques fabricant représentent 15 % des quantités totales commandées par la répartition aux laboratoires. Néanmoins, grâce à l’effet régulateur de la répartition, les manquants pour l’officine en représentent seulement 5 %. Par ailleurs, les deux tiers des ruptures ont une durée inférieure ou égale à 15 jours. Grâce à leur stock, les répartiteurs peuvent les absorber, afin qu’elles ne touchent pas les pharmacies. En revanche, 14 % des ruptures durent de 15 à 30 jours et 12 % dépassent trente jours. Dans ce cas, le répartiteur ne peut plus amortir la situation et les manques deviennent sensibles au niveau du comptoir. Enfin, concernant les produits soumis à des quotas, l’industrie a longtemps affirmé que les ruptures étaient dues aux activités d’exportation parallèle des répartiteurs. Nos chiffres montrent pourtant que les manquants sont aussi nombreux sur les produits contingentés qui sont exportés, que sur ceux qui ne le sont pas. Le décret ne suffira certainement pas à résoudre tous les problèmes, même si certains éléments sont positifs. L’article 3, par exemple, renforce nos obligations de service public et les obligations d’approvisionnement par les industriels. Nous espérons que cette disposition mettra fin à des situations curieuses, où certains produits n’étaient plus disponibles auprès des répartiteurs, alors qu’il était toujours possible de s’en procurer en direct auprès du laboratoire. L’article 5 est aussi une bonne chose. Il renforce les possibilités pour l’Agence nationale du médicament (ANSM) de s’assurer que tous les acteurs qui disposent du statut de grossiste-répartiteur soient capables d’assurer leurs obligations de service public. En revanche, nous pensons que ce décret est incomplet. Nous avons donc fait trois propositions : définir la notion d’intérêt thérapeutique majeur pour concentrer nos efforts sur les produits concernés ; constituer un groupe de travail avec le ministère de la Santé, l’ANSM, l’Ordre, les syndicats de pharmaciens, la CSRP et les industriels, afin de mesurer l’impact des dispositions en place, vérifier si elles sont efficaces et en proposer de nouvelles si ce n’est pas le cas. Enfin, la proposition la plus importante est d’instaurer un dispositif d’approvisionnement d’urgence des officines, déclenché par l’ANSM. Il permettrait de positionner les stocks disponibles sur 26 plate-formes régionales, ce qui les rendrait accessibles à toutes les officines françaises et livrables dans un délai de 24 heures. Nous sommes capables de le faire dès demain. Nous attendons un retour des pouvoirs publics sur ces propositions.
La situation économique de la répartition est préoccupante, au même titre que celle de l’officine. Quelles sont vos perspectives à court et moyen terme ?
Depuis 10 ans, notre marge n’a cessé de baisser, de l’ordre de 20 % entre 2002 et 2012 et de 12 % ces cinq dernières années. Dans le même temps, l’inflation cumulée atteint aussi 20 %. Les répartiteurs ont pu s’en sortir grâce au déploiement d’efforts considérables en terme de productivité, mais aussi en baissant leurs conditions commerciales. Cette situation a atteint ses limites, d’autant plus que les perspectives sont préoccupantes. Comme l’officine, nous subissons l’impact des baisses des prix et de volume du marché remboursable. Nous prévoyons un marché en baisse de 2,5 % en 2012 et de 2 à 3 % pour 2013. De plus, depuis cet été, nous sommes touchés négativement par le développement du générique. Notre marge brute unitaire, qui est de 0,47 euro pour une boîte de princeps, ce qui est déjà extrêmement bas, descend à 0,26 euro pour une boîte de générique, très largement en dessous de nos coûts d’exploitation. Pour nous, le générique représente une triple peine : moins de chiffre d’affaires, moins de marge et moins de volumes, compte tenu des ventes directes. La nouvelle marge mise en place début 2012, qui devait limiter la dégressivité de nos revenus, n’a pas eu l’effet attendu. Nous prévoyons une baisse de 85 millions d’euros de marge en 2012, puis à nouveau 75 millions pour 2013-2014. Si aucune mesure n’est prise rapidement, toute la répartition risque d’être en difficulté en 2015.
Face à cette dégradation, quelles solutions envisagez-vous ?
À court terme, il faut trouver un nouveau dispositif pour remonter la marge de la répartition sur le générique. Pour cela, il faudrait réinjecter 60 à 70 millions d’euros dans le circuit de distribution dès 2013. À moyen terme, il faut revoir tout le système de péréquation. En Allemagne, pour des coûts d’exploitation comparables, la marge unitaire minimale est de 0,70 euro, à laquelle s’ajoute un taux de marge de 3,15 %. C’est deux à trois fois supérieur à notre rémunération. L’enjeu est de l’ordre de 150 à 170 millions d’euros pour stabiliser nos ressources de façon durable.
Certains mettent en cause l’intérêt même de la répartition dans le fonctionnement de la chaîne de distribution du médicament. Que leur répondez-vous ?
Grâce à la répartition, chacune des 22 000 pharmacies françaises a accès chaque jour aux 35 000 spécialités disponibles sur le marché, via un réseau pharmaceutique sécurisé, avec un taux de service de 99 % et une traçabilité des commandes et des produits. Si chaque pharmacie devait s’approvisionner directement auprès des fabricants, elle devrait gérer plus de 500 fournisseurs et détenir un stock énorme. Nous apportons également un soutien financier au réseau officinal. Lorsqu’une pharmacie est en difficulté, elle se tourne souvent vers son répartiteur, parfois même avant ses banquiers. Même si nous ne revendiquons pas d’être toujours parfait, nous avons la faiblesse de penser que nous sommes indispensables. D’ailleurs, aucun pays en Europe ne se passe de répartiteurs…
Quelle est votre position au sujet de la vente des médicaments sur Internet, y compris par des pharmaciens eux-mêmes ?
Ce n’est pas à nous de prendre position sur le sujet. C’est une question qui concerne avant tout l’Ordre, les syndicats et les pouvoirs publics. Il y a urgence à légiférer afin de combler le vide juridique entre la réglementation communautaire et le droit français. S’il devait y avoir une activité de commerce en ligne, il faudrait qu’elle soit strictement encadrée et rattachée à des officines physiques. Sinon, les risques liés à la vente en ligne, dont la France a pour l’instant réussi à se protéger, deviendraient une réalité.
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