À l’évocation des chaînes de pharmacies resurgit rapidement le spectre de la GMS. À juste titre. Car l’intérêt des acteurs du mass market pour le marché de la pharmacie officinale est aujourd’hui palpable.
En témoignent, à travers l’Europe, le rachat des pharmacies Hjärtat, en Suède (1), par le leader des supermarchés suédois, ICA. Ou encore les alliances entre le géant suisse de la grande distribution, Coop, et les pharmacies helvétiques Galenica, tandis qu’en Italie, la pharmacie s’invite dans des corners de Coop Italia, bien sûr, mais aussi chez Auchan, Leclerc et Carrefour, comme le relève une récente étude les Echosétudes (2).
« Les gros distributeurs recherchent des opportunités pour croître et intensifier leur présence. La pharmacie est certainement considérée comme un espace de croissance et de potentiels. C’est la même chose en ce qui concerne leur appétit pour rendre disponibles, en supermarchés, les médicaments sans prescription, constate Jurate Svarcaite, secrétaire générale du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE) ; cela fait partie de la stratégie de la grande distribution qui vise à transformer ses supermarchés en guichet unique où le consommateur trouverait de tout, du nettoyage à sec aux produits pharmaceutiques. »
Des alliances décisives
Cette nouvelle émanation révèle la convoitise suscitée par la pharmacie d’officine auprès des investisseurs. Quand ces intérêts croisés ne brouillent pas tout simplement les cartes. Récemment, 277 pharmacies des supermarchés Sainsbury’s ont été reprises par LloydsPharmacy, la chaîne du grossiste-répartiteur allemand Celesio.
C’est dire si la répartition, acteur historique des chaînes de pharmacies en Europe, ne lâche pas facilement le morceau. De fait, bien que soumis à un mouvement de concentration au niveau mondial, Celesio (3), racheté par l’Américain Mc Kesson, et Alliance Boots (4), fusionné avec l’Américain Walgreens en 2014, tout comme leur outsider Phoenix Pharma (5), n’en gardent pas moins la main sur 16 800 pharmacies (6) de par le monde, dont 40 % en Europe.
Cette hégémonie des grossistes-répartiteurs sur le secteur n’est pas nouvelle. Cependant, elle apparaît plus que jamais comme la garante de la pérennité des activités de répartition (voir interview). « Nos alliances entre Alliance Healthcare et Boots ont permis de consolider notre position dans la répartition, d’investir dans une logistique plus performante et d’offrir à nos clients, y compris aux pharmaciens indépendants, une approche plus compétitive », explique Yves Romestan, Senior Vice President, Communications and International Affairs, Walgreens Boots Alliance.
Géopolitique officinale
Soutenus par cette stratégie devenue l’une des composantes majeures de leur structuration verticale, les grossistes-répartiteurs ont tissé leur toile au gré de la dérégulation des marchés européens. Dans les pays de l’ex-bloc soviétique, dès la chute du rideau de fer, puis en Scandinavie, en Norvège en 2001, et en Suède huit ans plus tard.
Depuis, portés par diverses opportunités, ces trois répartiteurs continuent de pousser leurs pions sur l’échiquier européen. Phoenix est ainsi présent dans treize pays et quelque 2 080 pharmacies, au travers de trois marques enseignes : Benu (pays baltes, Pays-Bas et Suisse), Apotek 1 en Norvège, et Rowlands Pharmacy (Grande-Bretagne). Walgreens Boots Alliance agite sa bannière historique Boots dans pas moins de quatre pays européens et sur quelque 2 719 pharmacies (4 673 dans le monde). Le groupe vient de prendre récemment pied en Russie où elle a échangé ses activités de répartition contre une prise de participation au sein de la chaîne de 1 000 pharmacies 36.6.
Géopolitique oblige les groupes allemands se tournent eux aussi vers l’Est. Phoenix a ainsi racheté, fin 2016, 37 pharmacies (Apoteka Lijek) au Montenegro après avoir repris 42 pharmacies de la chaîne SunPharma en Slovaquie, un an plus tôt. Quant au deuxième Allemand, Celesio, il n’a pas été freiné dans son élan par l’échec de son rachat, en 2007, de Doc Morris - revendu cinq ans plus tard au Suisse Zur Rose - dont il avait le dessein de faire la première chaîne de pharmacies d’Europe.
Désormais propriété du groupe américain Mc Kesson, Celesio tente de déployer son enseigne Lloyds à son réseau de pharmacies. Avec un succès plus ou moins relatif, puisque, après un an de test, l’idée a été abandonnée. Il n’en demeure pas moins que 1 913 pharmacies sont dans le giron du groupe de Stuttgart après que 79 Lloydsapotek de Norvège et de Suède ont été cédées, l’année dernière, à la maison mère Mc Kesson. Celesio poursuit son expansion avec le rachat de franchises en Italie et en Irlande, ou encore en reprenant le réseau de 380 pharmacies indépendantes, Holon, au Portugal, il y a à peine un an.
Un agent consolidant
Chaînes intégrées ou réseaux d’indépendants, ils ont en commun de permettre aux grossistes-répartiteurs d’asseoir leur empreinte sur un territoire. « Les groupements de pharmacies, comme Pharmavie en France, tout comme les chaînes de pharmacies intégrées dans d’autres pays, vont devoir accentuer leur rôle en termes de soins et de services, à travers l’Europe. C’est une forte orientation patients qui va continuer de renforcer la position de la pharmacie en tant qu’acteur clé dans le secteur de la santé », expose Stefan Herfeld, membre du Comité exécutif, activité Retail pour Phoenix Group.
Cette forte implication est d’autant plus cruciale que les cartes de la répartition pourraient être bientôt rebattues sur le sol européen. « Les trois premiers acteurs que sont Walgreens Boots Alliance, Celesio et Phoenix, ne détiennent que 67 milliards des 162 milliards de dollars de chiffre d’affaires global de la répartition en Europe », relève Anne-Christine Marie, associée, coresponsable du pôle industrie pharmaceutique et sciences de la vie chez PwC, prédisant une consolidation prochaine de ce secteur (7).
Maintenir l'excellence
On peut alors aisément, dans ce contexte, préjuger de la capacité des leaders actuels à poursuivre l’expansion de leurs chaînes. Cependant, chose inimaginable il y a encore quelques années, les groupes sont prêts aujourd’hui à certains compromis. Ainsi Celesio et Phoenix, pourtant rivaux Outre-Rhin, se sont alliés au sein d’une joint-venture néerlandaise, Brocacef destinée à couvrir un quart du parc de l’officine néerlandaise sous la bannière Benu et Mediq.
À l’aune de cet exemple, le marché des chaînes en Europe serait-il parvenu à saturation ? « Dans les pays européens où les chaînes sont autorisées, nous observons une consolidation du marché. En d’autres termes, les chaînes de pharmacies fusionnent ou acquièrent des pharmacies indépendantes et/ou d’autres chaînes », remarque Jurate Svarcaite. Elle prédit que cette tendance va probablement se poursuivre « en raison des pressions financières découlant de la baisse du revenu moyen de la pharmacie et des économies potentielles que les chaînes de pharmacie peuvent effectuer par une centralisation de certaines activités ».
Davantage que d’un statu quo, Yves Romestan préfère parler de maturité. « Tout se joue aujourd’hui dans un mouchoir de poche », constate-t-il. Pour autant, la concurrence entre les forces en présence n’en est pas moins rude, bien au contraire. « Il faut faire preuve d’ingéniosité et d’innovation tout en maintenant l’excellence dans les services classiques, allier les opportunités digitales sans déconcerter nos clients traditionnels », expose Yves Romestan. Sur le sol européen, les acteurs naviguent désormais avec la minutie d’un compas.
(1) 14 nouvelles ouvertures prévues cette année.
(2) « La distribution pharmaceutique en Europe » Globalisation des organisations et transformation digital : les nouveaux défis des grossistes répartiteurs et des pharmaciens d'officine. Les Echosétudes, février 2017, 3 050 euros HT.
(3) Pharmactiv en France.
(4) Alphega en France.
(5) Pharmavie en France.
(6) Sources Les Echosétudes.
(7) Pharma 2020 : Supplying the future Which path will you take ? Pharmaceuticals andLife Sciences PWC.
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