« Contre beaucoup de maux que l’on attribue à la mélancolie, aux vapeurs, à la bile et aux obstructions du foie, de la rate et des autres glandes du bas-ventre, est un voyage en chaise de poste qui roule rapidement sur le pavé pendant plusieurs jours » : Pierre Chirac (1650-1732), premier médecin de Louis XV, préférait visiblement croire que les cahots du véhicule à cheval remédiaient à l’« obstruction des glandes » plus que le divertissement du voyage et préconisait le recours à des secousses plus ou moins violentes pour traiter ou prévenir divers maux. Mais voilà : il n’était pas possible que les patients passent leur vie à voyager !
Fort de ces observations, l’abbé Charles-Irénée de Saint-Pierre (1658-1743), bel esprit du Siècle des Lumières connu pour son inventivité sans bornes, imagina un siège « affermi sur un châssis » permettant de les secouer à domicile qu’il fit construire par l’ingénieur-machiniste Duguet : son « fauteuil de poste » aisément démontable, donna lieu à une première démonstration le 31 décembre 1734. Utilisé à raison de 2 à 3 heures par jour, 2 à 3 fois par semaine, ce dispositif à ressorts permettait aux vieillards et aux goutteux de renouer avec les bienfaits de la chasse ou de la marche, remplaçait les saignées et était indispensable aux gens d’étude, aux religieux et aux ministres qui pouvaient se faire donner lecture et dicter le courrier alors que « leur sang et autres liqueurs retrouvaient un degré de mouvement suffisant ». Le médecin Jean Astruc (1684-1766) en recommanda avec chaleur l’usage, et Diderot l’immortalisa dans son Encyclopédie sous le joli nom de « trémoussoir » - permettant de se faire « trémousser ». Voltaire compta au nombre des adeptes de l’engin comme en témoigne l’une des lettres qu’il adressa en septembre 1744 au comte Charles-Augustin de Ferriol d’Argental (correspondance, lettre n° 1675) : « Je partis pour Champs , mon adorable ange, au lieu de dîner. Je me mis dans le trémoussoir de l’abbé de Saint-Pierre, et me voilà un peu mieux ». De fait, les allégations favorables de l’ecclésiaste et de médecins proches ne suffirent pas à assurer le succès de son dispositif thérapeutique qu’il proposait notamment en location, ce malgré divers perfectionnements réputés en agrémenter l’usage : « On pouvait placer deux fauteuils sur la machine afin que deux personnes pussent avoir le plaisir de converser en prenant le même remède ». Force est donc de constater que le trémoussoir ne connut qu’un éphémère succès : par exemple, dès 1800, l’abbé Pierre de la Mésengère (1761-1831) constata dans son petit guide « Le voyageur à Paris » qu’il y était « complètement oublié ».
Profession : trémousseur
La prescription du trémoussoir était assortie de recommandations quant à sa fréquence, sa durée et l’intensité des secousses prodiguées comme précisé dans Le Mercure de France en 1734 : « Il faut que la nature ainsi que l’étendue des mouvements qu’il communique et la durée du temps pendant lequel on en fait journellement usage, soient toujours réglées sur la disposition actuelle des malades ». Et, en cette époque où le moteur restait inconnu, le fauteuil était mû par quelque domestique qui, sûrement, devait y mettre du sien pour moduler l’intensité des secousses des heures durant (et bien plus profiter de l’exercice physique que son maître ainsi secoué) : « À l’égard de la promptitude du trémoussement, cela dépend du plus ou du moins de vitesse avec lequel le trémousseur fait tourner la roue ». Le poste requérait une certaine expertise comme le suggérait plaisamment une chanson alors populaire à l’époque (reprise sur l’air du Noël « Tous les Bourgeois de Chartres ») : « À l’aide d’une chaise/Mouvante par ressorts/On peut tout à son aise/Se trémousser le corps/Cela fera filtrer plus aisément la bile/Pour l’opération dondon/Le patient aura lala/Un trémousseur habile ».
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