La mondialisation, si critiquée par les peuples contraints de partager le travail avec les pays émergents, a produit plus d'heurs que de malheurs. Elle a sorti de la misère des centaines de millions d'êtres humains et permis à des centaines de millions d'autres d'accéder à la classe moyenne. Certes, elle se développe au détriment des sociétés industrialisées, à cause des délocalisations et du transfert des moyens de production. Elle est pourtant inachevée, laissant, notamment en Afrique, des poches de misère et de dénuement qui résistent à une croissance forte, mais variables selon les régimes et le degré de corruption.
Associée à la peur du terrorisme, celle des étrangers pauvres venus occuper en Europe ou aux Etats-Unis des emplois raréfiés par la mondialisation a provoqué dans le monde occidental une vague énorme de ressentiment complétée par une exigence de protection dont les partis populistes ou néo-fascistes se servent pour conquérir et exercer le pouvoir. Leur surenchère a profondément diminué l'attachement des populations aux valeurs positives et humanistes nées des expériences calamiteuses du XXè siècle. La peur suscite la haine et la haine nourrit la violence, comme si les sociétés les plus policées de la terre, les mieux organisées, les plus inventives, les plus progressistes n'avaient pas sombré, il y a seulement quelques décennies, dans l'horreur totalitaire.
Les gens ont la mémoire courte. La plupart d'entre eux oublient les sacrifices de leurs aieux. Ils ne se souviennent plus de ce qu'il en coûte de remettre en cause les principes démocratiques qui régissent les relations que nous entretenons au sein d'une nation et entre les nations. Ils ne comprennent pas non plus que, en renonçant à toute une série de codes qui fondent nos sociétés, nous nous dirigeons vers un avenir sombre qui ressemblera à un passé tout aussi obscur. Le Brexit est une forme d'intolérance choisie par un peuple qui a pourtant sacrifié au moins deux fois des centaines de milliers de vies britanniques au triomphe de la démocratie. Le Royaume-Uni est en train de faire une expérience unique : celle d'une décision funeste dont il subit les conséquences délétères avant même d'avoir rompu ses liens avec l'Union européenne.
Un maelström géopolitique
Dans cette sorte de maelström géopolitique, le combat conduit par les gouvernements français et allemand contre leurs oppositions intérieures et contre une dérive si forte qu'elle en semble irréversible, est courageux. Emmanuel Macron n'agit avec l'autorité qu'on lui reproche si vivement que parce qu'il ne sous-estime pas la puissance de la bête totalitaire qui sommeille dans toute société. Angela Merkel doit respecter les institutions allemandes qui ne lui offrent pas le pouvoir que donnent au président celles de la France. Mais leur regard est lucide : ils ont fort bien compris que l'Amérique de Trump préfère l'unilatéralisme, le protectionnisme, l'isolationnisme à toute forme de consensus international. Macron et Merkel savent aussi qu'ils sont menacés de l'intérieur. Ils n'ignorent rien de la complexité de leur tâche, qui est de maintenir la démocratie sans réveiller la bête. Peut-être même qu'ils nourrissent un doute sur leurs chances de réussir et de refonder l'Europe. C'est toutefois avec vigueur que, jeudi dernier à Quimper, le président de la République a exalté les valeurs européennes.
L'Union est minée par le populisme, forme de gouvernance qui n'a rien de nouveau mais que des peuples accueillent sans se souvenir qu'ils l'ont expérimentée à leurs dépens. Elle affaiblit les gouvernements qui résistent à cette évolution nocive. Elle creuse des fossés entre des nations qui, naguère, ne cherchaient qu'à s'unir. L'Occident a basculé. La réunion des démocraties a laissé la place au chacun pour soi. De ces égoïsmes, de ces nationalismes présentés comme un remède alors qu'ils empoisonnent toutes les consciences, ne peut naître que l'hostilité, celle qui précèdent les guerres.
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