L’assurance-maladie perfectionne la lutte antifraude

La traque contre les pharmaciens fraudeurs s’intensifie

Publié le 12/03/2012
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Les agissements des pharmaciens fraudeurs auraient fait perdre 4,9 millions d’euros à l’assurance-maladie en 2011 (chiffre provisoire), soit 58 % de plus qu’en 2010. Mais attention, prévient le directeur de la lutte antifraude à la CNAMTS, cette évolution traduit aussi l’amélioration des techniques de détection. Même si les officinaux ne sont pas les moins vertueux des professionnels de santé, un nouveau programme national visant à traquer les pharmaciens indélicats sera lancé en 2012, confie au « Quotidien » le Dr Pierre Fender.
L’utilisation frauduleuse de cartes Vitale peut conduire au pénal

L’utilisation frauduleuse de cartes Vitale peut conduire au pénal
Crédit photo : S Toubon

« LORSQUE LES PHARMACIENS fraudent, ils ne le font pas pour rien, et le préjudice financier pour l’assurance-maladie se chiffre très vite en centaines de milliers d’euros », explique le Dr Pierre Fender, directeur du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude à la CNAMTS*. Quelques affaires retentissantes feraient ainsi venir le rouge aux joues de toute la profession. Avec un préjudice estimé à 310 000 euros, par exemple, ce titulaire du Sud Est de la France avait été, en 2011, placé sous contrôle judiciaire avant même d’avoir été jugé et interdit d’accès à sa propre officine. Il faut dire que la surcharge de prescription, l’usage abusif de cartes Vitale ou la facturation de délivrances fictives étaient monnaie courante à son comptoir. Évoquons encore cette autre pharmacie de l’Est adepte du renouvellement de délivrance inadapté ou de la modification de la durée de traitement, soupçonnée d’avoir perçu indûment pas moins de 250 000 euros. « Pour autant, tient très vite à tempérer Pierre Fender, les officinaux ne sont pas les moins vertueux parmi les professionnels de santé. La très grande majorité d’entre eux, entretient avec l’assurance-maladie des relations sereines et claires. »

Une détection améliorée.

Un avis que viennent pourtant un peu bousculer les chiffres : évalué à 4,9 millions d’euros en 2011 (chiffres provisoires non encore consolidés), le préjudice financier causé à l’assurance-maladie par les titulaires indélicats aurait, semble-t-il, progressé significativement par rapport à 2010 (3,1 millions d’euros). De là à dire que le phénomène prend de l’ampleur, il n’y a qu’un pas que le Dr Fender nous invite à ne pas franchir trop hâtivement. « Ce chiffre est certes lié au niveau de la fraude d’une population professionnelle donnée, mais également à l’efficacité des moyens mis en œuvre par l’assurance-maladie pour la déjouer. »

De fait, rappelle le patron de la lutte antifraude, les moyens de détection ont nettement évolué depuis la mise en place du service en 2006. « Notre logique consiste à améliorer notre savoir-faire au quotidien, ce qui nous permet d’intégrer ce nouveau savoir-faire dans la détection des pharmacies suspectes. Voilà qui explique sans doute pour partie la progression des chiffres. » La crise économique n’aurait-elle pas aussi un impact sur la moralité des professionnels ? « Nous n’avons pas ce sentiment », répond Pierre Fender. Et de rappeler que, avec un niveau de fraude inférieur à 1 % du budget passant entre ses mains, la population des pharmaciens reste particulièrement vertueuse.

Trois types de fraudes.

Quoi qu’il en soit, trois grands types de fraudes sont observés dans les officines. Les moins graves sont constituées par des erreurs du type renouvellements anticipés ou délivrances de conditionnements mensuels à la place de trimestriels. Si ces agissements ne sont pas répétés, l’assurance-maladie se limite alors à une simple mise en garde et demande le remboursement des sommes indues. Lorsqu’il s’agit en revanche d’activités fautives ou abusives caractérisées par la répétition des faits, l’Ordre des pharmaciens est le plus souvent saisi - par le biais de la section des assurances sociales - et le professionnel risque l’avertissement, le blâme, voire l’interdiction d’exercer. Un pharmacien qui facture systématiquement pour des durées supérieures à 1 mois, générant ainsi des chevauchements de délivrance, se trouve par exemple dans ce cas. Enfin, quand le titulaire est convaincu de falsification d’ordonnances, d’utilisation frauduleuse de cartes Vitale, ou encore qu’il délivre 3 mois de traitement au lieu du mois prescrit, l’assurance-maladie prend alors souvent la décision d’aller au pénal ; surtout lorsque les montants détournés sont élevés.

« En matière de lutte contre la fraude, c’est un peu le jeu du chat et de la souris, témoigne Pierre Fender. Nos moyens de lutte évoluent sans cesse d’une campagne à l’autre. » Grâce au travail constant de 6 statisticiens et de 2 pharmaciens de la CNAMTS, de nouveaux indicateurs de fraude, plus performants et plus sensibles, sont ainsi créés. Pour quoi faire ? « Un exemple : la plupart des demandes de doubles paiements - le plus souvent non intentionnelles - sont stoppées grâce à nos outils de détection. Mais ceux qui veulent vraiment frauder, s’y prennent autrement. Je ne vous dirai pas comment, car cela guiderait les fraudeurs pour nous déjouer… Quoi qu’il en soit, nous travaillons à y remédier. »

Détection, investigation et contentieux.

Plus globalement, la lutte s’organise au travers de grands programmes nationaux et d’actions de terrain ciblés destinés à traquer les professionnels indélicats. Au niveau local, les caisses d’assurance-maladie et leur contrôle médical identifient, à la suite d’un signalement ou d’informations contenues dans leurs bases de données, les officines suspectes. C’est l’étape de la détection. Elles mènent ensuite successivement les opérations d’investigation, puis les actions en justice pour enfin aboutir aux débouchés contentieux. Les programmes nationaux ont pour objectifs de coordonner détection, investigation et contentieux.

« Prévenir les infractions avant qu’elles soient commises, cela n’est pas spécifiquement la mission du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude, rappelle Pierre Fender qui concède toutefois que l’un des moyens susceptibles de faire baisser le phénomène est la prescription électronique. Tout ce qui contribue à l’informatisation des procédures favorise la transparence entre professionnels et assurance-maladie. »

Dotée d’un tel dispositif, la lutte antifraude de la CNAMTS récupère chaque année entre 150 et 160 millions d’euros. « Certes, reconnaît son directeur, ce n’est pas avec les sommes récupérées que l’on équilibrera les comptes de la Sécurité sociale. Mais toute fraude est inadmissible et chaque euro doit être bien dépensé. Nous participons à une moralisation dans l’utilisation des fonds publics. »

En 2008, un vaste programme de lutte contre la fraude avait ciblé 149 officines. « L’année 2012 verra la relance d’un nouveau programme national visant les pharmacies » confie enfin le Dr Pierre Fender. Voilà la profession prévenue.

* Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés.
› DIDIER DOUKHAN

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2905