LE SOULÈVEMENT, qui a gagné tous les États et toutes les villes de la fédération brésilienne, est devenu incontrôlable. Bien entendu la hausse de huit centimes d’euro du ticket de bus ne suffit pas à expliquer cette colère, soudaine mais durable, contre les pouvoirs publics. Élue le 31 octobre 2010 et présidente depuis le 1er janvier 2011, Dilma Roussef, du Parti des travailleurs (PT), a été choisie par Luiz Inàcio Lula da Silva, plus communément appelé Lula, pour lui succéder. Le PT est majoritaire dans le pays depuis plus de dix ans. Il a géré le Brésil avec compétence et surtout avec des résultats probants, sortant de la misère des dizaines de millions de citoyens et créant ainsi une forte classe moyenne. Alors que de tous temps, comme disait Sartre, au Brésil, 10 % des gens étaient riches et 90 % étaient pauvres.
Ce n’est pas un mince succès. C’est la réussite d’une politique sociale, certes guidée par l’idéologie mais assortie, dans le cas du Brésil, de toutes les prudences économiques. Cette méthode a rarement produit des effets positifs dans les pays qui s’y sont essayés. Bien qu’elle ait été propulsée au pouvoir par un grand leader charismatique, Dilma Roussef est l’héritière et le symbole d’un programme égalitaire qui marche. Elle n’est pas non plus dépourvue de lettres de créance. Très jeune, elle s’est engagée contre les dictatures qui se sont succédé au Brésil. Elle avait seulement 23 ans quand elle a été capturée, torturée pendant 22 jours, condamnée à la prison, où elle a passé trois ans. On la surnommait alors la « Jeanne d’Arc de la guérilla ». Aujourd’hui encore, le magazine « Forbes » la place au troisième rang des femmes les plus puissantes du monde. Dans ces conditions, comment le peuple brésilien a-t-il pu se retourner contre elle avec une telle violence et une telle unanimité ?
Pour elle personnellement, c’est une tragédie. Elle voit se dresser contre sa propre personne les classes que Lula et elle n’ont cessé de favoriser. Malheureusement, les dirigeants brésiliens ont cédé au hubris inspiré par leur succès. Dans un pays où tout marchait si bien, où la croissance atteignait des sommets, où un peuple fier et libre pouvait nourrir tous les espoirs grâce à la mondialisation, l’entourage de Lula a été pris en flagrant délit de corruption. Et il ne semble pas que Dilma Roussef ait eu assez de courage ou de volonté pour éliminer le fléau. C’est justement contre la gestion des affaires par le gouvernement que s’indignent les manifestants. La pertinence de leurs revendications est même ahurissante : au pays où le football est roi, ils sont exaspérés par les dépenses pharaoniques qu’ont entraînées la coupe du monde de foot et les Jeux olympiques. On ne peut pas les désapprouver : ce n’est pas avec la hausse du ticket de bus qu’on financera les nouveaux stades à raison de 15 milliards de dollars.
Un cas très particulier.
Ce qui se passe au Brésil, c’est la fin d’une histoire d’amour entre le peuple et la gauche au pouvoir. La fin, aussi d’une expérience qui, après quelque dix ans de succès, commence à donner des signes de faiblesse. La fin de la croissance, la destruction du moule dans lequel on fabriquait de la classe moyenne. La fin, comme ailleurs, de toutes les anciennes certitudes. Le cas du Brésil est obsédant parce qu’il échappe à toutes les analyses qui expliquaient naguère le printemps arabe, la guerre civile en Syrie, le retournement du peuple turc contre un Premier ministre autoritaire. Turcs, Brésiliens, Tunisiens, tous, grâce à l’information éclair et planétaire, ont appris une terrible réalité : ils devinent que les dirigeants qu’ils contestent n’ont pas la maîtrise d’une crise qui commence maintenant à atteindre les pays, la Chine ou le Brésil, ils savent que la croissance n’est pas éternelle, que les économistes les plus savants n’ont pas la clé de l’énigme, que les pouvoirs politiques ne représentent plus grand-chose face aux mouvements mondiaux des capitaux, à la corruption, au cynisme, à une criminalité planétaire en col blanc.
Dilma Roussef : la fin d’un cycle
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion