ON A APPRIS en géographie que le plus grand fleuve du monde (6 671 km) entre en Égypte à la hauteur de sa deuxième cataracte après avoir traversé quatre pays ; et en histoire que, depuis l’Antiquité, les hommes ont prêté au Nil des traits divins en raison des crues qui apportaient la fécondité. Quelle émotion alors de voguer sur ces eaux légendaires depuis l’antique Thèbes jusqu’au temple de Philae – près du fameux barrage d’Assouan, qui a réglé les crues bénéfiques mais aussi dévastatrices –, là même où la déesse Isis a provoqué la première inondation en pleurant son époux et frère Osiris, que le méchant Seth avait égorgé et découpé en morceaux avant de les disperser aux quatre vents du désert.
Aujourd’hui, de l’ancienne capitale de l’Égypte unifiée, où perdurent les impressionnantes merveilles de Louxor et de Karnak, musée à ciel ouvert, jusqu’à la première
cataracte avant le lac Nasser, le fleuve mythique s’étire, paisible, et déroule son histoire millénaire.
Mais avant de larguer les amarres, ne manquez pas de prendre la mesure des richesses archéologiques et naturelles en survolant la capitale de l’empire égyptien qu’Homère louait comme la « Ville aux cent portes », avec les temples des dieux principaux et les palais royaux sur la rive droite du Nil, les tombeaux et les temples funéraires sur la rive gauche plus loin à l’intérieur des terres. L’atterrissage, tout en douceur, se fait dans un champ de canne à sucre, ou bien de sésame !
Un bateau de roi.
La dahabiya « Rois » est le balcon rêvé pour se laisser envoûter par la vie du fleuve. Au fil des jours, le Nil large et impressionnant fait place à un passage plus étroit ou parsemé d’îlots. Les berges s’égrènent lentement, ponctuées de villages et de vestiges, de pêcheurs à pied ou dans de minuscules barques, d’enfants en train de se baigner. Comme on vogue près de la rive, on ne manque rien des scènes de la vie quotidienne. Le vert des acacias, Persea et autres sycomores, tranche avec le bleu du ciel et, en arrière-fond, l’ocre des montagnes.
Cette vision de passage et quelque peu idyllique est confortée par le luxe du bateau. Étonnamment aménagé, il faut l’avouer, en style victorien ! La première surprise passée de découvrir toutes les draperies et broderies, on se laisse aller dans l’extrême confort de ce palace flottant où le chêne et l’acajou, le lin et la soie rivalisent avec les ors.
On se sent aussi bien sur le pont avec ses transats, son salon ombragé et son « espace oriental » (et son Jacuzzi) que dans le cœur du bateau (où est installé le hammam) avec son salon cosy, où les mélomanes apprécieront un authentique Werner de 1912, et la grande salle à manger où officie un chef inventif dans la simplicité, qui mêle avec brio les saveurs d’Orient à la tradition occidentale. Un confort que l’on retrouve dans les spacieuses cabines dont les baies vitrées permettent de contempler la rive depuis le lit.
La quiétude que l’on ressent à bord de « Rois » – qui vient aussi de l’absence totale de promiscuité grâce au nombre réduit de passagers et de l’efficace discrétion des membres de l’équipage – n’est pas le seul avantage de la dahabiya. L’intérêt du bateau, au faible tirant d’eau, est de pouvoir s’arrêter là où les mastodontes sont bloqués. Au lieu d’être coincé à quai avec le bruit des moteurs qui ne s’arrêtent jamais (il n’y a pas de moteur à bord de « Rois » : il est poussé par un petit bateau qui lui est accolé), on peut s’isoler, ou bien accoster pour une promenade dans un village ou la visite de sites peu fréquentés.
Des sites rarement visités. Toutes les étapes classiques sont prévues durant la
semaine de croisière : les temples de Louxor et de Karnak, les colosses de Memnon, les vallées des Rois, des Reines et des Nobles, le temple d’Hatchepsout ; puis le temple d’Esna consacré à Khnoum, le dieu à tête de bélier, le temple d’Edfou dédié au grand dieu Horus à tête de faucon, le temple de Kom Ombo, qui doit sa célébrité à son double sanctuaire dédié à Horus, le dieu à tête de faucon et à Sobek, le dieu à tête de crocodile...
Mais avant d’arriver à Assouan, le passager de « Rois » aura le privilège de découvrir aussi le temple d’el-Kab, dédié à la déesse vautour, ainsi que la plus grande carrière de grès d’Égypte, celle de Gebel Silsileh, exploitée du Nouvel Empire jusqu’à nos jours.
Situé sur la rive orientale du Nil, entre Louxor et Edfou, el-Kab – l’antique Nekheb, dédiée à la déesse Nekhbet – est l’une des plus anciennes cités de l’Égypte antique : des tombes du IVe millénaire avant notre ère y ont été mises au jour. L’enceinte de la ville, construite en briques crues, est toujours
visible. Si les vestiges de la ville et des deux temples, dont l’un datait du règne de Ramsès II, ne sont plus très impressionnants, les tombes peintes, datant de la XVIIe et du début de la XVIIIe dynastie, dévoilent des exploits guerriers et des scènes agricoles de toute beauté.
Plus loin, au nord de Kom Ombo, se dressent, de part et d’autre du Nil, qui est ici dans sa partie la plus étroite, les immenses carrières du Gebel Silsileh, d’où furent extraites les pierres qui servirent à bâtir la plupart des temples. Mais ce qui nous intéresse, ce sont les inscriptions hiéroglyphiques et les bas-reliefs qui ornent les tombeaux, dont plusieurs ont conservé des traces de peintures. Et un temple spéos, entièrement creusé dans la roche, commencé par le roi Horemheb (dernier pharaon de la XVIIIe dynastie) qui conserve des représentations de Ramsès II et autres divinités.
Isis en sa demeure.
Mais déjà se profile Assouan, « la ville au cœur des flots », selon l’expression des Grecs. Il faut se faire violence et quitter « Rois » pour monter sur une des nombreuses felouques qui animent le fleuve de leurs hautes voiles et visiter l’île Éléphantine ou l’île Kitchener, transformé en agréable jardin botanique, et bien sûr aller à la rencontre d’Isis sur l’île de Philae. Sauvée des eaux, si l’on peut dire !
Englouti une partie de l’année après la construction d’un premier barrage par les Britanniques au début du siècle dernier, le temple de Philae aurait complètement disparu après la mise en service du grand barrage d’Assouan, en 1978, sans le programme de sauvetage des sites archéologiques de la Nubie par l’UNESCO, qui, de 1972 à 1980, a pris en charge le financement du démontage du temple en 40 000 blocs de pierre. Ils ont été ensuite transportés sur l’île d’Agilkia, à 300 m de là, mais plus élevée de 13 m, et reconstitués, au millimètre près, dans leur aspect d’origine.
Le temple consacré à la déesse-mère Isis, d’époque ptolémaïque, est le temple principal de l’île. Il a été pendant des siècles le théâtre d’importantes fêtes cultuelles. Bien après la christianisation totale de la Nubie par Théodose, à la fin du IVe siècle, les fidèles de l’ancienne religion ont continué de s’y rassembler, jusqu’à sa fermeture par Justinien en 550 après Jésus-Christ. On ne peut imaginer, avec les vestiges qui le disputent à la généreuse nature, site plus poétique que cette île où le feuillage et les pierres bruissent de la légende d’une femme amoureuse qui n’en finit pas de pleurer la mort de son bien-aimé.
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