L’OPTIMISME n’est pas de rigueur dans les 135 officines Deusèvriennes, si l’on en croit Bertrand Borra, pharmacien installé en milieu rural et vice-président de la chambre syndicale départementale. « Nous n’avons pas pour l’instant de chiffres précis, indique-t-il, mais nous avons relevé des fermetures récentes, une faillite à Saint Maixent et une procédure de sauvegarde à Niort. Sans compter les échos inquiétants venus des uns ou des autres, faisant état de trésoreries fragilisées, voire négatives. » Pour lui, cette situation est due en grande partie à la baisse des prescriptions, estimée à 20 % globalement, liée à la désertification médicale latente en milieu rural, mais aussi à de nouvelles pratiques. « Le déremboursement de certains médicaments, les soucis financiers endémiques des patients, la future rémunération, tout ceci annonce une redistribution des rôles et des changements importants qui se solderont par des disparitions d’officines. Nous avons une vision paternaliste de nos entreprises, avec le maintien de postes occupés par des gens diplômés qui se payent cher - ce qui est normal - et des prêts en cours. »
Des solutions se dessinent, comme le regroupement, ce qui a été le cas pour Bertrand Borra, associé depuis 2009 avec un confrère à Argenton les Vallées (1 600 habitants). Mais le procédé n’est pas pour autant une panacée, le responsable syndical soulignant que 1 + 1 ne fait jamais 2 en matière de rémunération. « Faute de successeur, plusieurs pharmacies rurales sont d’ores et déjà condamnées, ajoute le responsable syndical. Après des années d’étude, gagner 1 500 euros par mois, sans être certain de réaliser un bénéfice lorsque l’on s’en va, ça freine les vocations. »
Climat morose dans la Vienne.
Jacky Meunier, titulaire à Chatellerault et président du syndicat de la Vienne, brosse également un état des lieux très pessimiste de son département. « Nos difficultés sont à la fois structurelles et conjoncturelles, avec le système de marge dégressive lissée, l’apparition des grands conditionnements, le stylo du médecin qui se lève, le tout réduisant les volumes et les bénéfices, explique-t-il. S’y rajoutent la crise, qui génère la baisse des achats, les baisses de remboursement et certaines décisions prises par ceux qui nous gouvernent et qui ne font qu’envenimer les choses. Nos prix Nobel pharmaceutiques sont en train de couler les bielles de la mécanique qui grippe de plus en plus. » Résultat, observe Jacky Meunier, « on assiste à une multiplication des entreprises au bord du gouffre, et à une démobilisation des jeunes qui souhaitent de moins en moins venir s’installer chez nous. Les commerces qu’on leur propose sont à la fois trop chers et peu pérennes pour leur avenir, sans possibilité ultérieure de plus-value, sans débouchés. Que voulez-vous qu’ils fassent ? » Sur place, on assiste à la naissance de friches officinales, tandis que l’on constate des revenus moyens bien en dessous des espoirs soulevés à la sortie des facultés, même si certains arrivent toutefois à tirer leur épingle du jeu. Quant aux solutions avancées par les organisations nationales, le représentant syndical de la Vienne semble douter de leur bien fondé : « Les actions engagées me laissent dubitatif. Je suis d’ailleurs en désaccord total avec nos instances au sujet de la rémunération à l’honoraire qu’on nous promet, au forfait à la boîte qui reste immuable depuis dix ans, bref à toutes les bonnes idées prises dans les bureaux parisiens. Et pourtant, nous faisons un métier intéressant, que j’ai eu beaucoup de plaisir à exercer, mais qui hélas est de moins en moins lucratif. »
Déserts médicaux en Charente.
Du côté de Jean-Philippe Brégère, président du syndicat des pharmaciens de la Charente, lui-même installé à Soyaux, le climat régnant dans les 152 officines du département peut être qualifié de préoccupant. Pour lui, l’une des raisons premières est démographique : la désertification médicale ne menace plus seulement les campagnes, mais aussi les grandes villes de son département, comme Cognac ou Châteauneuf.
« D’énormes problèmes apparaissent, relève-t-il, et la situation peut être globalement qualifiée de morose, ce qui, pour certains, est un euphémisme. Entre le dépeuplement et le vieillissement des médecins dans tous les cantons, mais aussi l’absence de futurs remplaçants, on assiste à une chute des prescriptions et donc du revenu des pharmaciens. On constate de plus sur la seule faculté de Poitiers une volonté des étudiants à rester dans la région, mais principalement pour exercer un emploi salarié, ce qui n’est pas rassurant. La politique menée par les pouvoirs publics n’arrange rien, sans compter les campagnes de presse sur les médicaments ou la pression du lobby anti-génériques. »
Entre Riviera et désert rural.
Pas de faillites cependant pour l’instant dans le département, mais plusieurs officines sont potentiellement en état de difficulté majeure. « Malgré les beaux discours et les promesses, rien ne va plus, déplore-t-il. Le nouveau mode de rémunération, la coordination des soins, le pharmacien correspondant et les autres mesures envisagées ne nous empêchent pas d’être enfermés dans une sorte de cercle vicieux dont je ne vois pas l’issue. Tous les rapports vont dans le même sens, reconnaissant notre utilité, notre place (la dernière) dans les territoires, mais, malgré ces évidences, on se moque de nous. »
Seule enclave a priori paradisiaque de la Charente pour les pharmaciens, son bord de mer aux allures de Riviera. Mais, là aussi, tout n’est qu’illusion. Au-delà des cinq km de côtes avec vue sur l’océan, le reste du département connaît les mêmes phénomènes : désertification dans les terres et forte saisonnalité de l’activité. Mais même à La Palmyre, point fort de l’activité touristique locale, le médecin est parti, ce qui laisse dubitatif au regard des mouvements de vacanciers pendant les mois d’été.
« Néanmoins nous savons que pharmaciens et médecins s’impliquent avec passion dans leur métier, souligne Jean-Philippe Brégère, mais ils ne sont pas près pour autant à s’installer n’importe où, ce qui est normal. Un pharmacien en campagne, c’est le dernier des Mohicans et le dernier échelon de la filière de santé, qui sert à tout, qui rend service, pour un salaire modeste et des engagements financiers importants. Qu’a-t-on fait, que fait-on ? Et que fera-t-on demain pour le conserver ? Là sont les bonnes questions. »
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion