Difficile de s’y retrouver dans l’imbroglio d’annonces successives autant que contradictoires qui a précédé l’interdiction des sacs plastique au 1er juillet dernier. Ces tergiversations ont eu le mérite d’amorcer le virage, de préparer les mentalités et surtout de permettre aux différents acteurs, grossistes-répartiteurs, groupements, fabricants, d’anticiper.
C’est avec le sentiment d’avoir accompli leur mission qu’ils contemplent aujourd’hui le paysage de l’emballage officinal. « Sur le plan écologique, l’objectif est atteint. En six mois, les sacs plastiques ont disparu des comptoirs. En revanche, sur le plan économique, ça va faire mal », prévient Jean-Pierre Juguet, directeur marketing et communication d’Évolupharm, premier groupement à avoir creusé le filon des sacs en amidon dès le milieu des années 2000.
Se mettre les pharmaciens dans la poche
Les groupements estiment qu’il est de leur rôle de faciliter cette transition et d’aider les pharmaciens à franchir ce cap sans trop de casse financière. En un mot, il s’agit d’offrir des solutions adéquates à l’exercice officinal tout en évitant au maximum les surcoûts, évalués à 30 % et induits par l’adoption de matériaux et de produits de remplacement. De nombreux groupements ont travaillé bien en amont. « Nous étions prêts depuis plus de deux ans déjà. Nous avions envoyé à tous nos adhérents des exemples de solutions alternatives au plastique : une offre papier ainsi qu’un jeu de pochette réutilisable se repliant sur elle-même, à l’effigie Giphar doublée d’un slogan écolo », expose Caroline Mazet, membre de la commission chargée du dossier chez Giphar, insistant sur le travail pédagogique fourni par le groupement.
Pharmactiv qui avait épuisé tous ses stocks de sacs en plastique début juillet, a anticipé en développant des solutions avec son fournisseur Styl-Pack dont une pochette sobre en papier d’un format unique (45x30 cm).
Soucieux de répondre aux besoins du marché, les grossistes répartiteurs étaient eux aussi dans les starting-blocks. Dès le 1er janvier, l’OCP présentait ainsi sa nouvelle offre de sacs et relayait la nouvelle réglementation via sa lettre « info flash ».
Enfin, les fabricants ont eux aussi prévenu les pharmaciens. « Dès le mois le mois de septembre, nous les avons tenus informés au fur et à mesure de l’évolution de la réglementation par mailings. Nous leur avons également donné un argumentaire. Ils étaient un peu perdus qu’on leur enlève leur contenant historique », se souvient Émilie Vollard, directrice marketing chez Promoplast.
Un nouveau marché se tisse
L’affaire est aujourd’hui dans le sac. Les consommateurs sensibilisés sont acquis à la cause puisque la plupart des commerces respectent la réglementation. Les pharmaciens, de leur côté, jouent eux aussi le jeu. « Acteurs de santé, nous ne pouvons refuser une action au profit de l’environnement », déclarent-ils. Et dans un clin d’œil, ils se réclament, sans vouloir le nommer, d'un grand acteur de la GMS qui avait fait campagne sur le même thème : « Nous non plus nous ne voulons pas être partout dans la nature ! »
Si elle bouscule les habitudes, la nouvelle réglementation chamboule également un marché bien établi. Car depuis le 1er juillet, la quasi-totalité des emballages jusqu'alors utilisés en pharmacie se retrouvent interdits. Seuls sont désormais tolérés les sacs en papier, les sacs réutilisables en diverses matières (coton, jute, polypropylène tissé ou non tissé) ainsi que les sacs en plastique pourvu que leur épaisseur soit supérieure à 50 microns, une épaisseur censée garantir un caractère réutilisable.
Cet argument fait sourire ou plutôt grincer plus d’un acteur du marché. « Nous vous laissons apprécier la pertinence d’une loi qui interdit les sacs biodégradables fins (en amidon par exemple N.D.L.R.) mais qui autorisent les sacs plastiques épais même de petite taille », relève avec ironie Éric Carbonnières, responsable trade marketing chez Styl-Pack. Il remarque qu’il est passé, officiellement, en deux mois, d’un cadre visant la promotion des sacs biodégradables à une obligation de s’orienter vers le tout papier et les sacs réutilisables. Aussi, bien qu’occupant la place de leader du sac réutilisable avec plus de 200 modèles, le fabricant se doit de proposer aux pharmaciens une gamme complète de sacs papier, « un produit totalement délaissé par la profession depuis plus de quinze ans ».
Dénigré comme un retour en arrière par certains membres de la profession, le sac papier refait néanmoins son retour chez de nombreux pharmaciens. Certains en adoptent la version vintage en papier kraft. Ce produit constitue ainsi 81 % ventes du grossiste répartiteur CERP Bretagne Atlantique, loin devant le plastique réutilisable (12 %) et le sachet papier (7 %). « Le papier concerne désormais 88 % de la demande contre 49 % avant le 1er juillet », déclare Ronan Pilven, directeur de la communication de CERP BA.
Nouvelles tendances, nouvelles chances
Les sacs papier ne sont pas pour autant plébiscités par toutes les officines. Leur volume de stockage au comptoir tout comme le poids de leur conditionnement, « trois fois supérieur à celui des sacs en amidon » comme l’affirme Jean-Pierre Juguet, dissuadent les équipes officinales. Les sacs en plastique - résolument plus résistants en cas d’intempérie - prennent jusqu’à quatre fois moins de place, selon un fabricant, et facilitent la vie des équipes. Leur production nécessite aussi jusqu’à six fois moins d’eau.
Pas de quoi s’emballer pour autant. Le sac réutilisable en coton, en jute, ou encore en nylon ou en polypropylène, s’impose comme la solution la plus avantageuse pour l’environnement comme pour l’économie de l’officine. À condition toutefois d’être rapporté par le client ! Plus cher à l’achat (compter entre 1 et 3 euros), il se décline en cabas, en sacs pliables à mettre dans le sac à main, ou en poches, avec des anses en coton ou torsadées… Mais surtout, à l’inverse des alternatives, ce sac sera réutilisé par le client. Porté en bandoulière pour faire le marché, se promener à la plage ou encore se rendre au parc avec les enfants, il véhiculera l’image de la pharmacie bien au-delà du périmètre habituel. Il constitue par là même un outil marketing inédit pour l’officine.
Un jeune acteur du marché l’a bien compris. La société BellePharma, apparue en début d’année, s’est positionnée d’emblée sur le Web où elle offre aux pharmaciens la possibilité de personnaliser les produits en ligne. « Nous constatons une véritable recherche des pharmaciens qui veulent ainsi, par le coloris et l’originalité des modèles, se différencier et gagner en visibilité », observe Marie Colombet, directrice de cette société.
CERP Rouen, qui a opéré une refonte de ses produits en janvier dernier, a également bien saisi l’enjeu de ce nouvel objet de communication et de consommation. « Il incite fortement les pharmaciens à en faire cadeau à ses clients. Sur certaines gammes de produits d’officine, comme l’incontinence, il est incontournable », remarque Amélie Lapoule, responsable marketing de CERP Rouen, qui va jusqu’à pousser le luxe de sacs en version féminin ou masculin. Ces modèles comme l’ensemble des produits du marché privilégient le coton. Ce symbole naturel est l’occasion pour les pharmaciens de se forger un profil, voire d’affirmer un positionnement porteur en RSE*. « Il est de leur intérêt de se construire une véritable image de marque qui aille au-delà de la croix verte, une identité visuelle avec des signes distinctifs forts. C’est un atout commercial incontournable autant qu’un réel rempart à la concurrence de plus en plus présente », préconise Éric Carbonnières.
Payant ou non-payant ?
Ce nouvel engouement pour le sac réutilisable oblige le marché à se réorienter. Il lui permet également de se rééquilibrer en compensant par ces grands formats la baisse du volume général. De nombreux acteurs, comme l’OCP ou encore Stylpack, vont redéployer leur offre dès janvier 2017.
Objet marketing et de fidélisation, « pourvu qu’il plaise » comme le remarque Diane Cantan chez Pharmactiv, ce nouvel objet tendance place cependant le pharmacien face à un dilemme. Faut-il faire payer au client le sac réutilisable dont le coût n’est négligeable ? La réglementation interdit du reste aux pharmaciens de réaliser un bénéfice sur cet objet. De plus, il semble difficilement envisageable que le pharmacien, à l’inverse du caissier du supermarché, exige d’un patient qu’il paie son sac. A fortiori s’il vient avec une ordonnance. « Il ne faut pas avoir peur d’éduquer les patients », affirme Ronan Pilven. Chez Pharmavance, on préfère leur faire confiance. « On ne se voit pas faire payer un patient qui vient de s’approvisionner en Fortimel. Nous considérons le sac comme un service pratique au patient », estime Jean-Baptiste Martin, responsable marketing du groupement. Mais attention à ne pas surévaluer ce cadeau. « Vous pourrez avoir le plus beau sac du monde, mais si vous ne l’accompagnez pas d’un sourire, ça ne convaincra pas. »
Certains pharmaciens, forts de cet argument, jouent la carte minimaliste. Emboîtant le pas de patients qui, désormais décomplexés, glissent simplement leur médicament dans leur poche, des titulaires choisissent de ne plus délivrer de sacs, qu’ils soient en papier ou en plastique 50 microns. Tout au plus proposent-ils pour les grands conditionnements un carton qu’ils viennent déposer eux-mêmes dans le coffre du véhicule de leur client.
* Responsabilité sociétale des entreprises.
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