La France sera évidemment partie prenante dans la reprise qui pourrait être forte à la fin de l'année et très vigoureuse au début de 2021. Cette reprise aura l'avantage de démontrer que nous survivons aux pires dangers, mais que nous risquons d'oublier très vite les leçons qui s'imposeront au terme de l'épidémie. Si l'inactivité nous apprend que l'on peut vivre en consommant peu, l'espoir retrouvé nous incitera à travailler plus et à réacquérir tous les avantages des sociétés développées. C'est une question de liberté : le confinement n'est pas autre chose qu'une privation de liberté dictée par le danger. C'est pourquoi nombre de concitoyens ont mal réagi à l'ordre de rester chez soi, façon d'être placé dans une cellule pour un délit ou un crime qu'aucun « détenu » n'a commis. Si les Chinois par exemple ont été longuement confinés conformément à l'ordre de Pékin, la reprise du travail en Chine est venue aussi d'un contre-ordre supérieur. En France, ce sera différent : on a compté beaucoup de réfractaires au confinement, on comptera des individus pour qui la liberté est sacrée et qui ne se croiront pas obligés d'aller travailler, surtout à l'approche de l'été.
Il sera très difficile, pour les démocraties parlementaires, de trouver l'équilibre entre la baisse de la production et donc une éventuelle augmentation du chômage ou une diminution des revenus, et une relance visant le plein emploi qui, il y a encore moins de trois mois, était l'objectif prioritaire du gouvernement. Les facteurs économiques sont principalement psychologiques : les gens libres ne sont jamais obligés de consommer, ils consomment selon leurs caprices. Ils peuvent hésiter devant une grosse dépense même s'ils en ont les moyens. Ils peuvent au contraire se jeter sur l'offre commerciale même s'ils ont un découvert bancaire. En même temps, tous les pays voudront accélérer la reprise par tous les moyens. De nouveau, la production chinoise sera accélérée et inondera les marchés européen et américain. Si la France ne participe pas à la concurrence internationale, elle aggravera ses déficits intérieur et extérieur.
Le nouveau paradigme
La recherche d'un nouveau mode de vie qui deviendrait le paradigme supérieur à tous les autres sera donc aussi rébarbative que le laisser-faire. Elle implique la mise au point d'équilibres que nous n'avons jamais atteints dans une économie libérale et que nous ne sommes pas sûrs de trouver si nous contrôlons les échanges extérieurs. La tâche, en réalité, sera encore plus dure que la lutte contre le coronavirus. Nous disposons des moyens institutionnels pour la recherche d'un consensus sur le sens de l'action économique. Il est plus probable, hélas, qu'au lendemain de l'épidémie, se multiplient les règlements de compte, d'autant que se rapprocheront les élections de 2022. La politique, en tout cas, ne contribuera pas à la recherche d'un changement de société et même de civilisation.
Nous sommes tous consternés, écrasés, aplatis par le malheur national mais, dès que le danger sera écarté, nous ne penserons qu'à défendre notre credo au mépris du dialogue politique. Les plus subtils d'entre nous raisonneront comme si la menace n'était pas levée, et d'ailleurs, elle ne le sera pas vraiment. La première démarche consistera à préparer le pays à se défendre instantanément contre une épidémie. Ce réflexe répond à ce que nous avons en commun depuis l'aube de l'humanité : l'instinct de conservation. Le souvenir du Covid-19 doit tempérer tous nos jugements, altérer toutes nos convictions, démanteler tous nos dogmes : non, rien ne sera comme avant.
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