LA TRANSFORMATION DU MÉTIER des grossistes répartiteurs s’est accéléré l’an passé. CERP Rouen est devenu Astera et renforce sa conception de la coopération. CERP Lorraine s’est séparé de son activité de répartition et a pris le nom de Welcoop. Phœnix a racheté la filiale répartition de la CERP Lorraine, mais le grossiste risque fort d’être mis en vente par sa maison mère, le groupe Merckle, en faillite. De son côté Alliance Healthcare a racheté le dépositaire Depolabo et OCP, du groupe Celesio, se positionne sur tous les flux du circuit de la distribution. Si le cœur de métier reste bien la répartition pour la majorité d'entre eux, les répartiteurs se définissent de plus en plus comme des prestataires de services à destination des industriels et des pharmaciens.
Cette évolution est inéluctable. Car le métier de répartiteur a dû s’adapter à l’environnement difficile et changeant de ces dix dernières années. D’abord parce que l’industrie pharmaceutique connaît, sur la même période, un changement de modèle économique : fin des blockbusters, montée en puissance des biotechnologies, augmentation des génériques, arrivée de traitements chers et innovants à destination de populations restreintes… Or, le mode de rémunération des grossistes n’est autre qu’une marge dégressive lissée (MDL). Elle s’élève à 9,93 % pour un médicament dont le prix fabricant hors taxe (PFHT) ne dépasse pas 22,90 euros, de 6 % s’il est compris entre 22,91 et 150 euros, de 2 % s’il coûte entre 150 et 400 euros ; elle est nulle s’il est plus cher.
Service high-tech.
« Le mode de rémunération arrive à la fin d’un cycle, il n’est plus adapté à l’activité des répartiteurs. Plutôt qu’un système de marge en fonction du prix du médicament, on pourrait progressivement réfléchir en termes de forfait. Le but n’est pas d’augmenter leur rémunération mais de lui donner un sens. Aujourd’hui ils perdent de l’argent sur les produits de plus de 400 euros alors même que ce sont ceux pour lesquels la logistique est la plus lourde (équipements spécifiques, chaîne du froid, risques à la manipulation-NDR) », indique Emmanuel Déchin, secrétaire général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP). Ainsi, en 2008, la marge grossiste a chuté de 4,85 % et la tendance se poursuit en 2009.
Car les répartiteurs ont fortement investi (infrastructures, technologies de communication) pour assurer un service high-tech sur les produits les plus sophistiqués ou délicats. Sans retour sur investissement. De plus, les ventes directes gagnent chaque année du terrain sur les produits à forte rotation et ce depuis l’instauration du droit de substitution des pharmaciens. Ce sont d’abord les génériques qui en ont fait l’objet, mais d’autres médicaments sont maintenant concernés, les industriels cherchant à se rapprocher du point de vente, donc du pharmacien.
« La part du direct continue à augmenter régulièrement. Aujourd’hui, il représente 16 % du marché en valeur et 32 % en volume. Et ce n’est plus seulement sur le générique comme auparavant, puisque la répartition a réussi à gagner des parts de marché sur ce segment, passant de 30 % il y a cinq ans à 50 % désormais. En revanche, nous perdons des parts de marché sur le hors répertoire : -3,9 % sur les six premiers mois de l’année, alors que le direct enregistre une hausse de 9,5 % », ajoute Emmanuel Déchin.
Au fil de l’eau.
À cela s’ajoute une pression constante de l’autorité de régulation, générant des baisses de prix, des baisses de marge (la tranche de la marge des produits à plus de 400 euros a été introduite en 2008) et des taxes telles que la contribution ACOSS (Agence centrale des organismes de Sécurité sociale).
Enfin le circuit de distribution du médicament a dû accueillir de nouveaux acteurs comme les short liners et les plateformes de groupement, sans compter la possibilité pour des pharmaciens de créer une structure de regroupement d’achats qui pourra mandater un prestataire pour effectuer des achats collectifs (décret paru au « Journal Officiel » le 21 juin 2009). Les short liners en particulier sont dans le viseur des répartiteurs (dits aussi « full liners ») parce qu’ils se sont installés sur le segment de marché le plus rentable sans avoir les contraintes afférentes aux grossistes.
« La chaîne d'approvisionnement a évolué avec l’arrivée des génériques, le transfert du remboursable vers du non remboursable, le recours plus large aux achats directs… Les répartiteurs fournissent les pharmaciens qui ont l’habitude d’avoir un stock étroit et d’effectuer les commandes au fil de l'eau. Il est rare qu'ils vendent un produit par cartons entiers, excepté sur les fortes rotations de grosses molécules qui sont désormais aspirées par le direct. Et, dans les pays où les prix sont régulés, la puissance régulatrice n’a pas oublié de se servir dans les poches des répartiteurs. Dans la plupart des pays, mais en particulier en France, l’activité de répartition ne suffit plus à faire vivre les grossistes, alors même que leur cahier des charges lié à la sécurité du médicament ne cesse d'augmenter, que les médicaments coûteux sont plus nombreux et font l’objet d’une marge grossiste plafonnée. On leur demande de faire plus et on les rémunère moins », résume Jean-Jacques Zambrowski, économiste de la santé.
Des solutions logistiques à valeur ajoutée.
Heureusement, les grossistes-répartiteurs ont su anticiper les mutations. La diversification de leurs activités ne date pas d’hier, à l’instar d’OCP (groupe Celesio) qui regroupe des offres différenciées dans son bouquet OCP Initiatives. Il s’agit d’Exostiv, une plateforme dédiée aux produits à faible rotation, « du produit de biotechnologie qui concerne 4 000 patients en France et coûte 2 000 euros, à la chaussette de contention violette taille 34 ; nous les livrons en 24 heures », précise Nathalie Drouillet-Burban, directrice commerciale d’OCP. Il s’agit également d’Etradi, cette fois dédié aux produits de forte rotation ; de Pharmactiv, groupement de pharmaciens créé dès 1988 ; de Virtuose, une plateforme de commandes adaptée aux groupements. Quant à OCP Connect, son but est d’accompagner les laboratoires en fonction de leurs besoins et de les connecter à ceux des pharmaciens.
« Les achats directs répondent à une attente du pharmacien. OCP se doit d’être l’interface entre le laboratoire et le pharmacien en apportant des solutions logistiques à valeur ajoutée. C’est ainsi que nous avons perçu pour certains le besoin d’une aide à la dispensation sur les produits innovants et complexes pour des patients à pathologie lourde. Nous avons créé le Club des Pharmaciens Spécialistes, qui est l’interface entre 30 à 50 laboratoires spécialisés et des pharmaciens particulièrement impliqués. Nous leur apportons une aide à la dispensation, nous les mettons en relation dans leur région avec d’autres professionnels de santé, des formations et informations leur sont proposées… », explique Nathalie Drouillet-Burban.
Une approche multicanal.
Le principe est le même sur tous les services développés à destination de l’officinal : lui faciliter la vie et répondre à ses besoins. S’il est intéressé par les achats directs, OCP lui propose des conditions financières équivalentes avec Etradi, sa plateforme de 500 produits à forte rotation livrables une fois par semaine ; avec Evolutiv, « les meilleures offres de génériques à forte rotation » ; et avec Atractiv, qui propose des promotions sur une sélection de produits à forte rotation. Cela lui permet d’avoir une seule commande, une seule facturation, un seul délégué pharmaceutique. « Nous sommes capables de répondre à tous les besoins du pharmacien en termes de produits innovants, à forte rotation, matures, génériques. Nous travaillons avec de nombreux laboratoires avec lesquels nous négocions des prix pour le pharmacien, c’est une approche multicanal », décrit la directrice commerciale.
L’outil Commandes de marché se concrétise par un engagement du pharmacien à atteindre un chiffre d’affaires annuel via l’OCP sur une gamme de produits donnés, lui permettant de commander au fil de l’eau tout en bénéficiant d’une remise dès la première boîte. « Nous avons joué la diversification en termes de services pour préparer l’avenir, mais notre principale activité reste la répartition. Nous sommes toujours leader en France avec 37 % de parts de marché en valeur, un chiffre d’affaires de 7,6 milliards d’euros, également en hausse. » De bons résultats à souligner en cette période difficile, en particulier comparés à ceux de la maison mère Celesio, qui a subi la chute des prix en Allemagne et au Royaume-Uni, ainsi que la dépréciation de la livre sterling.
Le meilleur des deux mondes.
Chez Alliance Healthcare, la diversification de l’offre est une évidence, elle passe aussi bien par la croissance externe qu’interne. « Nous avons constaté de nouveaux besoins, c’est pourquoi nous développons d’autres savoir-faire en suivant plusieurs axes », explique Stéphane Corthier, tout nouveau P-DG de la filiale France. Aujourd’hui, le groupe est fort de son réseau de pharmaciens indépendants Alphega (créé en 2001), ses dépositaires Alloga (fondé en 2000) et Dépolabo (rachat en décembre dernier), sa plateforme de répartition dédiée aux groupements ORP (rachat en 2002) et sa plateforme dépositaire également à destination des groupements Directlog (créé en 2005). Alliance Healthcare s’est développé dans les soins et le maintien à domicile avec Locapharm, une société qui travaille exclusivement avec les officinaux en les aidant à capter la clientèle sur leur secteur, à identifier les besoins et à fournir les prestations adaptées. Le groupe possède aussi une filiale spécialisée en vente directe à l’officine, PharmaDep, acquise en 2005, ainsi que la société d’export Serex et la gamme de génériques Almus.
« Sur notre métier traditionnel, nous avons mis en place les offres Primo et Duo il y a deux ans. La première permet de s’adapter à l’évolution du marché de la médication officinale et de fournir les conditions du direct en termes économiques, avec le niveau de service d’un répartiteur. L’offre Duo propose l’équivalent pour les génériques. On apporte au pharmacien le meilleur des deux mondes », sourit Stéphane Corthier.
Moins cher qu’un timbre.
Par ailleurs, Alliance Healthcare développe des services complémentaires pour les laboratoires, en particulier via PharmaDep, son réseau de vente directe aux officines. « Le direct génère des volumes importants, une collection de plus en plus large, des stocks et des livraisons difficiles à gérer ; nous proposons des solutions. Nous pouvons prendre en charge la promotion, les précommandes, le conseil et l’accompagnement des pharmaciens via notre call center. Notre cœur de métier c’est la logistique, à laquelle on ajoute les avantages concurrentiels. Le développement de tous ces services s’est fait au fil du temps en réponse à des besoins identifiés », explique le P-DG. Cela constitue aussi une réponse au problème de la rémunération des répartiteurs. « Aujourd’hui un répartiteur touche 20 centimes sur une boîte de génériques, ce n’est même pas le prix d’un timbre pour une obligation de livraison minimum de deux fois par jour. »
Les CERP proposent également de multiples services aux pharmaciens. La CERP Bretagne Nord, par exemple, a lancé en 2007 CERPenthès, une filiale dédiée à la répartition pour les groupements en s’alliant avec Népenthès. Ses services aux pharmaciens comprennent des formations, de l’aide à la gestion avec Consultis, des services de renseignements avec AXES et MEDDOC, de la vente et de la location de matériel médical avec MAD Ouest et un département dédié à la pharmacie vétérinaire (CERPVETO). Elle a développé un groupement régional de pharmacies nommé Aelia, la plateforme CERP Dépositaire et une société spécialisée dans l’export, MEX. De même, la CERP Rhin Rhône Méditerranée soutient son activité de maintien à domicile (Pharmat) et sa filiale spécialisée dans les systèmes de gestion informatique officinale (Caduciel).
Urgence sanitaire.
Quant à Astera, ex-CERP Rouen, il n’hésite pas à occuper des territoires jusque-là exploités par l’ex-CERP Lorraine. « Nous avons l’avantage sur nos concurrents d’avoir une progression supérieure au marché depuis trois ans, ce qui nous a permis de passer de 13 à 16 % de parts de marché, remarque Yves Kerouédan, directeur général d’Astera et président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP). Nous sommes néanmoins confrontés, comme tout le monde, à l’augmentation des ventes directes, en particulier sur les produits les moins chers, donc ceux sur lesquels notre marge est la meilleure. Rappelons que la marge, ce sont les ressources dont nous disposons pour assurer nos missions de service public. Comme elle ne cesse de baisser, cela peut remettre en cause nos obligations de santé publique. » Or, au moindre besoin de sécurité ou d’urgence sanitaire, l’État n’hésite pas à faire appel aux répartiteurs. La situation actuelle l’illustre bien. Dans la crainte d’une pandémie de grippe A, les grossistes sont immédiatement réquisitionnés pour assurer le stockage et la livraison de masques, antiviraux, etc. Un devoir que les répartiteurs sont heureux d’assumer mais qui devrait, selon eux, mériter mieux que des baisses de marge successives.
Les moyens d’exister.
« Astera réagit en accordant des remises commerciales sur les produits les plus vendus, en développant son activité dépositaire avec EuroDep qui permet de regagner une partie de ce que l’on perd avec les ventes directes. Nous rappelons aux officinaux qu’acheter une remise n’est pas la solution et que des moments difficiles comme nous en traversons actuellement, il y en aura d’autres, c’est pourquoi ils ne doivent pas hésiter à utiliser nos services pour les aider à mieux acheter et mieux vendre », lance Yves Kerouédan.
Le mot d’ordre ? Adaptation. Car les métiers ne cessent d’évoluer, celui de répartiteur n’échappe pas à la règle. « Nos obligations de santé publique figurent dans le Code de la santé publique. La question est de savoir si les autorités souhaitent les maintenir. Si oui, il faut que les grossistes aient les moyens d’exister correctement. Or, nous avons atteint le plancher de ce qu’on peut nous prendre. »
En sus de son pôle dépositaire, Astera possède un call center pharmaceutique (1ère ligne), il est présent dans le domaine des soins à la personne (Oxypharm, Fadam, Prieur) et il développe différents services dédiés au pharmacien : informatique (Isipharm), location financière (Eurolease), des services marketings divers allant du renseignement juridique à l’aide au management en passant par l’animation des points de vente. Par ailleurs, le groupe coopératif a créé son Réseau des Pharmaciens Associés, ouvert à tous les officinaux, qui propose notamment un accompagnement personnalisé pour développer l’activité de leur pharmacie. À noter également qu’Astera a repris l’activité de la Coopérative des pharmaciens d’Île de France, rebaptisée Centrale des pharmaciens, qui approvisionne environ 500 officines en médication officinale, parapharmacie et accessoires.
Acheteurs potentiels.
Phœnix Pharma, 4e acteur en France depuis le rachat des activités de répartition de l’ex-CERP Lorraine, s’est aussi diversifié dans la location et la vente de matériel médical et les soins de MAD. En outre, déjà actionnaire dans le capital du groupement Plus Pharmacie depuis 2007, il vient tout juste de devenir majoritaire. Pour autant son avenir est incertain depuis la faillite de la famille Merckle fin 2008, sa maison mère. Phœnix risque fort d’être mis en vente pour éponger les dettes du groupe. Son chiffre d’affaires 2008 est de plus de 21 milliards d’euros. Le fonds d’investissement américain Kohlberg Kravis Roberts (KKR), déjà détenteur d’Alliance Boots, serait sur les rangs des acheteurs potentiels, tout comme Astera qui voulait, à l’époque, reprendre l’activité de répartition de CERP Lorraine. « La Deutsche Bank réfléchit aux différentes options possibles : conserver Phœnix Pharma, vendre une partie, vendre en bourse, vendre en plusieurs parties. Rien n’a été décidé », note Yves Kerouédan. Celesio est le seul à ne pas s’être exprimé sur cette éventuelle mise en vente. Mais son intérêt à l’achat ne fait pas de doute selon le cabinet Xerfi-Precepta, tout comme celui de KKR ou d’Astera. Il cite également la possibilité d’un 4e acheteur potentiel, l’américain Cardinal Health qui pourrait profiter de l’occasion pour s’installer en Europe.
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