ANNIE SAUMONT est un cas à part dans les lettres françaises. Elle a pour titres de gloire d’avoir traduit, entre autres, J.D. Salinger, John Fowles, V.S. Naipaul, Nadine Gordimer... et de s’être consacrée à l’écriture de nouvelles. N’ayant signé six romans qu’à la demande expresse de ses éditeurs. Riche aujourd’hui d’une œuvre composée de plus de 250 nouvelles et auréolée de multiples prix, du Goncourt en 1981 (« Quelquefois dans les cérémonies ») au prix de l’Académie française en 2003 (« Un soir à la maison »), Annie Saumont offre, à 83 ans, un nouveau recueil de 14 nouvelles, dont 6 sont inédites, les autres ayant été publiées dans des ouvrages devenus introuvables, entre 1977 et 2008.
On dispose donc d’un bel éventail de textes qui, en quelques pages, racontent chacune une vie. Il ne faut pas croire, en se fondant sur la sérénité du titre « Encore une belle journée » (1), qu’on ira en pays de calme et de volupté. La diablesse aime le deuxième et troisième degré et plus encore à nous surprendre en détournant un fait-divers ou une anecdote pour en faire une catastrophe, en dépouillant de leurs oripeaux des hommes, des femmes et même des enfants pour les montrer dans leur vulnérabilité, leur bassesse ou leur tristesse. On est chaque fois surpris de la tournure que prend le récit, d’autant que l’auteur décrit ses personnages et le grain de sable qui les fait dérailler d’un air de ne pas s’impliquer. Autant de textes courts et de grands plaisirs.
Le point de vacillement
« La fraîcheur, c’est le moment de pivot, de bascule entre deux états de la vie... La fraîcheur, c’est l’aveuglement, la naïveté, au sens de la nativité, devant les choses. L’inquiétante étrangeté de l’ordinaire... » Régine Detambel publie, en même temps que son 17e roman (« Sur l’aile », Mercure de France), un nouveau recueil de textes brefs, « 50 histoires fraîches » (2), qui peut se lire comme un diaporama, chaque histoire se nourrissant de la précédente et de la suivante, l’interprétation de l’une dépendant de la lecture de l’autre. Des pièces qui ont aussi une couleur musicale et qui portent d’ailleurs des numéros d’opus, d’un à cinquante.
Régine Detambel, qui cueille un personnage au point de vacillement de son existence (le livre aurait pu, dit-elle, s’intituler « Vacillations ») nous invite à déceler dans les gestes et les moments insignifiants ce qui peut brusquement changer le cours d’une vie. Ce qui l’intéresse, c’est comment on réagit devant ce qui n’est vraiment pas fait pour nous, car « on rate des centaines d’occasions chaque jour, par absence de goût pour la vacillation ! Et par manque de confiance dans le vertige. » A bon entendeur...
L’exil et le retour
« L’Or des rivières » (3) de Nimrod n’est pas réellement un recueil de nouvelles mais une suite de
récits qui oscillent entre souvenirs et réflexions sur le passé et sa vie. Poète avant tout (son œuvre est publiée aux Éditions Obsidiane), il a aussi publié trois romans (« les Jambes d’Alice », « le Départ » et « le Bal des princes »).
Ce nouvel ouvrage très personnel s’articule autour de sa mère restée au pays, de l’exil et du retour. Son pays, c’est le Tchad, que la guerre civile a dévasté alors qu’il avait 19 ans. Installé géographiquement et sentimentalement en France, Nimrod rend visite à sa mère. Il est devenu un intellectuel et un voyageur, elle, n’a pas bougé de ses murs de pisé. Pourtant, à ses yeux, « elle invente le Tchad ».
D’un texte à l’autre, Nimrod convoque des visages aimés - celui de son père en particulier –, se remémore des moments privilégiés – la première fois où il a été amoureux, en CM2, par exemple – et revient aux origines de son tempérament contemplatif, de son goût pour la poésie, qui est « fille de mémoire ».
L’isolement intime
Après « Cent quinze romans-fleuves », Isabelle Sojfer publie « Loin de chez moi » (4), un recueil de 20 nouvelles sur l’éloignement, les autres, le couple. Cela se passe dans une station balnéaire bon chic bon genre du Massachusetts, dans une île grecque, un village en France, au Portugal... Ce sont des vacances en famille, une escapade en couple, un séminaire professionnel, un voyage avec des amis... Autant de situations banales, de moments qui pourraient être agréables, voire délicieux, et cependant le malaise s’installe. L’auteur montre, du bout du monde ou de l’autre bout de Paris, que la distance importe peu pour se sentir loin de chez soi, à partir du moment où chacun doit faire face à son isolement intime.
La cruauté des mondes humain et animal
Yigit Bener a grandi entre la France et la Turquie, qu’il quitte en 1980, à 22 ans, pour ne revenir s’y installer que dix ans plus tard, travaillant depuis comme interprète et traducteur. « Autres cauchemars » (5) réunit une quinzaine de nouvelles « animalières » dans lesquelles fourmillent et se faufilent insectes et autres sales bestioles comme araignées et cafards. Elles sont autant de variations sur les étranges relations qui unissent l’homme aux créatures du monde inférieur.
Le propos est original mais Yigit Bener va plus loin : en confrontant la cruauté des mondes, humain et animal, il épingle, en arrière plan, la vie quotidienne en Turquie. C’est ainsi que le livre est truffé de références à divers éléments de l’histoire locale, qu’il s’agisse du coup d’Etat de 1980 ou du tremblement de terre qui ravagea la ville d’Izmir en 1999.
(2) Gallimard, 226 p., 17,90 euros.
(3) Actes Sud, 126 p., 13 euros.
(4) Éditions Les Petits Matins,
221 p., 15 euros.
(5) Actes Sud, 174 p., 16 euros.
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