« LE FAIT d’avoir étudié les effets et les dangers des drogues, a calmé chez moi, toute envie de les essayer », affirme Jérôme Arlet. Ce jeune pharmacien de 30 ans sait de quoi il parle. Les drogues, il les a certes étudiées lors de son cursus pharmaceutique, mais il leur a surtout consacré sa thèse : « Histoire de la toxicomanie dans la musique du XXe siècle ». Soutenue en juillet dernier, celle-ci a retenu l’attention des milieux musicaux et universitaires ; ces derniers lui accordant la mention « très bien ». Une juste récompense pour la qualité de cette étude et son originalité ; aucun travail de synthèse n’avait été accompli sur ce sujet.
Un thème pour lequel Jérôme Arlet semblait prédestiné par sa double compétence. En effet, ce jeune Toulousain est aussi un musicien accompli. Une passion quasi héréditaire, car il est issu d’une famille où musique et santé sont étrangement mêlées. Dans les années 1970, son père et son oncle (médecins) ont créé avec d’autres amis médecins, le Toubib Jazz-band, orchestre dont la renommée a rapidement dépassé les limites de la région. Cette formation, aujourd’hui New Orleans, a ensuite intégré son frère Laurent, médecin lui aussi.
Un atavisme dont Jérôme Arlet a bien failli s’affranchir : « Enfant, je n’ai fait que deux ans de piano et deux cours de saxo. » Mais à l’âge de 12 ans, il s’essaie à la guitare. C’est le déclic. Il apprend l’instrument en autodidacte, compose du folk blues, crée un groupe de rock, s’initie au jazz… Un éclectisme qui trouve sa source dans l’énorme collection de disques paternelle. Remplaçant parfois le guitariste du Toubib Jazz-band, il découvre la scène : « Cela m’a poussé à mettre de la rigueur dans mon jeu car, sur scène, on n’a pas droit à l’erreur. » Il suit le groupe en concerts, sur les festivals, écoute, apprend. Puis, il se met au banjo et intègre la formation familiale en 2000, juste après son concours de pharmacie. Un cursus qu’il choisit par intérêt pour la chimie et aussi, peut-être, pour se démarquer des médecins de la famille.
Un « shoot » aux amphétamines.
À partir de là, Jérôme Arlet mène de front sa vie de musicien et ses études de pharmacie : « les deux activités ne se pratiquent pas en même temps, l’une est plutôt diurne, l’autre nocturne ou de week-end. Néanmoins, j’avoue avoir redoublé quelques années… »
Quand vient l’heure de sa thèse, il trouve un sujet qui rassemble ses deux passions : « L’idée m’est venue à la lecture d’un recueil de critiques musicales et d’une interview de Lou Reed racontant un « shoot » aux amphétamines avec un luxe de détail (dosages, excipients, effets…). »
Outre un travail très universitaire sur l’histoire, la chimie et les effets des drogues étudiées (cannabis, cocaïne, héroïne, amphétamines, LSD), il se plonge, huit mois durant, dans des biographies de musiciens, consulte des centaines de documents. Les surprises et découvertes sont au rendez-vous : « comme tout le monde, je pensais que les années 1960-1970 étaient celles de l’explosion des drogues. Or c’est faux, celles-ci étaient présentes dès les années vingt chez les musiciens. »
Autre idée reçue battue en brèche : la drogue récréative, voire créative. Pour Jérôme Arlet, la principale cause du recours aux drogues par les musiciens est la nécessité de combattre la fatigue : « une tournée représente une dépense physique et nerveuse (tract, concentration, scène…) dont on n’a pas idée. Pour avoir fait jusqu’à trois concerts d’affilée, j’ai vu à quel point c’est épuisant. Certains musiciens avaient des calendriers démentiels, les Beatles devaient tenir la scène de 21 heures à 4 heures du matin… Pour d’autres, sortir de scène signifiait retomber dans la noirceur du quotidien, d’où la prise de produits permettant de conserver le niveau d’adrénaline des concerts ».
Jazz et cannabis, be-bop et héroïne, techno et ecstasy…
Notre jeune thésard pointe aussi les côtés spectaculaires de certains excès : « Joe Cocker en était arrivé à se shooter avec des produits vétérinaires, prenant des doses pour chevaux ou rhinocéros. »
Après l’étude des drogues et des musiques populaires du XXe siècle, Jérôme Arlet s’attache à associer les uns et les autres : jazz et cannabis, be-bop et héroïne, techno et ecstasy… Un travail qui donne à sa thèse une dimension sociologique passionnante.
Au détour du sujet, il ouvre même d’autres pistes d’étude : « durant mes recherches, j’ai été surpris de l’importance de la consommation d’amphétamines dans les années 1950 aux États-Unis, mais aussi en France. Et dans tous les milieux : étudiants pour leurs examens, ouvriers pour finir des chantiers dans les délais… Le rôle de ces drogues dans la reconstruction et les trente glorieuses serait un bon sujet. »
Tout aussi dérangeant, la toxicomanie des musiciens français : « Contrairement aux États-Unis, chez nous le sujet semble tabou. » On ne lui suggérera pas le personnel politique…
Et aujourd’hui ? « Au XXIe siècle, les consommations de drogues sont devenues plus récréatives, et relevant d’un parcours individuel (milieu, appartenance à un groupe, histoire personnelle), explique Jérôme Arlet. Hormis pour le reggae, il n’y a plus de lien entre un style de musique et une drogue. De plus, la consommation a diminué. L’information est passée, les musiciens ont pris du recul. Les nombreuses stars décédées d’overdose y ont contribué. Quand on voit ça, on préfère assumer la fatigue des concerts. »
Jeune docteur en pharmacie et musicien, Jérôme Arlet entend vivre ses deux métiers en parallèle : « J’aimerais pouvoir acquérir ma propre officine d’ici 5 à 10 ans, explique-t-il. Mais, pour l’heure, je recherche, si possible sur Toulouse, un poste d’adjoint. » L’appel est lancé aux pharmaciens mélomanes de la ville rose.
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