« Les clients aiment que leur pharmacien soit un peu hurluberlu, assure Jean-Baptiste Cokelaer, à Le Cateau-Cambresis (Nord), la ville du peintre Matisse. D’ailleurs, c’est un pharmacien catésien qui a été voir Matisse, en 1952, pour le projet de création d’un musée dans sa ville natale, et lui demander quelques peintures. Le peintre en offrira près de cent ! »
Jean-Baptiste Cokelaer occupe la Pharmacie du Musée, une officine datant du XIXe siècle qui recèle encore de vieux ordonnanciers remontant à la guerre de 1914. Mais ce qui occupe le jeune pharmacien, thèsé en 2001 et installé en 2009, c’est la botanique et la mycologie. « La botanique a été une révélation, dès le lycée, quand un professeur m’a fait faire mon premier herbier. J’ai ensuite étudié la botanique à la fac de Lille, avec les Prs Delelis et Dupont, puis l’ethnobotanique, à Metz (Moselle), avec Jean-Marie Pelt. Et ma thèse portait sur une plante médicinale des Indiens d’Amérique, où j’ai étudié deux ans. Je craignais la mycologie, mais en arrivant à Le Cateau, en mai 2009, j’ai découvert un fantastique patrimoine botanique et mycologique. Dès septembre 2009, j’ai organisé de premières sorties pour mes clients. » En 2014, le succès est tel que Jean-Baptiste Cokelaer emmène plus de soixante personnes en forêt, sur plusieurs sorties. Il « parle à l’oreille des champignons ! »
Des bières aux champignons
Lier la botanique, la mycologie, la boisson, la table, tout semble évident. Le Cateau-Cambresis abrite une très réputée brasserie artisanale, détenant une dizaine de marques. Elle brasse des bières « collaboratives ». La première reçoit une infusion de tilleul des arbres du musée Matisse. Cela donne une bière de haute fermentation parfumée.
En 2014 Jean-Baptiste Cokelaer innove dans le champignon : il crée la Mort’ale, en infusant des trompettes de la mort pour produire une bière à 6°. En 2015, 10 kg de cèpes déshydratés (soit 100 kg de cèpes frais) sont infusés dans 2 000 litres de brassin, pour produire la Bord’ale (prononcer comme le « ale » britannique !), à 7°. Bordeaux donne son nom à cette bière, car le plus grand marché aux cèpes s’y est toujours tenu. Une troisième bière verra le jour en 2016, puis la trilogie recommencera.
Le pharmacien mycologue et cueilleur se fait le héraut des champignons. « Le champignon est partout accessible, il est notre patrimoine naturel, un "marqueur" de la santé de la nature. » Il fait des animations sur le champignon, bientôt à la gare de Lille-Flandres, invite le président du Conseil de l’Ordre à déguster la Mort’ale, organise des cueillettes avec des chefs. « Je suis formateur au CFA pour des préparateurs. Je leur dis toujours que, avant de savoir, il faut apprendre, et qu’il faut toujours pourvoir et vouloir savoir. Un pharmacien ne dit pas à un client qu’il ne sait pas, qu’il ne connaît pas tel champignon, mais qu’il peut se renseigner, qu’il peut lui dire très vite. »
« Je pense à une pharmacie comme à une cuisine, avec des préparations, à mon équipe comme à une brigade. La bière aussi relève de la biochimie, on en détermine son degré, sa bulle, sa couleur, avant de sélectionner les malts et les houblons. La bière est réalisée en 6 à 7 heures, fermente une semaine, puis est gardée trois semaines, avant d’être embouteillée. Et après, on déguste ! », s’exclame-t-il dans un grand éclat de rire.
« Mes professeurs de lycée, de faculté, m’ont donné du plaisir à les écouter. Tous ces gens sont des découvreurs, comme des Linné (naturaliste suédois -1707-1778, qui a donné une classification des plantes), comme d’autres avant eux. Le champignon est, en fait, le lien entre la cuisine et le métier de pharmacien », estime Jean-Baptiste Cokelaer, gourmand, gourmet, qui aime fréquenter les grands chefs.
Il a passé un diplôme universitaire de mycologie en 2014, et les Catésiens, qui souvent ont « vu un truc sur un champignon », tiennent leur pharmacien pour un « tatoué champignon ».
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