Alors que Tours célèbre cette année le 220e anniversaire de la naissance de Balzac à travers plusieurs manifestations, le musée Balzac du château de Saché, au milieu de la Vallée de l’Indre, présente une exposition originale, sur le petit monde balzacien de Pierre Ripert (1886-1967) pharmacien de profession et sculpteur méconnu.
Pourquoi se rendre à Saché puisqu’au musée des Beaux-Arts de Tours, la grande histoire de l’art se raconte à travers une exposition sur l’histoire (assez mouvementée) des commandes publiques passées à différents sculpteurs célèbres pour l’érection d’un monument au grand écrivain, après sa mort en 1850 ? « Monumental Balzac », le titre impose de lui-même. On y croise évidemment Rodin mais aussi Alexandre Falguières, auteur d’une statue inaugurée en 1902 à Paris. Une volonté publique qui se perpétue jusqu’à aujourd’hui puisque la ville de Tours a passé commande à l’artiste contemporain Nicolas Milhé pour réaliser un nouveau monument-hommage à Balzac (en souvenir de la statue de Paul Fournier - dont un buste en plâtre se trouve d’ailleurs au musée de Saché - inaugurée en 1889 puis détruite pendant la Seconde Guerre Mondiale). En attendant l’inauguration de ce projet en novembre prochain, l’artiste a déjà choisi les cinq Tourangelles et Tourangeaux dont les visages incarneront cinq personnages de la « Comédie humaine ».
Un microcosme balzacien
Il y a un siècle, un autre sculpteur, balzacien discret mais obsessionnel, portait également une attention particulière aux visages qu’il souhaitait modeler pour représenter les différents personnages de la « Comédie humaine ». Comme un contrepoint aux grandes manifestations de Tours, le musée Balzac du château de Saché propose de découvrir une singulière « petite » histoire de l’art dans le lieu même où l’écrivain aima se ressourcer lors de longs séjours, des années durant. À Saché, entre 1825 et 1848, loin du tumulte parisien, Balzac trouva l’inspiration pour plusieurs de ses romans : « Le Père Goriot », « Le Lys dans la vallée », « César Birotteau », « Louis Lambert », « Illusions perdues »…autant de chefs-d’œuvre dont les personnages revivent aujourd’hui, dans une sorte de singulier théâtre miniature, à travers les traits minutieusement modelés dans le plâtre, la cire, la terre et le bronze.
Un microcosme balzacien qui s’anime à nouveau, bien connu autrefois des inconditionnels de l’œuvre de l’écrivain, mais vite tombé dans l’oubli. Un Balzac, loin de l’effigie monumentale, mais proche de l’œuvre littéraire car Pierre Ripert ne voulut rien d’autre que restituer, le plus fidèlement possible, les descriptions naturalistes de l’écrivain sur la physionomie et les détails physiques de ses personnages, ô combien précises. Ce qui vaudra cette phrase à son ami, le libraire Courville, sur un des personnages d’Eugénie Grandet : « Le président Cruchot a du caractère et j’en trouve les proportions harmonieuses ! J’ai presque envie de croire qu’il eut ainsi satisfait Balzac. » Les petites statues de l’artiste sont au nombre de 84 dans l’exposition, nous offrant un échantillon des 2 400 personnages imaginés par Balzac.
La redécouverte d’un sculpteur méconnu
Pierre Ripert, né à Marseille, pharmacien de formation, était collaborateur des laboratoires pharmaceutiques Silbert et Ripert. En parallèle de cette activité, il développa un travail de sculpteur, exclusivement inspiré de l’œuvre de Balzac dont il était passionné et fin connaisseur. Son œuvre était un peu connue du monde muséal et du monde des galeries puisqu’il exposa une toute première fois du 7 au 22 février 1931 quelques-unes de ses statuettes (26 bronzes) dans la galerie Charpentier de la rue du Faubourg Saint-Honoré (célèbre pour avoir exposé des grands noms de l’art moderne). On peut donc penser qu’il fut regardé par des yeux connaisseurs et des historiens d’art. Cependant, c’est plutôt dans le domaine de la littérature qu’il fut reconnu et soutenu, notamment par le libraire, spécialiste de Balzac, Georges Courville, chez qui il fit plusieurs expositions, en particulier à l’occasion du Centenaire d’Eugénie Grandet en 1933.
Par la suite, les sculptures de Ripert seront vues lors d’expositions en province, notamment à l’Hôtel de Ville de Tours en 1935. C’est à cette occasion que l’artiste fit don de terres cuites originales et de plâtres au musée de Tours (aujourd’hui en dépôt au musée de Saché). Deux ans plus tard, en 1937, il fera don d’une série de bronzes, de plâtres et de terres cuites à la Maison Balzac à Paris. Restée très confidentielle, sa création est aujourd’hui remise en lumière grâce à l’initiative du musée du château de Saché, suite à une donation importante de plusieurs œuvres de Ripert et d’un fonds d’archives de la part de ses héritiers. C’est la première fois qu’un ensemble aussi important de ses statuettes est montré, comme ne l’a probablement jamais vu l’artiste de son vivant.
L’attention physionomiste
Si Ripert était très proche d’éminents Balzaciens, comme Marcel Bouteron ou Pierre Abraham, c’était pour échanger avec eux sur la matière littéraire (il était d’ailleurs en possession d’éditions originales) mais surtout, semble-t-il, pour leur demander leur avis sur la manière dont il s’imaginait les visages et les corps des personnages de Balzac. En bon esprit scientifique et en pharmacien s’intéressant aux caractéristiques corporelles pouvant traduire extérieurement certaines spécificités psychologiques, probablement connaisseur des recherches sur la phrénologie, Ripert recherchait, dans l’art du modelage, des réponses aux questionnements qui avaient cours sur la correspondance entre l’aspect physique et la personnalité. À ce titre, il n’hésitait pas à puiser dans « L’Art de connaître les hommes par la physionomie » de Lavater, essai par ailleurs bien connu de Balzac. On peut donc penser que la sculpture lui permettait sans doute de s’amuser et d’assouvir librement une curiosité sur la nature humaine. Il fut d’ailleurs aussi ravi de participer en 1936 à l’exposition « La Médecine en Touraine » pour laquelle il proposa de réaliser des médaillons et une statuette des médecins des romans balzaciens (le Drs Origet, Rome et Benassis).
Après la Seconde Guerre Mondiale, notre pharmacien interrompt sa production artistique, préférant l’étude critique de l’œuvre du peintre marseillais Adolphe Monticelli. Ses créations, pour la première fois dévoilées au public dans une exposition depuis l’entre-deux-guerres, révèlent un univers balzacien attendrissant par sa minutie et sa fidélité à l’imaginaire de l’écrivain. Les connaisseurs y reconnaîtront les personnages des romans, les béotiens y décèleront le regard attentif d’un homme sur ses semblables.
Informations pratiques « Un monde balzacien. Sculptures de Pierre Ripert », exposition au musée Balzac du château de Saché, du 18 mai au 22 septembre. 37 190 Saché www.musee-balzac.fr.
À voir aussi : « Monumental Balzac. Petite histoire des monuments au grand écrivain » au musée des Beaux-Arts de Tours, du 18 mai au 2 septembre.
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