« COMPÉRAGE », « ententes concourant à de la concurrence déloyale ». L’Agence régionale de santé (ARS) de Champagne-Ardenne ne mâche pas ses mots pour pointer les « actes et comportements » en vigueur dans certains établissements hospitaliers, pour la dispensation du matériel médical. « Certains personnels, notamment de santé, capteraient les prescriptions médicales de patients dès leur rédaction et signature et, sans leur consentement, ni même parfois leur connaissance, transmettraient celles-ci directement par télécopie ou par messagerie électronique à certaines sociétés privées dispensatrices de divers matériels médicaux […], ni le patient ni sa famille n’en étant informés », indique l’ARS. Dans un courrier, l’agence détaille ces pratiques, qui toucheraient notamment la dispensation de lits médicaux, de fauteuils roulants, d’oxygène médical ou d’appareils d’aérosolthérapie, et tient à rappeler les règles d’éthique professionnelle en vigueur. Le document a été envoyé aux directeurs des soins des établissements de santé, aux prescripteurs, aux présidents de commissions médicales d’établissement, aux Ordres professionnels, ainsi qu’aux présidents des unions régionales des professions de santé (URPS). L’ARS rappelle ainsi que « le patient est le seul propriétaire des prescriptions qui le concernent et doit pouvoir faire valoir son droit de choisir librement des professionnels, notamment de santé par lesquels il souhaite être pris en charge ». Elle avertit que les pratiques qui lui ont été signalées « sont contraires aux règles de confraternité interprofessionnelle, aux règles déontologiques propres à certaines professions de santé et au code de la consommation ». Elle signale également qu’elles sont « de nature à nuire à la prise en charge globale du patient telle que voulue par les textes ». L’ARS dénonce enfin les « cadeaux ou avantages en nature » qui seraient offerts « en contrepartie de telles ententes ».
Rappelant ce que risquent les personnes se livrant à de telles pratiques (voir encadré), l’agence appelle instamment à les « faire cesser ». Elle demande aussi aux établissements « de ne pas laisser circuler dans les locaux dédiés aux soins et à la prise en charge des patients, les professionnels ou commerciaux de telles sociétés, ceux-ci devant être dirigés vers les services de la direction des affaires économiques ». Enfin, l’ARS réclame que ces règles soient « intégrées dans le règlement intérieur du fonctionnement des établissements » et qu’un contrôle soit effectué sur les « éventuels liens et conflits d’intérêt contraires aux principes rappelés ».
Danger pour la santé des patients.
Pour les pharmaciens de la région, ce courrier de l’ARS est un motif de satisfaction, après des années d’alertes restées lettre morte. « Je travaille sur ce dossier depuis dix ans, explique Pierre Kreit, président de l’URPS Champagne Ardenne des pharmaciens d’officine et président du syndicat des pharmaciens de la Marne. J’ai reçu de nombreuses plaintes de confrères au sujet des prestataires de services qui vendent du matériel médical. J’ai aussi des patients qui m’ont alerté sur certaines pratiques qu’ils avaient connues à l’hôpital. » Il cite notamment des patients, qui, sans même avoir vu leur ordonnance, ont été directement adressés à des sociétés privées dispensatrices de matériel médical. « Ils parlent de représentants de ces entreprises, qui viennent leur rendre visite dans leur chambre d’hôpital pour leur proposer de livrer des poches de stomie, détaille Pierre Kreit. J’ai aussi l’exemple de l’une de mes patientes, à qui j’ai délivré moi-même les poches. L’employé de la société est malgré tout venu chez elle et l’a réprimandée quand il a appris que la délivrance avait déjà été effectuée. »
Ce confrère pointe par ailleurs les risques pour la santé des patients, qui découlent de ces pratiques. « On nous demande de remplir le dossier pharmaceutique. Je veux bien, mais si les patients reçoivent des traitements par l’intermédiaire des prestataires de services, cela ne figure pas dans le DP. J’ai parfois appris que mes patients étaient sous oxygénothérapie seulement quatre ou cinq ans après le début de leur traitement. Quand on sait que certains médicaments sont contre-indiqués lorsqu’on est sous oxygène, les conséquences peuvent être très graves », déplore-t-il. Autre motif d’exaspération : les pratiques de certains prestataires, qui faxent eux-mêmes les ordonnances des patients aux pharmaciens. « Ces sociétés me demandent à moi, pharmacien diplômé, des médicaments pour mon patient ! Cela va vraiment trop loin. Les pharmaciens en ont plus que marre. Nous voulons bien faire les nouvelles missions prévues par la loi HPST, mais il faudrait déjà qu’on nous rende les anciennes… »
Pour protester contre ces agissements, Pierre Kreit a écrit une lettre à Roselyne Bachelot, en 2009, lorsqu’elle était ministre de la Santé. Sans réponse concrète, il a réitéré en 2011 en remettant un courrier à Xavier Bertrand. Il s’est également tourné vers l’Agence régionale de santé, qui, finalement, s’est emparée du problème. « C’est une première étape qui vient d’être franchie, se félicite le président du syndicat des pharmaciens de la Marne. La deuxième devrait être la mise en place d’une commission de transparence avec des représentants de l’ARS, des URPS et des responsables des hôpitaux et des cliniques. Le droit du patient doit être respecté et il faut que la transparence soit assurée. » Pour lui, « il est également indispensable que le DP soit alimenté et que la communication entre les professionnels de santé de ville et le milieu hospitalier soit améliorée. Ce n’est pas aux prestataires de s’occuper de l’éducation thérapeutique du patient et de son suivi thérapeutique. C’est aux professionnels de santé de le faire », estime-t-il. Il attend maintenant de voir les effets que produira le courrier de l’ARS et envisage d’aller plus loin s’ils ne sont pas satisfaisants. « Il faut faire cesser ces pratiques. Nous n’hésiterons pas à porter plainte s’il le faut », conclut-il.
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