LA PRATIQUE fait grincer des dents. De plus en plus de grossistes-répartiteurs feraient payer des frais de livraison aux pharmaciens. Selon une enquête de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) en ligne depuis trois semaines sur son site Internet (500 réponses), près de 8 titulaires sur 10 seraient dans ce cas-là. Or, affirme Gilles Bonnefond, président de l’USPO, le procédé est parfaitement illégal. « Les grossistes font croire aux pharmaciens qu’ils doivent signer des contrats incluant la facturation de frais de livraison dans les conditions générales de vente pour les médicaments remboursables », accuse-t-il. Ce qui, selon lui, est complètement faux. Il demande donc à ses confrères de ne signer aucun contrat prévoyant une telle clause, et de les dénoncer s’ils l’ont déjà fait.
Pour preuve, argumente Gilles Bonnefond, les termes très clairs de deux lettres adressées au président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), en mai et en août 2012, respectivement par Xavier Bertrand, puis par Marisol Touraine. Les deux courriers ministériels, quasiment similaires, rappellent à chaque fois la répartition à l’ordre. « Certains grossistes répartiteurs imposent aux pharmaciens d’officine soit le remboursement de frais de livraisons, soit des quotas de vente pour être exonérés de tels frais de livraison », soulignait ainsi, à la fin de l’été, Marisol Touraine. Et la ministre de la Santé d’insister sur le fait que, pourtant, « la compensation financière de ces obligations de service public, qui s’applique à l’ensemble des grossistes-répartiteurs, est prévue dans le calcul de la marge ». Elle ajoute : « la fixation des marges prend en compte l’évolution des charges (dont notamment les frais inhérents à la gestion et à la livraison des spécialités), des revenus et du volume d’activité des entreprises concernées. » « Dès lors, l’intégralité des charges correspondant à la livraison des produits pharmaceutiques remboursables aux pharmaciens d’officine entrant dans le cadre des obligations de service public est financée par les marges des grossistes répartiteurs », conclut Marisol Touraine, avant de demander à la CSRP d’en informer ses adhérents afin qu’ils mettent leurs pratiques en conformité avec la réglementation.
Une pratique illicite.
Pour l’USPO, il n’y a donc aucune ambiguïté possible concernant les médicaments remboursables : « Facturer des frais de livraison, ou imposer des quotas de vente pour en être exonérés, relève d’une pratique illicite contraire aux obligations de service public des grossistes-répartiteurs. » En revanche, pour les médicaments non pris en charge par l’assurance-maladie, la marge étant libre, les grossistes ont le droit de facturer des frais de livraison, « sous réserve toutefois que leur facturation ait été prévue dans les conditions générales de vente », précise l’USPO.
Malgré le rappel à l’ordre ministériel, la situation ne semble pas avoir bougé d’un iota depuis la fin du mois d’août. Et, selon l’USPO, les frais indûment perçus par les grossistes coûteraient entre 100 et 200 euros par mois pour 6 pharmaciens sur 10, et même plus de 200 euros pour 8 % des titulaires ayant répondu au questionnaire en ligne.
L’économie a changé.
Mais pour la CSRP tout cela n’a rien d’anormal et encore moins d’illégal. « Nous respectons le droit commercial », affirme son vice-président, Joaquim Fausto Ferreira, également président d’Alliance Healthcare France. Lors d’une rencontre avec des représentants du ministère de la Santé, le 21 septembre, le syndicat de la répartition a d’ailleurs assuré aux pouvoirs publics que « ces pratiques sont mises en place de manière transparente à l’égard des pharmaciens » et que « ces facturations concernent moins de 1 % du total des livraisons effectuées » (« le Quotidien » du 1er octobre).
De plus, la CSRP fait observer que les récentes mesures de baisse de marge appliquée à la répartition démontrent qu’il n’a été tenu aucun compte de l’augmentation des charges, de l’évolution des revenus ou du volume d’activité des entreprises de la répartition. Selon les estimations de la CSRP, la nouvelle marge engendre pas moins de 60 millions d’euros de perte pour les grossistes. « Actuellement l’activité de la répartition n’est pas rentable, indique Joaquim Fausto Ferreira. Notre activité est très pressurisée par toutes les augmentations de coût et par les nouvelles voies d’approvisionnement des pharmaciens, souligne le président d’Alliance Healthcare France. Nous sommes une entreprise comme les autres et nous pratiquons des frais de livraison. Ce n’était pas le cas auparavant, mais l’économie de la répartition a changé. Il faut prendre en compte les évolutions économiques comme la révolution des ventes directes. »
Hausse des contentieux.
L’enquête de l’USPO relève d’ailleurs que la démarche n’émane pas d’un acteur en particulier. « Il ne s’agit pas de la stratégie d’une entreprise, mais de la répartition dans son ensemble », remarque Gilles Bonnefond. « Il y a entente sur le territoire et il est impossible de faire jouer la concurrence », déplore le président de l’USPO. Et le nombre de contentieux avec les pharmaciens flambe : 66 % des titulaires seraient engagés dans un bras de fer avec leur grossiste. « Le rapport de force n’est pas équilibré. Lorsque les confrères contestent, soit les grossistes les envoient au tribunal, soit ils arrêtent carrément de les livrer, sans discussion », dénonce Gilles Bonnefond. Avec des conséquences dramatiques pour les officines qui se retrouvent ainsi en rupture d’approvisionnement. « Les grossistes sont en train de nettoyer le réseau, s’alarme-t-il. Ils instrumentalisent les pharmaciens pour renégocier leur marge. »
« Les frais de livraison ne visent absolument pas les petites officines mais les petites commandes », se défend le vice-président de la CSRP. Pour lui, c’est au gouvernement de trancher sur ce qui prévaut entre le droit commercial et le code de la santé publique. Comme pour la vente de médicaments sur Internet ou la définition d’une enveloppe permettant la mise en place de l’honoraire de dispensation, les officinaux attendent des arbitrages clairs et précis de la ministre de la Santé.
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