Placé sous le binôme de conjoints, de frères et sœurs, de parents/enfants, l’exercice officinal se conjugue souvent au pluriel. Cette option relève sans doute, en ce qui concerne les couples, du choix d’un rythme de vie à l’unisson et du désir de mener un projet de vie commun. Quant aux duos frères/sœurs ou parents/enfants, il est fréquent qu’ils perpétuent une saga familiale datant de plusieurs générations.
« Fils et filles de »
Pour autant, mutations sociétales aidant, l’exercice qui place l’un des membres du binôme sous la coupe du second tend à disparaître. Les couples préfèrent désormais se mettre sur un pied d’égalité en co-titulaires. Le tandem parents-titulaires/enfants-adjoints en revanche, est moins rare. Souvent choisi par opportunité comme point de chute à l’issue des études ou d’une réorientation après une carrière dans l’industrie ou la recherche, l’assistanat au sein du cocon familial donne aux enfants davantage d’amplitude pour développer une activité.
« Cela permet de ne pas se consacrer uniquement au comptoir comme le ferait un autre adjoint. Car même si on dispose d’un contrat de travail, cet exercice dans la sphère familiale facilite les choses. On peut se libérer plus facilement », reconnaît Alexandra Gaertner, adjointe dans l’officine de son père, Philippe Gaertner, à Boffzheim et secrétaire générale de l’UTIP. Laurent Montreuil, adjoint dans l’officine de ses parents à Bron, en a profité pour compléter sa formation initiale.
« Il est clair que le fait d’être adjoint offre également davantage de possibilités de financement dans la formation professionnelle. J’ai pu ainsi continuer à me former sans pénaliser l’entreprise », constate le jeune homme détenteur d’un DU. En ce qui concerne son Master, en revanche, l’officine a concédé à un réel investissement (12 000 € environ entre formations, déplacements et remplacements).
Des salariés privilégiés, donc, ces « fils de » ou « filles de » ? Pas sûr. Car si les parents font preuve de compréhension envers leur rejeton, il n’en reste pas moins que les tensions intergénérationnelles sont plus exacerbées, ou en tout cas moins bridées, entre les membres d’une même famille. « J’ai naturellement plus tendance à remettre les choses en question que si je travaillais ailleurs », admet Laurent Montreuil.
Sans tabou
Pour éviter ce gap générationnel, mais aussi pour disposer de la même légitimité que son père, Laurent Montreuil a suivi les mêmes formations que lui en médecines complémentaires. « C’était aussi un moyen de montrer aux autres salariés mon souci de légitimité, d'utilité, et pour répondre aux besoins de l'entreprise. », affirme-t-il.
Trouver sa place parmi les membres de l’équipe n’est pourtant pas toujours chose aisée. « Je reste le fils des patrons et leur sincérité n’est pas la même vis-à-vis de moi, bien que je sois le premier à remettre des choses en question. Je peux cependant tirer parti de cette expérience de ce rôle d’intermédiaire, de cadre. Ma position constitue une ressource de management aussi bien ascendante que descendante », analyse Laurent Montreuil. Cette position intermédiaire favorise, en effet, les échanges.
« On peut faciliter le dialogue, inciter tout le monde à aller dans le même sens », apprécie Alexandra Gaertner, qui a ainsi entrepris une démarche qualité au sein de l’officine. Si tout adjoint devrait être à l’origine d’une telle initiative, celui qui bénéficie du statut familial a davantage de légitimité pour revendiquer sa place. « On ose davantage, il n’y a pas de tabou », pense l'adjointe.
Quant aux patients, il y a ceux qui ont connu l’adjoint enfant, jouant aux petites voitures dans l’officine, et les autres qui ignorent tout de son statut familial. « Les informer au détour d’une phrase que je suis le fils des patrons permet de gagner de temps sur la confiance que les patients m'accordent. C'est réellement un plus lorsque je les remplace, en été par exemple », affirme Laurent Montreuil.
Un jalon à passer
Cette relation particulière adjoint/titulaire n’en réclame pas moins un encadrement spécifique. « Car si l’équilibre du couple dans les relations professionnelles peut être atteint, endossant des rôles pendant les heures de travail avec, en retour, un inversement des rôles dans la sphère privée, les règles sont différentes dans les relations parents/enfants », expose Loïck Roche, docteur en psychologie et directeur de l’École de Management de Grenoble*. Et de préciser « dès le départ ce couple adjoint-titulaire a un objectif qui est de construire l’avenir. Dans cette anticipation, le parent-titulaire énoncera clairement à son enfant qu’il le dirigera pendant un certain nombre d’années avant de lui confier les rênes de l’entreprise ».
Selon Loïck Roche, cette perspective conditionnera le management. « Du coup, l’enfant va accepter d’autant mieux d’être dirigé par son parent. Il sera alors prêt à en prendre les côtés positifs. » Évoquant l’entreprise comme un organisme vivant, Loïck Roche croit que cette relation vivante entre l’adjoint et son titulaire va irriguer la structure. « Et comme dans la nature, le plus jeune prendra la place du plus ancien. Ceci n’exclut pas qu’ils inversent les rôles, le parent pouvant ainsi devenir le salarié de son enfant », ajoute-t-il, précisant que les entreprises familiales, comme les pharmacies, ont l’avantage d’échapper aux impératifs d’immédiateté et de profit des grands groupes.
Cette transmission sera d’autant plus aisée qu’un cadre légal aura été envisagé par le titulaire et son enfant adjoint. « Évoquer les conditions de la transmission permet de la formaliser et, au besoin, de la dépassionner », affirme Loïck Roche. Jérôme Barbier-Paresys, président de la section D du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, s’étonne du reste que le montage de la holding qui se prête à l’entrée des adjoints au capital ne soit pas davantage utilisé par les familles. Un exemple qui pourrait servir de modèle à l’ensemble de la profession.
Après avoir mis le pied à l’étrier à leur enfant, les titulaires peuvent en effet considérer ce nouveau dispositif en tant que « marche pied » pour une reprise future d'une officine exploitée en SEL, comme l’expose Philippe Becker, expert-comptable. Il n’en reste pas moins selon lui, que « la limitation à 10 % du capital fait qu'il sera nécessaire de réfléchir rapidement pour pouvoir passer de 10 à 50 %, voire 100 % ». Aussi, pour franchir ce seuil, « il faudra accepter à un moment donné de perdre le statut d'adjoint censé être protecteur », rappelle l'expert-comptable. À défaut de quitter le cocon familial, l’adjoint devra donc inévitablement achever sa métamorphose en co-titulaire, voire en titulaire.
* Auteur de « Cupidon au travail » 160 p., Paris, Éditions d’Organisation. (2006).
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