IL N’EST PAS inutile de scruter ces philosophies récentes. L’auteur fait justement remarquer qu’elles sont reliées à l’essor de la presse écrite, de la radio et de la télévision. Par ailleurs, elles sont inséparables, souvent, des guerres et des convulsions d’un siècle cruel. Alors pourquoi Deleuze et Derrida semblent-ils beaucoup plus compliqués que Socrate ou Épicure ? Doit-on comprendre que le jargon ici, ou la complexité là, des systèmes se sont accrus??
Avec talent, Roger-Pol Droit nous fait comprendre qu’une philosophie se borne parfois à mettre en lumière ce qui est là et qu’on ne voit pas. C’est astucieusement qu’il part de ce qu’on nomme tout simplement l’expérience. Une expérience qu’un grand philosophe débusque, nomme et analyse. Ainsi regroupe-t-il dans ce projet Bergson, William James et Freud.
Bergson découvre la « durée ». Il était amusant de commencer par lui, ne disait-il pas que toute philosophie n’est que le développement d’une seule idée ! Nous durons, mais cela n’a rien à voir avec le temps mathématique, celui des horloges ou lorsqu’on dit « Ce film dure deux heures ». La durée, c’est ce temps vécu, qui fait que nous changeons sans cesse sans en être conscient. Cette notion se « démontre » : lorsqu’on attend une nouvelle angoissante, une minute semble interminable, et vous, lecteur, savez que cette chronique hebdomadaire est si passionnante qu’on croit avoir vécu dix secondes en la parcourant.
Pour William James, l’expérience révèle ici et maintenant l’urgence de reproduire une action utile. C’est le pragmatisme, un courant de pensée typiquement anglo-saxon, qui dévalorise la question philosophique « Pourquoi ? » pour lui substituer la question de l’efficacité, « Comment faire ? ».
L’expérience, pour Freud, c’est celle que chacun fait de l’inconscient. Cela va d’actes apparemment sans signification, oublis, lapsus, rêves, jusqu’à des symptômes étranges. Autrement dit, l’inconscient était sous nos yeux et on ne s’y intéressait pas.
Un leurre.
Hélas, l’homme n’est pas souvent capable d’enregistrer clairement certains messages. Entre nous et le monde s’interpose le langage, qui pourrait être un adjuvant mais se révèle souvent une gêne ou un leurre. C’est pratique de dire « Voici un marronnier », pourtant on n’en voit jamais qu’un seul, qu’est-ce qui permet de lui appliquer une dénomination générale ? Nous n’avons qu’un seul pauvre mot, « amour », pour désigner des milliards de passions humaines, elles-mêmes évolutives. Quant à l’amour en général, disait le vieil Alain, il s’applique à la patrie aussi bien qu’au saucisson !
De surcroît, l’histoire du siècle précédent révèle que le langage, mis au service de la terreur et du mal radical, a servi essentiellement à cacher la réalité : « regroupement de personnes », « actions » ou « opérations spéciales » furent les crypto-désignations de l’horreur.
C’est pour cela que Roger-Pol Droit, qui réussit magistralement les chapitres consacrés à Foucault ou Deleuze, a su aussi donner leur place à des non-philosophes ou non estampillés comme tels. Lisons en particulier le chapitre sur Hannah Arendt, qui constate que nous n’avons plus de monde depuis la Shoah, que l’homme est devenu acosmique. De l’impossibilité de refonder une politique, elle conclut bizarrement à son urgence, car, dit-elle, citant René Char, « notre héritage n’est précédé d’aucun testament ».
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