CONSTERNATION et douleur. Soixante-douze heures après la fin de la prise d’otages, les proches des quatre victimes de l’épicerie casher et les habitants du quartier n’en gardent pas moins leur dignité sous l’œil des équipes de télévision du monde entier. L’effervescence des forces de l’ordre fait face au calme d’une foule abasourdie, alors que le premier ministre israélien s’est déplacé ce lundi sur les lieux du drame. Sur la place de Saint-Mandé, un retour à la normalité semble inconcevable, tant la menace plane encore dans le silence. Les officines du quartier n’échappent pas à cette ambiance. Au comptoir de sa pharmacie, située à 150 mètres de l’Hypercacher, Élie Assoumou Lardy hoche la tête. Il acquiesce en écoutant une patiente chuchoter sa douleur. « Hallucinant », murmure-t-il, comme pour exorciser le cauchemar de vendredi dernier.
« Je les connais toutes ».
« Tout s’est passé très vite, raconte-t-il posément. Nous avons entendu des coups de feu et avons d’abord pensé à un braquage. Puis quelqu’un est passé en criant " ils sont à l’Hypercacher " », raconte Élie Assoumou Lardy. Les événements s’enchaînent alors. La police passe et somme le titulaire de baisser son rideau. « Le périmètre a été rapidement sécurisé. Toutes les rues ont été fermées, ainsi que la bouche de métro. Nous avons été enfermés tout l’après-midi ici, le personnel, une formatrice et deux patients. Nous étions isolés. Le quartier était bouclé. Je n’ai eu de contact qu’avec mon fils qui était confiné dans son école toute proche », confie-t-il, gravement. Élie Assoumou Lardy ne s’étendra pas davantage. Installé dans le quartier depuis neuf ans, il emploie le présent pour dire des victimes : « je les connais toutes ».
« Il y avait un silence glacial. Les rues étaient désertes, seules les silhouettes noires des forces de l’ordre déambulaient dans les rues. » Le week-end est passé par là mais Marie-Anne Bargues n’est pas revenue de ces heures d’horreur. Vendredi, peu après 13 heures, son officine est encore fermée. La titulaire est heureusement en compagnie de sa fille, qui est aussi son adjointe. La police se manifeste et lui ordonne de descendre le rideau. Son officine de l’avenue Joffre fait l’angle, à un pâté de maison de l’épicerie casher. Peu après, les policiers reviennent accompagnés d’une dizaine de personnes. « Ils m’ont demandé de les accueillir pour les mettre en sécurité. » Le rideau tombe à nouveau. Les employés de l’officine ne pourront pas regagner leur poste de travail, à l’heure de l’ouverture de la pharmacie. Marie-Anne Bargues et sa fille Anne-Lise s’organisent alors. Les deux pharmaciennes rassemblent toutes les chaises qu’elles trouvent, proposent des verres d’eau, tentent de réconforter. « Les personnes étaient calmes, sous le choc, elles parlaient peu. Certaines ont demandé à téléphoner à leurs proches », décrit la titulaire. Les patrouilles sillonnent les rues vides. Les informations filtrent peu.
Du thé contre le stress.
« Nous savions que quelque chose se tramait à l’Hypercacher. Mais n’ayant ni télévision, ni radio, nous n’avions pas de précisions », expose-t-elle. Ce n’est que quand l’assaut final est donné que la titulaire et les occupants de l’officine entendent les coups de feu. Loin de désamorcer la tension, le dénouement de la prise d’otage n’enlève rien au sentiment d’effroi. Et n’apporte aucun élément de réponse. « Je suis ici depuis 36 ans, j’ai vu la plupart des habitants de ce quartier grandir. Il n’y a jamais eu de problème », déclare Marie-Anne Bargues. Cette journée où tout a basculé, laissera bien des incertitudes quant à l’avenir.
De l’autre côté du périphérique, le Cours de Vincennes fait également partie du périmètre de sécurité. Dès le début des opérations de sécurisation, la pharmacie de la porte de Vincennes est, elle aussi, identifiée par les forces de police, comme lieu de repli pour les passants. « C’était peu après 13 heures, la police nous a confié huit personnes dont quatre mineurs et nous a ordonné de baisser le rideau », raconte François-Xavier Bled, pharmacien adjoint.
Il est également demandé au pharmacien de pousser les présentoirs au fond de l’officine afin de dégager quelques mètres carrés pouvant servir d’espace de soins, en cas d’urgence. Cette mesure préventive est toutefois rendue superflue après l’installation de tentes sur le terre-plein du Cours de Vincennes, par la Croix-Rouge et la Protection civile. Le pharmacien et son équipe tentent de rassurer les passants réfugiés dans l’officine. « Ils étaient un peu stressés et impressionnés par les policiers. Alors, nous leur avons servi du thé. Dans le courant de l’après-midi, la police a raccompagné les personnes qui le désiraient à l’exception des mineurs qui ont dû attendre l’arrivée de leurs parents », retrace le pharmacien.
Dans la soirée, la Croix-Rouge viendra se réapprovisionner. François-Xavier Bled ignore cependant ce qu’elle est venue chercher, car entre-temps le pharmacien, qui a fini son service, s’est précipité pour récupérer ses enfants, scolarisés dans des écoles toutes proches. En effet, ces pharmaciens propulsés au cœur de ce qui ressemble à un état de guerre, sont aussi des individus. Ils ont eu tout au long de cet après-midi funeste, la double préoccupation de remplir leur mission professionnelle et de s’enquérir du sort de leur famille, alors que l’angoisse se mêlait aux informations les plus déroutantes.
« Je devais le faire ».
De l’autre côté du boulevard, à la pharmacie de l’Estérel, la situation était d’autant plus complexe qu’un habitant de l’immeuble a craqué. Faisant référence aux terroristes, il s’est écrié de sa fenêtre « je vais tous les tuer », sans se douter du quiproquo qu’il provoquait. Les forces de l’ordre mises en alerte par cette nouvelle menace, ont pu compter sur le soutien du pharmacien. « J’ai fait des recherches et en recoupant mes données, j’ai pu orienter les policiers que j’ai fait entrer par la porte arrière. Ainsi, la situation a été rapidement désamorcée », relate Jean-Jacques Hattab, pharmacien associé.
Mais au cours de l’après-midi, l’attente à l’Hypercacher que l’on peut rejoindre directement du quartier de l’officine par un petit pont, devient intenable. De l’autre côté du périphérique, la tension est palpable. Sur le carrefour, un attroupement grossit. Le rideau de la pharmacie, à l’instar de tous les autres commerces du quartier, tombe. Quelques habitants du quartier parviennent cependant à y trouver refuge car la porte s’ouvre à qui le demande. Pour peu, le pharmacien aurait oublié d’en témoigner. « Ah oui, c’est vrai. Mais bon, c’est tous les jours que quelqu’un arrive parce qu’il a besoin d’aide. Pour moi, c’est comme une évidence de les accueillir », déclare Jean-Jacques Hattab. Avec la même évidence, le pharmacien, qui a perdu l’un de ses parents, Yoav Hattab, dans la prise d’otages de l’Hypercacher, a inscrit au lendemain du massacre, « Je suis Charlie, le flic juif. Quelle galère d’être tué par des cons ! », sur le panneau d’affichage de son officine. « On m’a dit que c’était dangereux. Mais c’était plus fort que moi, il fallait que je le fasse. »
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