À défaut d’avoir pu rencontrer Anita Nair, auteure mondialement connue depuis « Compartiment pour dames » (2001), à l’occasion du salon Livres Paris, dont l’Inde était l’invitée d’honneur, on découvre avec grand plaisir « la Mangeuse de guêpes » (1), son dixième roman. Autour du suicide inexpliqué, en 1965, d’une jeune écrivaine dont l’amant a conservé l’os d’un doigt, elle brosse, par le biais d’un kaléidoscope de destinées de femmes de castes, religions, milieux sociaux, âges divers, une image de la condition féminine en Inde aujourd’hui. Lorsqu’une fillette ouvre la boîte cinquante ans après le drame, elle libère l’âme et le secret du geste fatal de la jeune femme. Auparavant, la relique est passée dans les mains d’autres victimes qui, comme la narratrice, ont connu l’amour, et la brutalité et l’égoïsme des hommes. Des personnages féminins authentiques pour lesquels on ressent une grande empathie.
Premier roman de Karina Sainz Borgo, journaliste née à Caracas en 1982 et installée à Madrid depuis 2006, « la Fille de l’Espagnole » (2) est un livre coup de poing dont les droits ont été vendus dans une trentaine de pays. À la manière d’une dystopie, il nous plonge dans une ville, qui pourrait être la capitale vénézuélienne, aux prises avec les héritiers d’une révolution qui vire à la guerre civile. Expulsée de son logement le jour où elle enterre sa mère bien-aimée, Adelaida se réfugie chez une voisine, qu’elle découvre assassinée. Pour survivre, elle dissimule le cadavre et s’empare de ses affaires, puis, tandis que la violence se déchaîne, de l’identité de cette fille d’émigrée qui, des années auparavant, avait fui le chaos de son pays.
Gagner sa liberté
Pourquoi l’héroïne de « la Femme révélée » (3), Eliza Donneley, a-t-elle abandonné son mari, son fils et la vie dorée qu’elle menait à Chicago pour se retrouver, sous le nom de Violet Lee et sans argent ni bagage, si ce n’est un appareil photo, dans un hôtel miteux du Paris de 1950 ? En nous entraînant dans les pas de cette femme aux abois – qui, au printemps 1968, alors que la ville est en pleine ébullition sociale et politique, reviendra à Chicago pour rechercher son fils –, Gaëlle Nohant (« la Légende d’un dormeur éveillé », Prix des libraires 2018) a écrit une odyssée de la modernité. Autant pour son héroïne, qui gagne sa liberté, le droit de vivre en artiste et en accord avec ses convictions, que pour la société, qui évolue tant bien que mal.
On n’est pas étonné d’apprendre que « Kim Ji Young, née en 1982 » (4) a créé la polémique à sa sortie en 2016 ; ni que le roman a été vendu à des millions d’exemplaires et qu’il est en cours de traduction dans plus de 20 pays. Il ne décrit rien de plus que la vie ordinaire d’une femme ordinaire, discriminée depuis l’enfance, dans sa famille par rapport au petit frère, en matière d’éducation, dans les études, l’emploi… En s’inspirant de son propre vécu, Cho Nam-joo, scénariste pour la télévision de 42 ans, montre dans ce premier roman, féministe et à portée beaucoup plus large que la seule Corée du Sud, combien il est difficile d’échapper aux pièges d’une société traditionaliste et patriarcale.
Après les paysages de l’Alaska et les mythes amérindiens (« le Grand Nord-Ouest », prix Franz Hessel l’année dernière), Anne-Marie Garat situe son 26e roman en
Gironde, dans une maison isolée face à l’océan, que l’héroïne avait acheté dix ans auparavant sans vraiment l’habiter. « La Nuit atlantique » (5) nous entraîne dans un huis-clos dont l’action se résume à peu de choses mais dont l’écriture est particulièrement addictive. Venue pour bazarder la bicoque, Hélène, 36 ans, célibataire sans enfant, doit subir la présence d’un squatteur québécois d’origine nipponne qui photographie les blockhaus du littoral, puis recevoir sa jeune filleule submergée de problèmes personnels. Alors que les fantômes d’un passé qu’elle ne souhaitait pas convoquer viennent la hanter, elle se heurte aux turbulences provoquées par les vivants, et par les éléments. Rien ne se passe comme prévu, tout se détraque, dans le cœur comme à l’extérieur. Une étape obligée pour mieux se reconstruire ?
Pour Kate, « le Rouge n’est plus une couleur » (6) depuis qu’elle a remarqué un ruban rouge cousu à l’intérieur du col de celui qui l’a violée. Le premier roman (une fiction ?) de Rosie Price, née en 1992 et diplômée de l’université de Cambridge, raconte surtout l’après-coup du viol : après la sidération, la honte, la peur et le dégoût qui l’empêchent de parler pendant plusieurs semaines. De parler à Max, son ami inséparable et presque frère, et à la famille de celui-ci, une famille aisée et cultivée qui a toujours accueilli Kate à bras ouverts, bien qu’elle soit issue d’un milieu populaire. Or le violeur est le cousin de Max. Alors que les mots peu à peu prononcés permettent à la jeune fille de revenir à la vie, ils ouvrent une faille dans la famille de Max. Rien ne sera plus jamais comme avant.
(1) Albin Michel, 343 p., 20,90 €.
(2) Gallimard, 235 p., 20 €.
(3) Grasset, 379 p., 22 €.
(4) NiL, 206 p., 18,50 €.
(5) Actes Sud, 308 p., 21,50 €.
(6) Grasset, 412 p., 24 €.
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