RIEN n’est plus naturel que la contribution de l’assurance-maladie à la baisse des dépenses publiques. En effet, il est démontré depuis des décennies que certaines dépenses de soins sont inutiles (comme la réplication quasi systématique à l’hôpital d’actes diagnostics réalisées en ville), voire même dangereuses (comme la prescription de trop nombreux médicaments à des personnes fragiles).
Par ailleurs, la somme de 10 milliards d’euros en trois ans, soit donc 3,4 milliards par an, pour des dépenses d’assurance-maladie d’un montant annuel de 179,1 milliards en 2014 (1,9 %), ne semble pas hors de portée. Si l’assurance-maladie était une entreprise de production, n’importe quel patron engagerait sa carrière sur la promesse d’atteindre de tels objectifs, mais la ministre des affaires sociales est une ministre, ses leviers d’action sont limités ; quant à ses comptes, ils sont pour le moins ambigus.
Si l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM), augmente, comme l’annonce la ministre, respectivement de 2,1 % en 2015, 2 % en 2016 et 1,9 % en 2017, certes ce n’est pas beaucoup, mais c’est une augmentation et une augmentation en terme réel, si l’inflation est inférieure à ses chiffres. Où sont alors ces 10 milliards en moins, alors qu’avec ces augmentations annuelles, le calcul donne 11 milliards en plus, en euros courants, entre 2015 et 2017 ? Il s’agit donc bien d’une croissance, mais d’une croissance moindre que la tendance naturelle (+3,8 %) d’où le terme abusif « d’économie ».
Quant au contenu de ces « économies projetées », reprenons les une par une. 3,5 milliards de baisse de prix des médicaments de marque est un objectif qui peut être atteint : le ministère en a le pouvoir et je pense aussi que les dépenses de médicaments sont trop élevées en France. Toutefois, est-il sage de réguler une industrie avec, depuis deux décennies, une incertitude qui porte à la fois sur sa fiscalité et sur ses prix ? La France ne pourrait-elle pas, comme le Royaume-Uni, signer un accord-cadre avec l’industrie pharmaceutique en lui promettant une clarté des règles du jeu ? Sinon je crains pour l’emploi (de l’ordre de 100 000 personnes travaillent en France) et le déménagement des sièges sociaux. Il ne restera en France que des comptoirs de vente et de la recherche, tant qu’il y aura des incitations fiscales en la matière.
En ce qui concerne l’économie de 2,5 milliards de prescriptions (actes et médicaments), comment l’État et l’assurance-maladie vont-ils procéder ? Certes cela est possible en installant, par exemple, dans toutes les pharmacies des logiciels qui vérifient l’absence d’interactions entre les médicaments prescrits ou en vérifiant que ces prescriptions sont bien conformes à l’autorisation de mise sur le marché. Pour le Mediator, elles ne l’étaient pas dans 85 % des cas ! Mais ce n’est ni la ministre, ni le directeur de la CNAMTS qui prescrivent et, jusqu’à présent, ils ont montré leur hostilité à l’usage, en la matière, des données de santé dont ils disposent. Si c’est sur cette voie qu’ils s’engagent, et on ne peut que les encourager, le corps médical est-il averti qu’il y aura un contrôle a posteriori de ses prescriptions ? Ne va-t-il pas falloir modifier profondément les conventions signées avec les syndicats des médecins libéraux ? De quel soutien la ministre peut-elle se prévaloir à l’intérieur de la profession médicale pour faire accepter une telle évolution ? À moins qu’il ne s’agisse, une fois encore, de quelques baisses de tarifs.
Pourquoi s’engager sur des résultats peu vraisemblables ? L’urgence est, me semble-t-il, de laisser croire que ces économies seront indolores. Pourtant un euro d’économie ici est toujours un euro de recette en moins là et 10 milliards d’euros (0,5 % du PIB) ne peuvent pas facilement passer inaperçus et être sans conséquence sur, par exemple, la survie de certaines officines pharmaceutiques ou de petits hôpitaux ! À moins que l’agenda soit tout autre et qu’il ne s’agisse d’abord de négocier du temps en s’efforçant d’être (vaguement) crédible.
Soulignons enfin, du point de vue des comptes de l’assurance-maladie une mauvaise et une bonne nouvelle ; la mauvaise est que le déficit des hôpitaux publics s’accroît sensiblement en 2013, quant à la bonne, si j’ose dire, du fait de la crise, la consommation médicale semble devoir baisser. Il y aura donc, peut-être, des « économies ».
Faut-il pour autant baisser les bras ? Certainement pas, mais pour réussir, il serait nécessaire de placer les efforts immédiats dans un cadre structurel qui seul donnerait confiance aux acteurs. Quant aux vraies économies, elles pourraient venir de la fusion des régimes de l’assurance-maladie, d’un nouveau mode de rémunération des généralistes (un paiement au forfait annuel entraîne immédiatement une baisse des prescriptions), du contrôle des pratiques cliniques, de l’indépendance de gestion des hôpitaux publics, de la promotion des professions paramédicales, du regroupement de sites hospitaliers, du transfert de nombreuses activités hospitalières vers la ville et de l’investissement. Il faut baisser les frais de fonctionnement et préparer l’avenir en agissant sur autre chose que les tarifs ou les prix, donc sur la structure du système. On n’en prend pas le chemin.
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