Champignons : le risque toxique

Publié le 30/08/2010
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La plupart des empoisonnements par les champignons résultent d’une insuffisante connaissance des espèces et de leurs habitats : c’est la cueillette familiale d’espèces douteuses qui est à l’origine d’intoxications fréquentes notamment en automne. Les intoxications sont distinguées en grands syndromes qu’il importe de connaître.

Les mots du client

- « Ma mère reconnaît les champignons toxiques grâce à une cuillère en argent.

- Est-il vrai que parfois seule une greffe de foie peut sauver d’une intoxication par un champignon ?

- Une intoxication par des champignons peut-elle donner des signes plus d’une demi-journée après les avoir mangés ?

- Mon voisin a été pris de délire après avoir mangé des champignons…

- On dit qu’alcool et champignons ne font parfois pas bon ménage ! »

Quelques définitions

L’étude toxicologique des champignons le prouve : une vingtaine d’espèces seulement sont potentiellement mortelles après ingestion et une petite centaine sont toxiques. Dans la plupart des cas, l’ingestion d’espèces non comestibles se solde par des signes digestifs plus ou moins sévères. Observés dans les deux heures suivant le repas, ils sont rarement graves et ne nécessitent qu’exceptionnellement une hospitalisation. Par contre, les signes observés plus de six heures après l’ingestion sont toujours préoccupants. Dans certains cas, les signes traduisent une simple allergie aux champignons : ils s’observent parfois avec des espèces comestibles. En France, on déplore de 1500 à 2000 intoxications de gravité moyenne à sévère par champignons chaque année.

Divers types d’intoxications par des champignons, peuvent s’observer tous ne sont pas détaillés dans le texte (mais sont cités dans le tableau). Un même syndrome peut être induit par des espèces différentes mais produisant les mêmes substances toxiques.

Syndrome phalloïdien

Ce syndrome représente 95% de l’ensemble des décès liés à la consommation de champignons en Europe. Induit par l’amanite phalloïde (Amanita phalloides) dans 9 cas sur 10, mais aussi par les amanites printanière et vireuse (A. verna, A. virosa) ainsi que par quelques autres champignons (certaines lépiotes ou cortinaires, etc.), il reste fatal dans 10 à 15% des cas. Il est à l’origine de l’atteinte hépatite toxique la plus fréquente en Europe occidentale (plusieurs centaines de cas annuels d’intoxication si les conditions saisonnières se prêtent à l’abondance des récoltes).

L’incubation est comprise entre 6 heures et 48 heures avec une moyenne de 12 heures. La toxicité des champignons responsables de ce syndrome est liée à plusieurs substances :

- Des peptides thermostables (résistants plusieurs minutes à 100°C), fédérés sous le nom d’amanitines, dont la dose toxique est de l’ordre de 0,1 mg/kg chez l’homme. L’absorption de ces toxines est rapide, mais elles persistent longuement dans l’organisme. Elles entraînent une mort cellulaire et sont à l’origine des lésions hépatiques.

- Des phallotoxines et virotoxines, également stables à la chaleur, mais relativement peu toxiques par voie digestive car elles passent peu dans le sang.

Signes cliniques.

L’intoxication phalloïdienne se manifeste en deux phases successives.

- La première (phase d’attaque ou cholériforme) dure 3 à 4 jours. Pouvant être fatale en l’absence de traitement, notamment chez l’enfant ou la personne âgée, elle se traduit par des diarrhées profuses et fétides expliquant une deshydratation aiguë rapide, des vomissements douloureux, des crampes abdominales, une intense sudation. Ces signes régressent en 3 à 4 jours.

- La deuxième phase (viscérale ou hépato-rénale) correspond à l’expression clinique de l’attaque hépatique par les amanitines (qui reste asymptomatique durant les 3 à 4 premiers jours suivant l’intoxication). La mort des cellules hépatiques se traduit par d’abondantes anomalies biologiques (augmentation des enzymes d’origine hépatiques dans le sang), un effondrement de la glycémie, une hyperammoniémie, une chute des facteurs de la coagulation dans le sang avec hémorragies digestives, une insuffisance hépatique et rénale aiguës.

La guérison spontanée, lorsqu’elle survient, s’observe en 4 à 8 semaines. Les décès s’observent entre 6 et 16 jours après ingestion. Les traitements actuels laissent espérer une guérison sans séquelle s’ils sont mis en œuvre au maximum 36 heures après l’ingestion du champignon.

Traitement.

L’hospitalisation s’impose en réanimation. La victime doit bénéficier d’une réhydratation et d’une correction du choc, d’un lavage gastrique et/ou de l’administration de charbon activé (cependant, les toxines sont souvent passées dans le sang lorsque les symptômes apparaissent). On administre des anti-émétiques par voie intra-veineuse. L’élimination urinaire des toxines est favorisée par l’administration de diurétiques. Des traitements spécifiques peuvent être instaurés : ils limitent la pénétration des toxines dans les cellules du foie et des reins (pénicilline à forte dose, silibinine ou Légalon IV, N-acétylcystéine injectable). Une épuration extra-rénale est parfois envisagée, comme, en cas de destruction du foie, une transplantation hépatique.

Syndrome gyromitrien

Son incubation varie de 2 à 24 heures, mais est en général comprise entre 6 heures et 8 heures. Induit par les gyromitres, il a pour origine une toxine particulière, la gyromitrine, qu’élimine la dessiccation ou une ébullition prolongée (sans couvercle sur la casserole). Elle est transformée dans l’organisme en méthylhydrazine toxique.

Signes cliniques.

L’intoxication se traduit par des signes de toxicité hépatique, neurologique et digestive, parfois par des troubles hémolytiques.

La victime est prise de vertiges, de maux de tête avec fièvre (syndrome pseudo-grippal), de vomissements et de diarrhées. Au deuxième ou troisième jour, surviennent des signes d’atteinte hépatique et neurologique avec convulsions, délire, coma et parfois décès.

Traitement.

Cette intoxication impose une hospitalisation pour réhydratation, traitement des convulsions éventuelles, administration à doses importantes de vitamine B6 et, dans les cas les plus sévères, hémodialyse.

Syndrome cortinarien

L’incubation précédant la survenue de ce symptôme est très prolongée : 3 à 20 jours. Il se traduit par une atteinte rénale induite notamment par une toxine spécifique, l’orellanine, qui est d’une stabilité exceptionnelle (elle reste stable dans des échantillons vieux de plusieurs dizaines d’années !).

Signes cliniques.

Le début de l’intoxication, brutal, associe une soif intense, une sécheresse buccale, des urines abondantes et fréquentes, des douleurs lombaires. Les signes digestifs sont bénins et inconstants. L’atteinte des reins, constante, sévère et généralement irréversible, se traduit par une insuffisance rénale aiguë (glomérulonéphrite) souvent anurique et parfois mortelle.

Traitement.

L’intoxication doit être traitée à l’hôpital, avec rééquilibrage hydroélectrolytique, hémodialyse en cas d’insuffisance rénale aiguë, parfois transfusion sanguine. Elle peut évoluer vers une insuffisance rénale chronique imposant une transplantation d’organe. Un décès est toujours possible par urémie.

Syndrome sudorien (muscarinien, muscarinique, cholinergique)

Fréquent, le syndrome sudorien représente quelque 25% à 30 % des intoxications par les champignons (inocybes dont Inocybe patouillardii, nombreux clitocybes, mycènes bien que peu concentrés en muscarine). L’incubation est comprise entre 15 minutes et 3 heures, et les signes cliniques ne persistent que 2 à 3 heures en général, rarement 6 à 8 heures.

Signes cliniques.

La toxicité se traduit par un syndrome cholinergique lié à l’action de la muscarine sur les récepteurs muscariniques.

Les signes d’intoxication sont avant tout digestifs (gastro-entérite avec nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhées profuses et fétides). La stimulation du système vagal par la muscarine est à l’origine d’hypersécrétions (hypersialorrhée, rhinorrhée avec encombrement bronchique, hypersudation, larmoiement). La deshydratation est intense.

L’intoxication cholinergique se traduit également par une constriction des bronches avec difficultés respiratoires, une bradycardie, de l’hypotension, un myosis accompagné de troubles de la vision, des sensations de fourmillements dans les membres et une anxiété intense.

Traitement.

Après hospitalisation, le traitement est conduit selon la tolérance et le terrain. Il est possible d’administrer un anticholinergique (atropine par IV jusqu’à l’apparition d’une dilatation pupillaire ; arrêt de la sécrétion salivaire et de la transpiration) (attention au surdosage avec accélération du rythme cardiaque, agitation, délire voire hallucinations, dépression respiratoire). Boissons salées ou injection de solutés isotoniques remédient à la deshydratation.

Syndrome résinoïdien (résinien, résinoïde, gastro-intestinal)

L’incubation de l’intoxication résinoïdienne est comprise entre 30 minutes et 3 heures. Représentant 60 % des intoxications par les champignons, ce syndrome a pour origine des terpènes, quinones, sucres complexes, lipides et stérols.

Signes cliniques.

Le syndrome résinoïdien se traduit par une gastro-entérite isolée mais violente : douleurs épigastriques, nausées, vomissements abondants, colique, diarrhées persistantes, crampes, soif intense liée à la deshydratation. Des troubles cardio-vasculaires ayant pour origine une perturbation des concentrations ioniques dans le sang s’observent dans les cas les plus sévères. La victime peut rester affaiblie plusieurs jours.

Traitement.

Lorsque l’intoxication reste légère, elle régresse en 3 à 4 h, et ne se prolonge guère par une asthénie à l’arrêt des troubles digestifs. Il peut être possible, si besoin, d’administrer des médicaments contre les douleurs gastriques.

Lorsque les symptômes sont sévères, prolongés, ou chez les sujets affaiblis ou malades (atteinte rénale ou hépatique), il peut être nécessaire d’hospitaliser pour un rééquilibrage hydroélectrolytique (sérum glucosé) et/ou l’administration de tonicardiaques. Il est fréquent de traiter par l’administration d’une association magnésie + tanin + charbon.

Syndrome myco-atropinien (panthérinien, muscarien, anticholinergique, iboténique, atropinoide)

L’incubation dure 0,5 heure à 3 heures et les symptômes persistent entre 8 heures et 24 heures. La toxicité est liée à plusieurs composés dérivés de l’acide iboténique : muscimol et probablement muscazone, qui traversent la barrière hémato-méningée et agissent dans le cerveau. Ces substances sont isolées de certaines amanites (Amanita pantherina notamment)

Signes cliniques.

Les signes cliniques, variables en intensité, sont dominés par les manifestations neuro-psychiques : agitation alternant avec des phases de somnolence, euphorie, mais parfois véritable ivresse agressive, délire, confusion mentale, malaise général, anxiété, tremblements, rares convulsions (avec des doses importantes d’Amanita pantherina). Les signes atropiniques se traduisent par une mydriase, une sécheresse des muqueuses, une accélération du rythme cardiaque. Les troubles digestifs, banals, restent modérés voire nuls.

Traitement.

Surveillance (disparition des signes en 24 heures), administration de sédatifs à faible dose (Valium, Largactil ou équivalents). Il ne faut jamais administrer d’alcool à la victime, ni d’atropine ou de traitement contenant de l’atropine (teinture de belladone) (qui aggraveraient les symptômes).

Syndrome narcotinien (psilocybien, hallucinatoire)

L’incubation de l’intoxication est brève : 30 à 60 minutes. Les signes cliniques durent pendant 4 à 6 heures pour régresser en laissant la victime asthéniée et en proie à de violents maux de tête. Les toxines impliquées sont des N-méthyltryptamines 4- et 5-hydroxylées, la butofénine et la psilocybine (dégradée en psilocine également toxique). Retrouvées en quantités variables selon les espèces de Psilocybe, Panaeolus, Pholiotina ou Stropharia, elles sont stables plusieurs années. Ces toxines agissent dans le cerveau sur les récepteurs à la sérotonine comme le LSD (diéthylamide de l’acide lysergique ou « acide »).

Signes cliniques.

Les symptômes psycho-sensoriels dominent le tableau clinique : euphorie ou dysphorie selon les patients, anxiété et troubles de l’humeur, hallucinations visuelles, hyperesthésie sensorielle, modification de la perception de l’écoulement du temps, confusion mentale, désorientation temporo-spatiale, démarche ébrieuse. Des signes psychiatriques graves, proches de ceux observés chez les patients psychotiques, peuvent survenir avec réactions agressives, violentes ou suicide.

Les signes digestifs (nausées et vomissements) comme atropiniques (mydriase, bradycardie, hypotension artérielle, troubles vasomoteurs) sont aussi fréquents. Des crises convulsives sont décrites avec Panaeolus cyanescens

Traitement.

Le traitement repose sur la mise au repos et au calme de la victime. Des tranquillisants ou des antipsychotiques peuvent être administrés si risque suicidaire. Dans les cas sévères, un lavage gastrique est envisagé, mais la brièveté de l’incubation rend cette mesure rapidement inutile.

Syndrome coprinien

Le syndrome coprinien, propre aux champignons du genre Coprinus et notamment au Coprinus atramentarius, est du à la coprine et à son métabolite, le 1-aminocyclopropanol. En présence d’alcool, elle donne lieu dans l’organisme à un syndrome dit « antabuse » : inhibant l’action d’une enzyme, l’acétaldéhyde-deshydrogénase, elle bloque la transformation de l’acétyldéhyde (métabolite de l’éthanol) en acétate. L’intoxication coprinienne apparaît entre 15 et 30 minutes après la consommation d’alcool. Le malaise persiste environ 2 heures puis régresse spontanément, sauf si la victime continue à boire de l’alcool.

Signes cliniques.

L’acétaldéhyde accumulé dans l’organisme (sang, foie) donne lieu aux effets cliniques observés : vasodilatation périphérique avec bouffées de chaleur, rougeur du visage (= érythrose faciale), polypnée, tachycardie, hypotension artérielle avec sensation de malaise et vertiges, sensation de saveur métallique dans la bouche, angoisse, tremblements des extrémités, sueurs profuses, troubles digestifs rares. Dans les cas graves, une vasodilatation généralisée peut évoluer vers un collapsus.

Traitement.

L’évolution est spontanément favorable en quelques heures : la victime est mise au repos en position allongée. Un lavage gastrique peut être réalisé si besoin, ainsi qu’un traitement symptomatique du collapsus cardiovasculaire. S’abstenir de boire de l’alcool pendant 3 à 8 jours sous peine de récidive, car l’acétaldéhyde n’est que lentement éliminé de l’organisme.

Syndrome myopathique

L’incubation, longue puisque comprise entre 2 et 3 jours, suit l’ingestion de Tricholloma auratum.

Signes cliniques.

Cette intoxication de mécanisme mal connu se traduit par une rhabdomyolyse avec libération d’enzymes musculaires, d’ions et de myoglobine dans le sang. Elle se traduit par une fatigue intense, des douleurs musculaires prédominant dans les cuisses, des sueurs sans fièvre, parfois des nausées, sans vomissements, et une coloration foncée des urines inquiétant rapidement la victime. Les signes biologiques traduisent l’agression musculaire. Les cas les plus graves se soldent par un décès par arythmie.

Traitement.

Le traitement, réalisé à l’hôpital, reste symptomatique.

› NICOLAS TOURNEUR

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2768