Un pharmacien s’engage contre les dangers environnementaux

Benoît Thierry, le lanceur d’alertes

Publié le 17/05/2010
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D’abord intrigué par l’annonce de la construction d’un incinérateur près de chez lui, un pharmacien de l’Oise a vite compris les conséquences sanitaires d’une telle installation. Professionnel de santé avant tout, il appelle ses confrères à s’engager contre les dangers environnementaux qui menacent la santé humaine.
Intervenir sur les problèmes d’environnement aux côtés des élus

Intervenir sur les problèmes d’environnement aux côtés des élus
Crédit photo : J. Gravend

BENOÎT THIERRY est un homme aux mille facettes. Pour l’heure, c’est son engagement en termes d’environnement qui prime. « L’idée de construire un incinérateur près de chez moi m’a ouvert les yeux. »

Installé à Beauvais (Oise), il découvre ce projet en 2008, par un article de presse locale, sujet sur lequel le journal revient quelques mois plus tard. « À cette époque, l’endroit de la construction n’était pas arrêté. » La réaction ne s’est pas fait attendre puisqu’une première manifestation de 200 à 400 personnes a lieu en février 2009. Benoît Thierry collecte toutes les informations possibles sur les incinérateurs. Paraît justement en février 2009 un rapport sur une « Étude d’imprégnation par les dioxines des populations vivant à proximité d’usines d’incinération d’ordures ménagères », une étude nationale lancée en 2005 par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA).

« Dans un Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de février, l’InVS explique que les incinérateurs d’ordures ménagères sont de plus en plus sûrs et dégagent de moins en moins de dioxines. Mais il n’empêche que les populations vivant près des incinérateurs, en particulier ceux dont l’alimentation se compose de produits locaux, ont un taux de dioxine plus élevé et sont plus exposées au risque de cancer. Les incinérateurs restent dangereux même s’ils le sont moins », explique Benoît Thierry.

Comité scientifique.

Alors que le pharmacien accumule les études en défaveur des incinérateurs, le Syndicat mixte Oise verte environnement (SYMOVE), qui représente 235 communes, décide de lancer officiellement le projet. « Je crée alors un collectif de professionnels de santé et, en 15 jours, je fais signer 200 copains. Je rencontre, avec un autre pharmacien, le sénateur Vasselle, président du SYMOVE. Au nom du collectif, je lui demande un moratoire de trois ans, qu’il refuse, mais il accepte la création d’un comité scientifique réunissant des professionnels de santé. » Malgré cette précaution, le SYMOVE se prononce à l’unanimité en faveur de l’incinérateur le 5 juin 2009, lors de la Journée mondiale de l’environnement, « en l’absence de toute compétence médicoscientifique », s’insurge Benoît Thierry.

Dans le département de l’Oise, chaque habitant produirait environ 450 kg de déchets non triés par an*. « Il y a déjà un incinérateur sous-utilisé auquel nous n’avons pas accès pour des raisons de divergences politiques. Les déchets des communes du SYMOVE sont traités par enfouissement. Or, ça va bientôt déborder. » Benoît Thierry comprend la position des élus, qui souhaitent résoudre ce problème de gestion des déchets et acceptent la solution apportée par des professionnels de l’incinération. « Un vendeur n’expose pas les risques liés à son industrie, il manque donc quelqu’un dans le processus de décision : le lanceur d’alerte. C’est le rôle de notre collectif, devenu l’Association Santé Environnement Picardie (ASSEPIC) début 2010 et membre de l’Association Santé Environnement France (ASEF). Les professionnels de santé sont légitimes pour intervenir sur ces sujets aux côtés des élus. »

Redevance incitative.

Le titulaire a encore en tête les paroles de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, lors du Congrès national des pharmaciens de 2007, sur l’absence des officinaux au Grenelle de l’environnement. « Notre formation universitaire est très diversifiée, il faut la mettre à profit. Le but n’est pas de faire de l’ASSEPIC une association écolo contre tout mais de poser les questions, d’obtenir les informations pour avoir un avis médical. Roselyne Bachelot ne pourra plus dire que le train passe et que nous ne sommes pas dedans. J’appelle mes confrères à prendre conscience de leur compétence et de leur responsabilité face aux questions environnementales. »

L’ASSEPIC a d’ailleurs une proposition concrète pour éviter la construction de l’incinérateur : réduire les déchets. Comme le font la Suisse ou la Belgique, elle propose de mettre en place (c’est à l’étude dans le Grenelle de l’environnement) une redevance incitative. Le principe : moins on jette de déchets, moins on paye. Ainsi, les capacités des systèmes actuels de traitement des déchets seraient suffisantes.

Pour le moment, le projet d’incinérateur fait moins parler de lui. Si le SYMOVE a entériné l’idée de l’usine d’incinération, des divergences se font jour en interne. En outre, le Conseil général, qui doit en partie financer ce projet, freine le lancement car il repose sur l’ancien plan départemental de gestion des déchets et non le nouveau.

Multiples passions.

« Je suis motivé par la prise de conscience des populations concernant notre impact environnemental. On a une plus grande culpabilité envers nos enfants et petits-enfants. Avec l’allongement de l’espérance de vie, les générations se croisent, les plus jeunes vont nous demander des comptes. »

Serait-ce une nouvelle vocation d’engagement dans la vie municipale ou politique ? La porte reste ouverte, même si le pharmacien avoue manquer de temps. Car l’homme a de multiples passions. Féru d’échecs, il avait créé Le Coin des Mateurs à l’université, puis Le Coin des Polars puisqu’il est aussi amateur du genre et expert es-affaires d’empoisonnement auxquelles il a consacré sa thèse. Mélomane possédant plus de 1 000 œuvres classiques et pianiste à ses heures, il aime aller aux concerts avec son épouse. Il est aussi administrateur au syndicat de pharmaciens de l’Oise, vice-président d’une association de riverains, et désormais président de l’ASSEPIC…

* Dernières données Eurostat publiées le 19 mars dernier, prenant en compte les ordures ménagères et les déchets des communes : la moyenne européenne est à 524 kg/an avec de fortes disparités (802 kg pour un Danois, 306 kg pour un Tchèque, 543 kg pour un Français).
› MÉLANIE MAZIÈRE

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2750