DES ÉPIDÉMIOLOGISTES américains rapportent des taux urinaires élevés d’élimination de trois classes de produits chimiques polluants de l’environnement, les phénols, les phtalates et les phytoestrogènes, qui sont aussi des produits à effet endocrinien notoire. « Les expositions à ces trois classes chimiques très courantes chez des fillettes sont de nature, d’une part, à perturber le développement pubertaire et, d’autre part, à entraîner un risque de complication plus tard dans la vie et notamment de cancer du sein. »
L’étude a été menée chez 1 151 petites filles de 3 régions des États-Unis. Des mesures de 19 métabolites urinaires des trois classes de produits – phénols, phtalates et phytoestrogènes – ont été réalisées une première fois alors qu’elles étaient âgées entre 6 et 8 ans, puis une deuxième fois un an plus tard, alors qu’elles avaient entre 7 et 9 ans.
Échantillons urinaires.
Pour Mary S. Wolff et coll. (Breast Cancer and Environmental Research Centers), « comme on pouvait s’y attendre, les biomarqueurs de l’environnement sont détectés dans la plupart des échantillons urinaires. (...) Les concentrations maximales se situent à des niveaux qui entraînent des effets expérimentalement ».
Le Pr Charles Sultan, chef de service en endocrinologie pédiatrique au CHU de Montpellier, commente l’étude pour « le Quotidien » : « En effet, sont rapportées non pas des traces mais des concentrations de l’ordre de la micromole de métabolites de composés qui sont des perturbateurs endocriniens et elles sont compatibles avec un effet physiologique ou pathologique. » Ces composés ont un tropisme particulier pour les tissus adipeux, où ils sont stockés pendant des années. « Ce qui est préoccupant, car si des taux semblables sont rencontrés chez des individus aussi jeunes, ils sont susceptibles d’augmenter avec le temps. » Et nous sommes exposés à des milliers de produits chimiques.
Les enfants sont exposés dans une « fenêtre de susceptibilité » biologique à ces produits. Cette fenêtre tend à s’agrandir, car si l’âge du début du développement des seins est plus précoce, l’âge des premières règles n’a pas beaucoup varié. « Cet article donne des arguments très forts pour proposer une réduction sinon une interdiction des polluants en général et des pesticides en particulier, dont l’impact sur l’équilibre endocrinien reste a priori préoccupant », souligne le Pr Sultan.
Cette étude livre par ailleurs des données cliniques brutes qui ne sont pas commentées par les épidémiologistes et qui renforcent la notion d’une entrée dans une puberté plus précoce. Ils rapportent que 206/943 petites filles sont à un stade B2, c’est-à-dire engagées dans une puberté à 8 ans (25 %) ; un an plus tard, elles sont 297/688, ce qui veut dire que la moitié sont entrées dans la puberté à 9 ans. Une corrélation est faite avec les taux urinaires des polluants.
« Ces notions confirment ce qui est montré par ailleurs en épidémiologie et s’observe tous les jours en clinique », poursuit le spécialiste. « La précocité pubertaire est un problème qui préoccupe beaucoup les pédiatres à l’heure actuelle. Dans certaines régions, on parle d’épidémies de pubertés précoces. »
Le stade mammaire B2.
Le travail qui fait référence a été publié en 1998 par l’équipe américaine d’Hermann-Giddens sur 17 000 petites filles (dans le « Journal of Pediatrics »). Il montrait que le développement de la glande mammaire entrant dans le stade B2 de la puberté (surélévation de l’aréole, ce qui correspond au démarrage du développement des seins) avait lieu à l’âge de 9 ans et 7 mois, soit un an plus tôt qu’en 1970 (10 ans et 5 mois).
Ce qui a commencé à mobiliser les pédiatres et les endocrinologues : les enfants entrent en puberté plus tôt et vraisemblablement à cause d’un environnement riche en xénoestrogènes. Ce qui est mis en parallèle avec un phénomène non quantifiable, mais de l’ordre de l’observation pédiatrique et gynécologique : le développement mammaire des adolescentes est plus important qu’il y a trente ans. Les adolescentes aux seins plantureux sont plus nombreuses.
« Tous ceux qui s’intéressent au développement du cancer du sein sont préoccupés par cette période clef du développement de la grande mammaire. Une contamination importante par des produits à effet estrogénique (xénoestrogènes), qui sont probablement plus persistants et plus agressifs, alors que les cellules sont en phase de multiplication, peut constituer un facteur favorable au développement du cancer du sein. »
Une étude épidémiologique française a montré il y a peu que la prévalence du cancer du sein chez les femmes jeunes (40 ans) est en augmentation et que la précocité pubertaire pourrait constituer un facteur de risque.
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