Le paradoxe veut que M. Zemmour a compris qu'il ne saurait gagner en popularité que s'il exerce une surenchère par rapport à Mme Le Pen. De sorte que, plus il se montre brutal, plus elle tend à se dédiaboliser. Elle a réussi à raboter toutes ses arêtes, à renoncer à la sortie de l'Union européenne et au retour au franc. Elle devance M. Zemmour parce qu'il lui est facile de démontrer qu'elle est infiniment plus sage que lui. Au délire passéiste qui l'anime, elle oppose un programme qui fait d'elle une force de gouvernement plutôt qu'une illuminée.
Bien entendu, M. Zemmour compte des partisans (entre 12 et 14 % des votants), ce qui ne suffit pas pour devancer Mme Le Pen, assurée pour le moment de se retrouver au second tour. Mais sa seule présence au premier tour suffit à affaiblir LR et diminue les chances de Valérie Pécresse. Cette pure bataille des ego crée une sorte de confusion et de halo qui nuit prodigieusement à l'extrême droite. Il suffit d'additionner les scores de M. Zemmour et de Mme Le Pen pour savoir qu'elle est le premier parti de France.
Bien entendu, après l'expérience Zemmour, ses électeurs se tourneraient plutôt vers Mme Le Pen qui trouvera chez lui un réservoir de suffrages. Pour le président sortant, pas encore candidat, mais qui ne saurait tarder à se déclarer, la copie de Le Pen serait plus facile à battre que l'original. Il ne faut pas s'y tromper : un retrait ou une défaite de M. Zemmour illuminerait brusquement la réalité lepéniste ; elle n'est pas une femme de pouvoir mais un réceptacle des colères.
L'ogre de Moscou
Pendant ce temps, Valérie Pécresse, avec un optimisme triomphant, examine le terrain électoral en continuant de faire d'Emmanuel Macron son ennemi principal, notamment parce qu'elle est idéologiquement proche de lui. Là aussi, elle doit faire attention à ne pas être la copie qui singe l'original. Elle a considérablement durci ses propos de campagne, un peu comme si avec le « en même temps » du candidat sortant, elle avait des différences insurmontables. Ce n'est pas vrai, mais c'est la loi du genre : une campagne électorale n'est pas autre chose qu'un Guignol et on s'amuse plus des mensonges qui y sont proférés qu'on n'y trouve un peu de sincérité.
La charge à laquelle les Républicains se livrent contre Macron est d'autant plus impitoyable qu'elle n'a pas de ressort. Ils ne lui reprochent plus d'avoir gouverné, d'avoir usurpé sa fonction, d'avoir volé à LR la magistrature suprême en 2017, argumentation tout droit sortie des idées de Donald Trump, ce qui ne grandit pas le clan LR, on le blâme pour faire campagne sans s'être déclaré, pour faire des déplacements financés par l'État, pour assumer la présidence (pour six mois) de l'Union européenne alors qu'il est censé s'occuper ardemment du sort d'un peuple présenté comme le plus malheureux du monde. Mais qui, en dehors de LR, s'intéresse à ça ? Vladimir Poutine n'aurait pas attendu les élections générales en France pour lancer son dévolu pour l'Ukraine. Il fallait bien un président français pour s'interposer.
Ce que Macron fait, en prônant le dialogue, idée quelque peu désespérée. On verra bien si, en définitive, l'ogre insatiable de Moscou trouvera langue avec les alliés. Les positions adoptées par les Républicains montrent les limites de leur exercice. Ils ne parlent plus du fond, mais des circonstances, comme si, fatalement, Macron ne peut agir que de travers. Là-dessus arrivent les bons chiffres de la croissance et de l'emploi qui annihilent l'opposition fondée sur la sinistrose. Les meilleurs de nos commentateurs continuent à examiner l'influence d'Omicron sur le sort de Macron, celle de l'inflation sur ses chances de l'emporter ou non, comme s'ils ne lisaient pas les résultats des enquêtes d'opinion, invariables depuis quelques mois.