Comme le tout un chacun qui a son mot à dire sur la gestion de la pandémie, la presse voudrait bien qu'Édouard Philippe démissionne. Pas par acharnement contre cet homme sympathique, mais parce que le pouvoir est censé avoir tellement souffert du virus qu'il serait logique qu'il se décomposât. Il y a une mécanique dans la fabrication occulte de ce bobard : d'abord les candidats à la succession de M. Philippe ne manquent pas et seraient heureux que le processus de démantèlement du gouvernement s'accélère ; ensuite, les erreurs de communication qu'a accumulées l'exécutif méritent une sanction et c'est au « fusible » du pouvoir d'en payer le prix ; la crise sanitaire a atteint un tel degré de gravité qu'elle doit nécessairement se transformer en crise politique ; enfin, les partis de l'opposition souhaitent assister aux résultats de leurs efforts multiples pour mettre à bas ce gouvernement honni, même s'ils n'en ont guère les moyens institutionnels.
Manque de chance, un seul homme peut donner suite aux fantasmes de l'opposition, à la demande de sensation journalistique, au spectacle dont le peuple confiné est privé. Et cet homme, c'est Emmanuel Macron. Bien que la perspective d'un remaniement soit chaque fois présentée avec prudence et à voix basse, peu de journalistes écartent l'hypothèse d'une manière tranchante. Peu d'entre eux ont évalué les conséquences d'un changement de gouvernement en pleine crise. Aucun n'a eu, à ce jour, le mérite de dire que, franchement, la gestion de la pandémie nécessite des efforts surhumains et que M. Macron est assez intelligent pour ne pas ajouter à ses soucis la charge politique et humaine d'une séparation d'avec son Premier ministre.
Il faut beaucoup contrarier Macron pour qu'il se fâche
En d'autres termes, si la rumeur ne tient pas bon, M. Philippe ne démissionnera pas. Il faut continuer à y croire de manière à ce qu'elle soit vérifiée par les faits, sinon en mai, ou juin ou septembre ; sinon après les municipales (un second tour est prévu), un peu plus tard. En 2021 ? On ne jurera de rien, mais en 2022, c'est sûr. Et voilà, le tour est joué ! Quoi qu'il arrive, Édouard Philippe quittera ses fonctions après l'élection présidentielle. On vous l'avait bien dit ! Il existe, dans la langue anglaise, une formule, « self fulfilling prediction » qui décrit parfaitement ce phénomène pourtant bien français mais que les Français ont préféré ne pas nommer. Il évoque une prédiction qui contient en elle-même les éléments qui la confirmeront un jour.
D'un autre côté, l'analyse qui conduit au départ du chef du gouvernement se nourrit de réalités indéniables. Comment voulez-vous qu'entre le chômage, la dette, les déficits, la peur du Covid, le confinement, bref les inconforts de tous ordres que crée cette crise sans précédent, l'exécutif ne soit pas tiré à hue et à dia ? C'est là que s'ajoute la fine psychologie des médias : en y pensant plus profondément, qu'ont-ils, ces deux hommes, pour s'entendre ? Quel rapport entre l'ancien banquier et le maire du Havre ? Entre le fin lettré et le boxeur ? Cela devait casser inévitablement. Sauf qu'il n'y a rien de tel que deux caractères opposés pour s'entendre et que Macron et Philippe ont trouvé dans leurs différences les instruments de leur rapprochement. Bien entendu, aucun média ne va jamais dire que l'exécutif court à l'implosion, mais « de source sûre », on raconte qu'ils se disputent parfois, comme si c'était impensable et comme si c'était d'une insigne gravité. Voilà peut-être, en ces temps de douleur nationale, la partie la plus comique du mandat de M. Macron, dont on oublie un peu vite qu'il ne fait rien comme ses prédécesseurs et qu'il a l'art (très rare) de tendre la main à ses adversaires. Alors, pourquoi ne le ferait-il pas pour ses amis ?